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[Sortie ciné] En corps de Cédric Klapisch

Une danseuse gravement blessée durant une représentation renoue avec l’envie de danser après avoir cru que sa carrière était terminée. Si En corps, le très attendu film de Cédric Klapisch, amoureux revendiqué de l’art chorégraphique, rejoue une partition connue du cinéma, il le fait avec son énergie habituelle en esquivant tant bien que mal les clichés (non, le tutu c’est pas cucul !). À l’exception de quelques ficelles scénaristiques dispensables, il confirme deux choses : le réalisateur n’a pas son pareil pour filmer la danse (tous les styles !) et pour laisser éclore devant sa caméra les acteurs et actrices en devenir. Le talent de Marion Barbeau, Première danseuse du Ballet de l’Opéra de Paris, était déjà connu. Dans En corps, son baptême du feu cinématographique, la jeune femme se révèle émouvante et convaincante. Sa grâce sauvage est très cinégénique.

En corps de Cédric Klapisch

Des ballerines en tutus et chauffe-jambes papotent entre deux étirements, des techniciens peaufinent les derniers réglages, ça s’agite dans tous les sens (l’occasion pour Cédric Klapisch de faire une apparition fugace comme il les affectionne) : l’ambiance normale qui précède le lever du rideau. En corps s’ouvre sur une impressionnante séquence d’introduction de plus de quinze minutes quasi muette. À la lisière du documentaire et de la fiction, cette immersion dans les coulisses puis sur scène d’une représentation de La Bayadère donne le ton. Rarement un film sur la danse nous a plongé.e.s avec autant de virtuosité et d’authenticité dans cet univers. Ce n’est pas spoiler que de raconter que, juste avant de monter sur scène, Élise, interprétée par Marion Barbeau, surprend son amoureux, également danseur de la compagnie, embrassant en catimini une autre ballerine. Bouleversée par cette découverte, la jeune femme se lance palpitante dans son rôle de Nikiya avant de s’effondrer durant l’acte blanc.

Le verdict médical, une grave blessure à la cheville, coupe la jeune danseuse dans son élan. Repos prolongé, perspectives de carrière en berne… Pour passer le temps, Élise décide de donner un coup de main à une copine et embarque dans son food-truck pour une résidence d’artistes en Bretagne. Par un heureux concours de circonstances, s’y installe la compagnie de danse contemporaine de Hofesh Shechter dans laquelle la jeune femme va finalement trouver sa place et retrouver le goût de danser.

En corps de Cédric Klapisch

En mettant au cœur de l’intrigue une héroïne en perte de repères suite à un accident de vie, En Corps s’appuie sur un ressort scénaristique dont le cinéma raffole. Après la chute, survient la renaissance. Élise va retrouver le chemin de la danse, cela sonne comme une évidence. Et ce faisant, elle opère une mue. En décidant de se frotter à d’autres univers que celui de la danse classique, la jeune femme s’affranchit de ses rêves de petite fille et découvre quelle danseuse elle est vraiment.

Comme d’habitude chez Cédric Klapisch, il se dégage de ce film des ondes positives et une énergie qui porte de bout en bout. Le personnage central est entouré de personnages secondaires qui compose une nébuleuse attachante. À des acteurs connus comme François Civil (en kiné amoureux  lunaire) ou Denis Podalydès (en père maladroit et un peu distant), s’ajoutent des danseurs comme  Mehdi Baki ou Robin Cassarino. Et bien sûr Hofesh Shechter dans son propre rôle. Les plus avertis reconnaîtront aussi Marion Gautier de Charnacé et même Germain Louvet dans une courte apparition. Impossible malgré tout d’échapper à quelques bons sentiments, quelques phrases bateau et quelques scènes un peu accessoires qui alourdissent le rythme.

En corps de Cédric Klapisch

Car Cédric Klapisch n’est jamais aussi bon que lorsqu’il filme la danse. En 2010, L’espace d’un instant dans lequel il suivait Aurélie Dupont avait levé le voile sur cette inclination personnelle. Visiblement, le réalisateur a imaginé En corps pour ouvrir les spectateurs et spectatrices à cet univers qu’il affectionne tant, en prenant résolument le contre-pied de la vision doloriste d’un film comme Black Swan. Il montre le quotidien des danseurs et danseuses, le travail sur le corps, les répétitions, le mode de vie communautaire d’une compagnie en création, l’exigence mais dans la joie. Il choisit aussi d’émailler son film de longues séquences dansées oscillant sans cesse entre documentaire et fiction. Combien de personnes étrangères au monde de la danse vont-elles ainsi découvrir le travail d’Hofesh Shechter avec ces extraits de Political Mother grâce à ce film ? Il y a de quoi s’en réjouir.

Au centre de tous les regards, Marion Barbeau étonne par son assurance face à la caméra. Le pari pouvait être risqué.Mais c’est l’une des réussites du film que d’avoir choisi une vraie danseuse pour interpréter ce rôle. Pas de doublage, pas de plans de coupe, la jeune femme est très présente, filmée au plus près, fragile sur la table de kiné comme en plein épanouissement dans la découverte du travail d’Hofesh Shechter. Elle garde une part de mystère et d’insondable qui confère un charme particulier à ce premier rôle. Au cinéma, sur scène, elle est incontestablement une artiste à ne pas perdre de vue.

En corps de Cédric Klapisch

En corps de Cédric Klapisch avec Marion Barbeau, Hofesh Shechter, Denis Podalydès, François Civil, Mrule Robin, Pio Marmaï… – 2h – En salles le 30 mars 2022.

 



Commentaires (8)

  • Lili

    Ca serait bien quand même qu’on sorte du cliché de la danse classique obsolète et maltraitante que le danseur quitte pour être sauvé, dans tous les sens du terme, par le contemporain? A quand un film qui raconte un trajet moins simpliste voire inversé?

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    • Claudine Colozzi

      C’est votre interprétation du film, Lili. L’avez-vous vu ? La danseuse du film pense que sa carrière est terminée en raison d’une grave blessure (qui peut arriver à tous sportifs de haut niveau). La danse classique n’est en aucune façon montrée comme “obsolète” ou “maltraitante”.

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      • Lili

        Ce n’est pas une interprétation, c’est ce que dit l’article… et que raconte le film : la danseuse (parce que les danseurs, eux, n’ont pas ce genre d’histoire) ne se blesse pas en dansant du contemporain (et pourtant dans la vraie vie ça arrive), et ne retrouve pas “sa place” et “le goût de danser”, en croisant fortuitement une répétition de Giselle par une compagnie locale ou étrangère qui sait travailler ce ballet dans la joie ou en rencontrant pendant son errance une vieille ballerine qui lui transmet avant de mourir l’art de danser la scène de la folie ou la binarité Odile/Odette et la manière de devenir soi dans ces rôles si académiques… Ca pourrait aussi faire un très bon film, mais bizarrement, personne n’y a jamais pensé… Ca n’empêche pas que ça soit un bon film (Klapisch aime et sait filmer la danse, Marion Barbeau est formidable), mais oui, le scénario reste cliché.

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        • LYDIE

          MAGNIFIQUE !! MAGNIQUE !! tout au long de ce film !!
          Je suis une cinéphile passionnée et j’ai été “transportée” et envahie par les danses…les musiques et les acteurs-danseurs ! Et je me fous de vos critiques…..moi j’ai A D O R É et BRAVO et Bisous à tous ces professionnels qui nous font rêver !!
          A bon entendeur…Salut !

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    • coco

      Assez d’accord avec Lili, RAZ LE BOL des clichés danse classique………. il faut croire que Mr Cédric Klapisch qui se dit amoureux des corps, et de la danse, n’a pas une ouverture d’esprit si large qu’il le dit, pour ne pas voire toutes danses dansés par le peuple et pas seulement d’ailleurs les danse solo, et surtout pas que cet élitisme….Il y a aussi LES DANSES dansés hors scène….. Dans les soirées, les bals, les rues, les bars, les tanguerias… etc….

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      • Charlotte

        Mais Klapish est amoureux de la danse classique. Il a sublimé la Bayadère, la façon qu’il a eu de la filmer est sublime. La compagnie montre une grande solidarité, des amitiés fortes.
        Et comme dans toute famille, des trahisons, elle s’est blessée parce qu’elle a été déconcentrée par l’infidélité de son mec. Mais le personnage adore la danse classique, elle s’en éloigne par des circonstances de sa vie. Alors, des clichés dans le films oui, mais j’irai plus du côté du kiné babacool ou du personnage de Muriel Robin. Un peu quelques images de la troupe d’hofesh qui se balade dans la nature. Mais on pardonne facilement, car ça fait du bien de voir un film positif sur la danse.
        Ensuite, la danse contemporaine est très riche aussi, une technique différente et il dit bien que sa

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  • Merci pour ce compte-rendu et votre analyse toujours fine et fouillée. j’attends avec impatience que ce film passe dans le ciné de mon village, ce qui ne saurait tarder.Malgré les quelques faiblesses que vous pointez, je suis sure que je vais aimer.

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  • kathy

    Merci pour ces commentaires qui reflètent mon ressenti après avoir vu le film mercredi dès sa sortie. Très agréable de voir de la danse et de la danse filmée par un spécialiste. Bravo à lui et à Marion. Bien sûr, Germain et Marion ont été remarqués. J’ai apprécié, même les scènes un peu loufoques qui s’intègrent bien.

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