Saturday, Sep. 30, 2023

Un hommage à Noureev sans panache (ou presque)

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7 mars 2013

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Je ne connais pas Rudolf Noureev. Je suis née trop tard pour le voir danser, et j'ai commencé à aller à l'Opéra un an après sa mort. Même la fameuse Génération Noureev, je ne la connais pas tant que ça, n'allant que trop peu souvent à Garnier à l'époque pour me faire une véritable idée.

De Noureev, je n'ai donc que ce que racontent ceux et celles qui l'on vu et/ou ont travaillé avec lui. Et quels sont les adjectifs qui reviennent le plus souvent pour le décrire ? Caractère insupportable, certes. Ego surdimensionné aussi. Danseur au charisme incroyable également. La fougue, le panache, la passion dévorante de la danse.

Fougue, panache, passion... Autant de choses qui manquaient cruellement à ce Gala Noureev du Ballet de l'Opéra de Paris, censé rendre hommage à son ancien directeur. La formule du gala n'est certes pas la plus facile. En général, on tombe un peu dans un excès de virtuosité. Ce n'est pas non plus ce qui a qualifié cette soirée, marquée par un ennui poli malgré un public visiblement heureux d'être là, peut-être plus que les danseurs et les danseuses sur scène. Je n'ai pas vécu l'esprit Noureev, mais rien dans cette soirée ne m'a fait pensé à ce que décrivent les gens qui ont connus cette période. Drôle d'hommage donc, impression de service minimum (les pas de deux ont tous été tronqués de leurs variations, l'acte des Ombres était un pot-pourri) et bilan plutôt inquiétant.

Pourtant, la danse n'est jamais très loin. Elle a surgi lors de la deuxième partie, le pas de deux de Roméo et Juliette par Nicolas Le Riche et Laëtitia Pujol. D'un coup, la scène s'est allumée, les coeurs se sont emballés. Les deux artistes avaient 16 ans, s'aimant si forts qu'ils pouvaient renverser la Terre entière. C'était un danseur d'une incroyable intensité, si au-dessus des autres. C'était une danseuse mettant toute sa technique ultra-sûre au service de son personnage. C'était un couple qui vivait intensément chaque seconde comme si c'était la dernière. C'était beau, c'était de la Danse, et ce fut neuf minutes qui valaient à elles-seules le déplacement. Il y a des gens, comme ça, on ne sait pas pourquoi, tout s'allume dès qu'ils entrent en scène.

Roméo et Juliette - Nicolas le Riche et Laëtitia Pujol

Roméo et Juliette - Nicolas le Riche et Laëtitia Pujol

Il y a en a un autre, c'est la même chose, plus rien n'est pareil quand il se met à danser. Mathias Heymann était absent depuis plus d'un an. Il revient, il n'a rien perdu ni de sa virtuosité ni de sa superbe. Manfred, son solo, était d'ailleurs la seule curiosité de ce programme, puisque le ballet n'a pas été donné depuis 30 ans. Et l'une des rares pièces véritablement signées Noureev, la plupart des autres extraits présentés étaient finalement plus un hommage à Petipa. La chorégraphie n'était pas forcément des plus inspirée, mais tant pis. Ce solo était un concentré de fougue et de passion. L'émotion était palpable chez le jeune danseur, ce devait être un vrai défi pour lui d'être là ce soir, et le public lui a bien montré sa joie de le retrouver.

Manfred - Mathias Heymann

Manfred - Mathias Heymann

Et pour le reste ? Deux passage sortaient plus ou moins du lot. Dorothée Gilbert était venimeuse en Cygne noir, entourée de deux partenaires, Mathieu Ganio et Benjamon Pech, bien investis. Mais, mais, mais... Pas de variation, pas de coda, pas de 32 fouettés. C'est toujours le Cygne noir ? Service minimum on vous dit ! L'acte des Ombres de La Bayadère était aussi largement tronqué, sans que l'on saisisse l'intérêt du découpage. La Descente des Ombres était en place bien qu'un peu ennuyeuse. Mais il y avait Reine Agnès, très inspirée, impériale. Et Stéphane Bullion jamais plus en forme que lorsqu'il danse avec Agnès Letestu.

L'acte des Ombres de La Bayadère - Agnès Letestu et Stéphane Bullion.

L'acte des Ombres de La Bayadère - Agnès Letestu et Stéphane Bullion.

Et les autres alors ? Les Petit Rats furent mignons comme tout dans la Marche de Casse-Noisette, et il est de toute façon trop politiquement incorrect pour déclarer l'inverse. Pas d'adage du troisième acte, mais celui du premier, sans variation. Excuse médicale acceptée. Et puis ce fut un jolie couple tout de même, entre Christophe Duquenne très attentif et Myriam Ould-Braham sachant raconter comme personne l'éveil à l'Amour en quatre minutes. Dès son entrée en scène, Aurélie Dupont a rayonné, comme à son habitude. Mais, et mon clavier en pleure d'écrire ces lignes, les années passées se sentaient dans son Adage à la Rose de La Belle au bois dormant. Il n'y avait plus chez elle cette absolue technique transcendée, juste une danseuse, certes sublime, mais dont on ressentait la peur face aux redoutables équilibres.

Le Fandango de Don Quichotte a bien démarré, mené par Eve Grinsztajn remplie de caractère et... mais oui... de panache. Pas de variation évidemment (service minimum on a dit), juste deux petites minutes sorties de nul part, avant un pas de deux ennuyeux entre Ludmila Pagliero et Karl Paquette (le seul passage à être donné dans son entier, avec variations et coda). Ce fut cruel pour ce dernier.  Karl Paquette est un danseur éminemment sympathique, très bon partenaire mais dont tout le monde est d'accord pour dire que c'est la moins virtuose des Etoiles. Il a donc droit à un long adage avec une partenaire avec qui il ne partage visiblement pas grand chose, et à l'une des variations les plus dures de la soirée. Perplexité, quand tu nous tiens.

Drôle de couple également pour Cendrillon, entre Marie-Agnès Gillot plus MAG que jamais et Florian Magnenet plus Mignonet que jamais. Ou comment Cendrillon devient une femme indépendante et glamour à côté d'un Prince passablement inutile. Impossible d'y croire.

Isabelle Ciaravola est une danseuse d'une grande force dramatique.  Mais la variation de la Claque, ce n'est décidément pas pour elle. Quand au Cygne Blanc, il est assez terrible de se dire que c'est le meilleur rôle d'Émilie Cozette. Plus en forme qu'il y a deux ans, elle apparaissait tout de même très - trop - terrienne pour un Cygne, sans grande musicalité. Mais elle avait de la chance, elle avait Hervé Moreau comme partenaire, qui avait de la poésie pour deux. Je ne connais pas bien ce danseur, je suis donc encore toute surprise dès que le le vois en scène tellement c'est beau. Prenez ses mains par exemple. Quand ses mains se posaient sur la taille de la danseuse, il y avait toute la tendresse, l'amour et le respect du monde. Je suis restée tout l'adage fixé sur le travail de bras d'Hervé Moreau, c'était de toute beauté.

21h30, emballé c'est pesé, les saluts sont expédiés, les lumières rallumées. Comme si ce gala, au fond, n'était pas vraiment assumé. Il ne reste sûrement plus grand chose de l'état d'esprit de Noureev à l'Opéra de Paris, ses ballets ne sont plus si souvent donnés, et la compagnie semble bien plus à l'aise dans des oeuvres néo-classique. Alors pourquoi faire un gala hommage à Noureev s'il n'y a plus rien à fêter ? Pour récolter des fonds auprès des mécènes, humm, bonne réponse. 

Cette soirée, c'était la soirée des Étoiles, censées être les meilleur-e-s danseurs et danseuses de ce qui est censé être la meilleure compagnie du monde. Ce devait donc, en toute logique, être une soirée inoubliable. Ce fut une soirée tiedasse. L'interview de Brigitte Lefèvre parue sur CultureBox laissait d'ailleurs songeur-se. On a l'impression qu'elle est tombée dans la caricature de ce qu'est la danse française. Surtout que l'Opéra de Paris ne se fasse pas remarquer. Surtout que l'on ne fasse pas une soirée retentissante. Surtout que les Étoiles ne se mettent pas à briller, à se démarquer, à flamboyer. Personnellement  je ne vais pas voir de la danse pour m'ennuyer.

© Photo en Une : Blog A petits pas

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Amélie Bertrand

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