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[Retransmission cinéma] Le Ballet du Bolchoï mis à nu avec sa “Soirée contemporaine”

L’appellation “danse contemporaine” n’est ni exacte ni définitive mais elle exclut d’emblée les ballets à l’attirail conventionnel de type Etudes (1948), hommage d’Harald Lander à la danse classique. Avec son argument déjanté et son style primitif, The Cage de Jerome Robbins était certainement avant-gardiste… en 1951 lors de sa création. Quant aux Saisons russes d’Alexeï Ratmansky, bien que contemporaines de notre temps, on aurait tendance à les cataloguer dans le (vaste) registre néoclassique. Le débat pourra agiter les balletomanes les plus puristes dans ce programme mixte vendu comme une soirée expérimentale. Mais là n’est pas la question. Au-delà de ces considérations stylistiques, force est de constater que le Ballet du Bolchoï sort triomphant de cette nouvelle expérience chorégraphique, accélérant la transition artistique vers de nouvelles influences puisées tant en Occident que dans ses entrailles historiques. C’était l’un des paris de Makhar Vaziev pour la compagnie et il l’a fortement médiatisé : le monde entier a pu découvrir en même temps que les spectateur.rice.s russes l’entrée au répertoire d’Etudes et The Cage. On peut faire la fine bouche et relever des approximations techniques mais il faut reconnaître que le potentiel de la compagnie est actuellement unique au monde.

Russian seasons d’Alexeï Ratmansky

Le Bolchoï sait s’approprier les vocabulaires étrangers, américains (Jerome Robbins), danois (Etudes) par exemple, mais il n’est jamais aussi excellent que dans le ballet russe. L’émotion artistique a jailli des Saisons russes, qu’Alexeï Ratmansky (directeur du Ballet du Bolchoï de 2004 à 2009) a pourtant créées pour le New-York City Ballet en 2006. En conceptualisant le folklore russe, le chorégraphe a réussi à donner une couleur locale au genre néoclassique, faisant émerger un style chorégraphique original qui semble avoir capturé le parfum des campagnes d’antan du pays. On retrouve un brin de Jerome Robbins dans la manière de styliser les rencontres humaines (Dances at the gathering), de l’esprit, de l’errance bucolique à la manière de Tchekhov mais aussi une inextinguible tristesse.

Au milieu des couples aux couleurs primaires (jaune, rouge, vert, bleu), l’Etoile Youlia Stepanova cristallise le spleen énigmatique de son peuple. Elle semble avoir trouvé son répertoire : tragique, abstrait, infiniment slave. Ses yeux verts immenses, frappés par la gravité de l’existence, dans la scène finale, resteront parmi les plus belles images de la soirée. Elle recelait un mystère impénétrable, semblable à celui de l’âme slave. La voix lancinante de Yana Ivanilova vibrait comme un chant du cygne alors qu’une mariage aux airs d’enterrement, citation des Noces de Nijinska, clôturait le ballet sur une note de frayeur universelle.

The Cage de Jerome Robbins

En guise d’apéritif, The Cage a offert une amusante mise en bouche. Découvrir le Bolchoï dans un style déjanté et passablement daté avait quelque chose de savoureux. Les femmes, comme des mantes religieuses, dominaient le ballet, Yanina Parienko en tête. La virtuosité notoire de la troupe a pu trouver un nouveau terrain de jeu dans ce vocabulaire alambiqué, souvent rugueux et parfois ingrat.

Pour clore les réjouissances, le très académique Etudes a sonné comme une apothéose triomphante du ballet classique, jurant avec le nom commercial de la soirée. Se lisant comme l’évolution de la ballerine, de l’école de danse à la scène, et dans un sens plus littéral comme un cours de danse approfondi, Etudes ne néglige pour autant pas les signifiés liés à la danse classique. A la fois ballerine romantique rappelant la grâce des sylphides et technicienne triomphante à la Bournonville, Olga Smirnova incarne cette consécration du style danois et affirme son agilité artistique. Emblèmes de la virtuosité du Bolchoï dans une veine raffinée, Semen Tchoudine et Artem Ovcharenko enchaînent les pièges chorégraphiques avec quelques accroches mais beaucoup de mérite.

Etudes de Harald Lander – Olga Smirnova, Artem Ovcharenko et Semen Tchoudine

Si on ignore quelle est la cohérence artistique de cette programmation hétéroclite, et quels en sont les apports au répertoire de la troupe (Class Concert ne suffisait-il pas ?), on s’émeut de cette ébauche de mise à nu et on se réjouit d’assister à la naissance d’une Etoile qui monte en puissance : Youlia Stepanova.

 

Soirée contemporaine par le Ballet du Bolchoï au Théâtre Bolchoï.  The Cage de Jerome Robbins, avec Anastasia Stashkevich, Yanina Parienko, Nikita Kapustin et Erick Swolkin ; Russian seasons d’Alexeï Ratmansky avec Yulia Stepanova, Vladislav Lantratov, Ekaterina Krysanova, Denis Savin, Anna Nikulina, Anton Savichev, Anna Okuneva, Dmitry Dorokhov, Victoria Litvinova, Artur Mkrtchyan, Victoria Yakusheva et Mikhail Kochan ; Etudes de Harald Lander, avec Olga Smirnova, Semyon Chudin et Artem Ovcharenko Retransmission en direct au cinéma le dimanche 19 mars 2017.

 

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