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Soirée Nicolas Le Riche – De joyeux au revoir

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10 juillet 2014

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La soirée d'adieux de Nicolas Le Riche est retransmise sur Arte le lundi 29 décembre à 22h30.

Ça y est, la fameuse soirée du 9 juillet 2014, scellant le départ de Nicolas Le Riche de l'Opéra de Paris, était enfin arrivée. La pluie diluvienne parisienne était mise de côté, l'immense raté de la vente des places fut (presque) oublié. Chacun, bon gré mal gré, avait son précieux ticket. Mélancolie (la fin d'une époque) ou tristesse (un immense danseur qui s'en va) étaient même remisées au placard pour laisser place à un grand bonheur d'être là. La soirée fut d'ailleurs très joyeuse, sans trop de prétention ni de blabla, à l'image du danseur.

Nicolas Le Riche - Saluts de la soirée du 9 juillet

Nicolas Le Riche - Saluts de la soirée du 9 juillet

Cette soirée retraçait le parcours du Danseur Étoile, avec la conscience d'une vie remplie ponctuée de nombreuses étapes. Le spectacle tournait autour de Roland Petit, Maurice Béjart, Mats Ek ou Rudolf Noureev, quatre grandes personnalités qui ont tellement compté dans la carrière de l'Étoile. Pas de Défilé, mais l'École de Danse, comme le souvenir d'un gamin de 10 ans qui réussit le concours par bravade et se retrouve propulsé sur le devant de la scène.

D'un point de vue purement critique, cette soirée fut toutefois un peu inégale. D'un côté les pièces où dansaient Nicolas Le Riche. Sublimes. Puis les autres pièces, qui laissaient parfois perplexes. La première partie a ainsi pris le dangereux chemin du Gala Noureev, avec un pas de six de Raymonda escamoté de toutes ses variations (l'intérêt de la chose demeure encore un mystère). La deuxième partie, de très haute volée, rattrapa heureusement le tout, et il est fort à parier qu'il ne reste dans la tête du public que des émotions fortes et beaucoup de sourires.

Le tout démarra d'ailleurs de la plus charmante des façons. Matthieu Chedid ouvrit le bal à la guitare électrique, tandis que Nicolas Le Riche semblait comme improviser quelques pas de danse. Un superbe retiré, quelques sauts, une pirouette, un décalé, un geste plus contemporain... Ce n'était pas du hasard, mais des petits bouts de quelques-uns de ses grands rôles, Siegfried, Apollon, un peu de Forsythe ou de Robbins.

Nicolas Le Riche - Ouverture avec Matthieu Chedid

Nicolas Le Riche - Ouverture avec Matthieu Chedid

Place ensuite à l'École de Danse avec l'ouverture des Forains. Nicolas Le Riche en était aussi, portant une petite danseuse sur ses épaules, dansant avec les Petits Rats. Les générations se suivent et se mélangent. Le jeune Francesco Mura, reprit bravement et joliment le solo du Tambour du Bal des Cadets, dansé il y a de nombreuses années par Nicolas Le Riche et presque le point fort de cette première partie. Raymonda tronqué avec deux Étoiles fatiguées et un corps de ballet parfois brouillon, suivi d'un Après-midi d'un Faune bien terne (si ce n'est le glamour-à-qui-on-ne-l'a-fait-pas d'Eve Grinsztajn) avait comme de quoi faire peur. N'y a-t-il vraiment que Nicolas Le Riche pour donner des frissons ? Assurément non, mais ses collègues du jour n'ont pas vraiment réussi à prouver le contraire.

La barre était haute aussi, avec Nicolas Le Riche véritablement transcendé par la soirée. Son Jeune Homme et la mort, je ne vais plus compter combien de fois je l'ai vu. Et pourtant, la surprise est toujours là. Ce combat de 15 minutes contre la Mort laisse toujours haletant, saisissant. C'est bien dans ce ballet que l'on se rend compte de sa formidable connaissance de sa danse. Ce n'est pas une question de sauter haut, ce qu'il fait de façon stupéfiante. C'est cette façon d'être en constant déséquilibre, de se donner à chacun de ses pas. La complexité de ses gestes est telle que l'on a l'impression qu'il connaît 1.000 façons de plus que les autres de bouger sa tête, de lever un bras, de monter une jambe. L'intelligence du geste doublé d'un charisme dévorant, vous ne pouvez que succomber.

Nicolas Le Riche et Eleonora Abbagnato - Le Jeune Homme et la Mort

Nicolas Le Riche et Eleonora Abbagnato - Le Jeune Homme et la Mort

L'extrait d'Appartement de Mats Ek était dans cette veine. La fabuleuse Sylvie Guillem avait fait le chemin pour l'occasion (même si elle a refusé d'apparaître sur la diffusion streaming, j'en connais qui sont en pleine frustration, LA Guillem ne changera jamais). Nicolas Le Riche et Sylvie Guillem ont pour eux cette formidable science du mouvement poussé à l'extrême. Ensemble sur scène, on y retrouve en plus une alchimie fascinante. Ils jouaient un couple, mais voilà comme l'impression de voir des jumeaux sur scène. Ils semblent se connaître depuis leur naissance, sentir le geste de l'autre les yeux fermés, deviner tous les déplacements. C'est un couple de danse en osmose, travaillé et poli depuis des années.

Impossible de faire une soirée d'au revoir sans discours. Ce fut Guillaume Gallienne qui s'y colla, pour une ode en vers avec quelques humours et piques. "Ton génie Nicolas est plus grand que ton âge / Et que si cet endroit te déclare trop vieux, pour continuer ici tes grands sauts périlleux / Et bien tu les feras ailleurs, sur d’autres scènes / Tu auras pour créer le soutien des mécènes / Ou celui de l’Etat ! Ce serait pas mal ça ! / Que tu puisses transmettre !", certains apprécieront. Un extrait de Caligula, dont l'acteur avait fait le livret, suivit. L'extrait d'Incitatus est ce qu'il est, Audric Bezard s'en est plutôt bien sorti. Mais quel dommage d'avoir relégué Mathieu Ganio au porteur de laisse. Celui qui apparaît de plus en plus comme le successeur de Nicolas Le Riche, l'Étoile qui porte les autres, aurait mérité d'avoir son talent mis un peu plus en avant.

Le final pouvait-il être autre chose que ce Boléro, cette espèce de mise à mort où le danseur livre ses dernières armes avant de s'écrouler ? Les Boléro que j'ai vu avaient toute une connotation de guerre : le combat du Dieu ou d'une grande prêtresse. Rien de tout ça ici, même pas une once d'allusion sexuelle, alors que la chorégraphie s'y prête si facilement. Ce Boléro fut juste - mais c'est énorme en fait - un incroyable hymne à la danse. Le bonheur de danser, le bonheur du geste, le bonheur de la scène, le bonheur d'être là. Quelque chose d'indiciblement joyeux.

Nicolas Le Riche - Le Boléro

Nicolas Le Riche - Le Boléro

Dans ses derniers élans à Garnier, Nicolas Le Riche affichait donc un sourire lumineux. Josua Hoffalt et Karl Paquette, Étoile acceptant pour un soir de revenir dans la foule, portèrent le corps de ballet dans une autre dimension. Le Boléro fut le message de transmission de Nicolas Le Riche. Un homme qui est simplement heureux de danser et qui transmet cette joie à toute une autre génération. Ses derniers gestes d'imprécation semblaient comme crier aux danseurs : "Dansez ! dansez ! DANSEZ ! C'est votre tour !".

Je vous laisse imaginer l'explosion de Bravo qui succéda à ce Boléro fulgurant. Saluts avec le corps de ballets, saluts seul en scène, bouquets, saluts, Clairemarie Osta et ses filles, saluts, Claude Bessy, saluts, paillettes dorées, saluts... Toujours pareil au fil des adieux, et toujours si particulier. Soirée privatisée oblige, une partie non-négligeable du parterre déserta au bout de cinq minutes. Ce qui n'empêcha pas les fonds de loge et le poulailler de s'user les mains et les cordes vocales pour saluer et remercier son Danseur Étoile fétiche. Pas de larme, mais des bravos de joie. Ce n'était qu'un au revoir.

Nicolas Le Riche - Saluts de la soirée du 9 juillet

Nicolas Le Riche - Saluts de la soirée du 9 juillet

 

Soirée Nicolas Le Riche, avec le Ballet de l'Opéra de Paris, au Palais Garnier. Ouverture avec Matthieu Chedid et Nicolas Le Riche ; Les Forains (extrait) de Roland Petit, avec Nicolas Le Riche et des élèves de l'École de Danse ; Le Bal des Cadets (extrait) de David Lichine, avec Francesco Mura. Raymonda (extrait) de Rudolf Noureev, avec Dorothée Gilbert (Raymonda) et Stéphane Bullion (Abderam) ; L'Après-midi d'un Faune de VaslavNijinski, avec Jérémie Bélingard (Le Faune) et Eve Grinsztajn (la Nymphe) ; Le Jeune Homme et la Mort de Roland Petit, avec Nicolas Le Riche (le Jeune homme) et Eleonora Abbagnato ( la Mort) ; Appartement de Mats Ek (extrait), avec Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche ; Caligula (extrait) de Nicolas Le Riche, avec Mathieu Ganio (Caligula) et Audric Bezard (Incitatus) ; Le Boléro de Maurice Béjart, avec Nicolas Le Riche. Mercredi 9 juillet 2014.

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Amélie Bertrand

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