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Le Lac des Cygnes, épisodes 1

La déception fut grande en arrivant à Garnier. J’avais un peu pris la Première du Lac des Cygnes, le lundi 29 novembre, en espérant y voir Agnès Letestu et José Martinez. Comme le deuxième s’est blessé, j’ai eu droit à une toute autre distribution, celle qui m’emballait le moins : Emilie Cozette et Karl Paquette.

Que dire de cette soirée ? Il y a eu de très beau, du moins beau, du glacial. Une représentation mitigée, qui ne m’a pas tiré les larmes, ni fait oublier le ballet Novossibirsk en juillet dernier. Mais une soirée à l’Opéra n’est jamais complètement ratée. Il y a un tel niveau qu’il y a toujours quelque chose pour rattraper une déception.

Le premier acte commence, et j’ai peur. C’est glacial. Le corps de ballet est admirablement en place, alors que la chorégraphie de Noureev est des plus complexes. Mais il y manque quelque chose d’important : le feu sacré. Ils-elles dansent, c’est beau esthétiquement parlant, mais ça ne va pas plus loin. Etait-ce la concentration, alors que la troupe se lançait dans ce ballet si attendu, était-ce moi, était-ce la volonté de poser une ambiance lourde, au vu des événements futurs ? J’ai eu bien peur d’attraper froid et de m’endormir d’ennui. Seul Emmanuel Thibault a sauvé les meubles avec une variation du pas de trois généreuse et très emballante. Je suis plus réservée sur ses deux partenaires.

Heureusement, il y a eu la bonne surprise : Stéphane Bullion, dans le rôle de Wolfgang/Rotbbart. Je ne suis pas une fan de la première heure de ce danseur. Mais pour le coup, il m’a cloué sur mon siège dès son premier regard à la scène. Noureev lui a donné de l’importance pour rajouter de l’ambiguïté à Siegfried, et il va y en avoir de l’ambiguïté. C’était Gay Friendly Power à fond cette soirée… Mais pas moins intéressante. J’ai aimé cette ambivalence.

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Le premier acte a en tout cas été sauvé par leur duo. Durant toute la fête, ils échangent des regards, et Wolfgang prend de plus en plus d’emprise sur lui. Siegfried est totalement perdu dans ses pensées. J’ai bien aimé la vision de Karl Paquette. Ce n’est pas un grand technicien, mais il a été habité toute la soirée, et je pardonne plus facilement avec ça les essoufflements techniques. Sa version lente était très belle. Comme l’expliquait Patrice Bart lors de la répétition publique, cette variation, c’est le passage de la réalité à autre chose, le monde du rêve, le champ des possibles. Et Karl Paquette a très bien su ressortir ça. Au fur et à mesure de ses pas, une autre ambiance s’installe, quelque chose d’assez étrange… j’ai bien aimé cette transition.

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Deuxième acte. Même frayeur. Les cygnes sont très, très bien en place, mais que c’est froid. Où est la magie ? Pas sur scène en tout cas. Les quatre petits cygnes étaient très fébriles, et j’ai craint durant tout leur passages qu’elles ne se décalent par rapport à la musique. Cette angoisse a primé sur tout le reste durant leur deux minutes de prestation. Les quatre grands cygnes étaient beaucoup mieux, avec beaucoup de lyrisme et de musicalité.

Quand à Odette… Oui, techniquement, c’était en place. Cela semble un miracle lorsqu’on parle d’Emilie Cozette, mais ça se tenait. Tout juste. C’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de gros plantages techniques, mais que l’ont ne peut pas vraiment parler non plus d’amplitude. Des développées riquiqui, 30 fouettés à la place de 32 (oui, on saute de joie quand une danseuse en fait plus, notons celles qui en font moins). C’était maitrisé au minimum syndical, ce que l’on demande tout de même à une danseuse de l’Opéra de Paris. Pour l’interprétation, j’en reviens toujours au même. Emilie Cozette fait les pas tels qu’on lui a demandé, en musique. Mais rien, aucun sentiments, aucune intention ne la porte.

Pourquoi fait-elle ce geste, va-t-elle par ici, baisse-t-elle la tête ? Chaque geste doit être porté par quelque chose. Chez elle, il n’y a rien. C’est creux, scolaire. Donc ennuyeux. La danse, c’est avant tout transmettre des émotions. Etre donc habité par un personnage, sublimer la technique par une interprétation. Il n’y avait rien de tout ça lundi soir chez cette danseuse.

Un exemple me vient à l’esprit. Durant l’acte II, Siegfried fait le signe de jurer son amour. Odette se précipite sur son bras pour l’en empêcher. Emilie Cozette a attendu 1 seconde 1/2 avant de prendre le bras de Karl Paquette. Pourquoi ? Parce qu’on lui a dit de faire ce geste sur un temps précis de la musique. Karl étant un poil en avance, elle a attendu la musique. Elle n’a pas fait ce  geste parce qu’elle avait peur, parce qu’elle voulait empêcher Siegfried de faire une bêtise. Elle l’a fait parce qu’on lui avait dit de le faire, sur cette note musicale. C’était abyssalement creux. J’ai regretté Reine Agnès toute la soirée. D’autant plus, et là, c’est plus personnel, mais je n’ai pas du tout aimé son travail de bras, que je trouvais trop crispé. J’avais toujours l’impression qu’elle dansait les épaules relevées. 

Inutile dans ce cas d’en attendre beaucoup du si lyrique pas de deux. Le corps de ballet, malgré tout, et la si belle musique (même si le violon n’était pas d’un merveilleuse justesse) ont sauvé le tout.

Le troisième acte est beaucoup mieux. Je ne sais pas si c’est la présence de nombreux premier-ère-s danseur-se-s qui a porté le tout, mais les danses de caractère, en plus d’être parfaitement en place, était enfin pleine de vie. Etait-ce le corps de ballet qui avait besoin de deux actes pour se détendre, ou moi qui était enfin dans le spectacle, mais ce fut un très beau moment. Et quel plaisir de retrouver Princesse Myriam, malgré sa scandaleuse sous-distribution.

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J’ai beaucoup aimé le pas de trois, qui a atteint des sommets de Gay Friendly Power. Car ce n’est pas Odile qui hypnotise le prince, c’est bien Rotbbart. Ils se croisent, se cherchent du regard, Siegfried ne sait plus où il en est. Et le cygne n’est qu’un outil dans leur jeu, quelque chose qu’ils se passent de mains en mains pour mieux de frôler. Si Karl Paquette a commencé à un peu faiblir techniquement, Stéphane Bullion était royal. Non seulement implacable dans son regard et dans son jeu, mais éblouissant dans sa variation. L’un des plus beaux moments du ballet. Ce danseur me surprend de spectacles en spectacles.

Quand à la fin, elle marche à tout les coups. Entre le sardonique Rotbbart, l’intensité dramatique et la musique sublime, j’ai eu le souffle coupé. 

Quatrième acte. Même très bonne surprise, le corps de ballet est enfin vivant. Les 32 cygnes sont parfaitement alignés, et nous font vivre quelque chose. Elles sont résignées, tristes, et nous sommes définitivement dans un autre monde. Leur passage seuls était très beau, très poétique et poignant. L’un de mes moments préférés de la soirée avec la variation de Rotbbart.

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Le final ne fait que rendre hommage à la vision si particulière de Noureev. Ce n’est pas Odette que le prince veut sauver. C’est l’objet hypnotisant, la chose qui le relie à  Rotbbart. Ce dernier s’est amusé avec lui. Comme un amoureux cynique, il s’est penché sur un cœur faible, l’a manipulé, l’a attiré avec des illusions, pour mieux le laisser tomber cruellement.

La fin, encore une fois marche toujours, entre la musique, les 32 cygnes, la fumée qui envahit la scène, l’envolée des cygnes finale… Ce ballet est magique. Même avec une Odette/Odile transparente, il arrive toujours, à un moment où à un autre, à nous prendre aux tripes.

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Stéphane Bullion a été le plus applaudi, et avec raison. Il a porté la soirée tout du long, portant véritablement la vision de Noureev. Les 32 cygnes ont également été salués chaleureusement.  Mes réserves du début se sont vite envolées, elles ne peuvent que s’améliorer au fil des représentations, et j’ai déjà hâte de les retrouver le 21 décembre.

© Photos 1, 3 et 5 : Rêves impromptus. 2 et 4 : Anne Deniau / Opéra national de Paris

Commentaires (7)

  • Karine

    Bonjour,
    merci de votre commentaire (que je retrouve sur dansomanie et danser en france).

    Pouvez-vous indiquer la distribution complète (petits cygnes, grands cygnes, solistes acte 1…) ?

    Merci,

    Karine

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  • Hey, moi je suis allée à l’école avec le frère d’Emmanuel Thibault 🙂 Qui s’appelle Thibault d’ailleurs, ceci explique cela…
    Et sinon, j’aime l’idée d’un Lac des cygnes gay friendly 🙂

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  • @ Karine : il y a des distribs un peu plus complètes sur le site de l’Opéra, mais de nouvelle des cygnes.
    http://www.operadeparis.fr/cns11/li… ,

    @ Coralie Marie : mais t’es trop une vip Coralie Marie 😉 Un lac des Cynes gay friendly, c’est clair que ça pourrait te plaire, surtout que le Rotbbart de cette soirée est plutôt beau gosse.

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  • J’aime toujours beaucoup les photos de Syltren… (Paquette et Bullion réunis, en même temps 😀 )
    Sinon quel départ sur les chapeaux de roues, après tous ces articles autour du ballet ! J’espère que J. Martinez reviendra vite comme prévu, et qu’il n’y aura pas d’autres blessés sur cette série… Hâte d’être de retour sur Paris ! (le 21 aussi)

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  • @Pink Lady:Il faudra qu’on arrive à se croiser alors 😉

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  • lulu

    Pour moi les 4 GRANDS CYGNES sont parfaits. HELOISE BOURDON la beauté même,totalement investie dans ce registre qui lui va à la perfection et la très grande classe, vraiment une danseuse hyper prometteuse à suivre, SABRINA MALLEM, magnifique de précision technique et d’intériorité avec un abattage très exceptionnel qui la distingue de ses partenaires et SARA DAYANOVA intemporelle et mystèrieuse, danseuse très juste et avec toujours un artistique d’une rare qualité. CES OISEAUX SONT UN BONHEUR DANS LE CORPS DE BALLET.

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  • @lulu: Entièrement d’accord, les quatre Grands Cygnes ont à chaque fois été un vrai régal. On aimerait les voir dans les rôles de solistes !

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