TOP

[Retransmission cinéma] Carmen Suite et Petrouchka – Épure russe au Balle du Bolchoï

Une fois n’est pas coutume, le Ballet du Bolchoï a proposé à son public international un programme mixte ancré dans la tradition chorégraphique russo-soviétique du XXe siècle. Pour la dernière retransmission danse de la saison 2018-2019, Pathé Live a ainsi filmé Carmen Suite et Petrouchka, deux ballets en un acte qui se font rares en Occident. La soirée devait renouer avec l’ambition des Ballets Russes, visant la symbiose entre les arts. Danse, musique, décors. Cependant, les deux pièces se succèdent sans dialoguer entre elles.

Créé en 1967 pour Maïa Plissetskaïa, qui avait le pouvoir “d’allumer un incendie en scène” selon les mots du jeune Rudolf Noureev, Carmen Suite incarne une version stylisée, conceptualisée du personnage monumental qu’est Carmen, dans une ambiance en rouge et noir dont le caractère percutant est accentué par la musique (arrangements efficaces de Chtchedrine). Inspirée de l’oeuvre de Roland Petit, la chorégraphie de Carmen Suite emprunte aussi au vocabulaire de Michel Fokine et la mise en scène au Boléro de Maurice Béjart, dont Maïa était aficionada. Parce qu’elle ne pouvait pas importer ce dernier au Bolchoï, opposition soviétique oblige, elle fit créer Carmen Suite en 1967. Si le ballet était tout imprégné de la grande prima ballerina assoluta, devait-il alors survivre à la disparition de sa créatrice ? Des mots de Katerina Novikova, l’hôtesse fidèle de ces retransmissions, Carmen Suite a été ressuscité pour et par Svetlana Zakharova qui danse une version retravaillée spécialement pour elle par Alberto Alonso, le chorégraphe original. Sans surprise d’ailleurs, dès la première scène, la Zakharova avec ses lignes sculpturales et son autorité de tsarine, s’impose, plantant sa jambe longiligne – un dard fatal ! -dans le sol. Le ton est donné.

Carmen Suite d’Alberto Alonso – Svetlana Zakharova

Cette Carmen magistrale, aux antipodes de celle de la Plissetkaïa, éclipse ses partenaires, pourtant talentueux (Denis Rodkine, Mikhail Louboukhine, Olga Marshenkova…). Svetlana Zakharova n’est évidemment pas cette Carmen solaire, vulgaire, rebelle, que le cliché a sacralisé. Comme toujours, la Zakharova danse du Zakharova, capable de transcender les rôles en étant elle-même, insaisissable. On comprend alors l’engouement du chorégraphe – et de tous les autres – pour la ballerine mais aussi celui du public qui s’est manifesté une fois de plus par des rappels endiablés, devenus partie intégrante des représentations de l’Étoile. À 40 ans, Svetlana Zakharova règne encore sans rivale.

La soirée s’est poursuive avec une nouvelle création de Petrouchka, revisitée par Edward Clug, chorégraphe roumain dirigeant le Théâtre Maribor. Ce n’est pas la première fois qu’il s’attaque aux Ballets Russes : il a déjà créé un Sacre du Printemps esthétiquement réussi en 2012. Ce Petrouchka, en revanche s’annonce moins inspiré. L’oeuvre est plaisante à l’oeil, avec sa scénographie minimaliste néanmoins colorée, ses poupées russes stylisées et sa gestuelle épurée. Mais le flou de la narration, la faible caractérisation des personnages au-delà de leurs costumes et l’insuffisante créativité de sa chorégraphie font de ce Petrouchka une re-création inaboutie. Son essence tragicomique s’est d’ailleurs évaporée, tout comme l’écrin original du ballet qui se situait à Saint-Pétersbourg, en plein Mardi gras. Trop désincarné, ce Petrouchka ne transmet pas “la vision d’un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d’arpèges diaboliques, exaspère la patience de l’orchestre” qu’avait Stravinsky en tête. Espérons que l’adaptation chorégraphique du Maître et Marguerite la saison prochaine ait plus de matière.

Petrouchka d’Edward Clug – Ekaterina Kryssanova (la Ballerine)

 

Soirée Carmen Suite / Petrouchka par le Ballet du Bolchoï au Théâtre du Bolchoï, vu en direct au cinéma avec Pathé Live. Carmen Suite d’Alberto Alonso, avec Svetlana Zakharova (Carmen), Denis Rodkin (José), Mikhail Loboukhine (Escamillo) et Olga Marchenkova (Le Sort) ; Petrouchka d’Edward Clug, avec Denis Savin (Petrouchka), Ekaterina Krysanova (la Ballerine), Dmitry Dorokhov (le Maure) et Vyacheslav Lopatin (le Charlatan). Dimanche 19 mai 2019. 

 

Commentaires (1)

  • Geneviève Picard

    Je suis vraiment étonnée que vous ayez apprécié cette enfilade de clichés servie par une interprète glaciale et mécanique (aux antipodes du personnage qu’elle est censée incarner), entourée de danseurs mal à l’aise d’avoir à répéter des pas d’une platitude infinie. Suggérer que cette chose insipide et dépourvue du moindre éclat de passion s’inspire même vaguement du chef d’oeuvre de Roland Petit est aberrant. Je vous rejoins en revanche sur Petrouchka, un gâchis monumental.

    Répondre

Poster une réponse Annuler la réponse