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Élisabeth Platel : “Maintenant, il faut travailler bien, tout de suite. Il faut faire fructifier cette période étrange”

Confinés comme le reste du monde, les Petits rats de l’École de Danse de l’Opéra national de Paris ont enfin tous fait leur rentrée à Nanterre le 22 juin, même si les grandes divisions avaient repris dès le début du mois. Élisabeth Platel, la directrice de l’École de Danse, nous raconte cette reprise si particulière, la forme de ses élèves, les suivis mis en place pendant les mois de confinement ou la rentrée de septembre encore pleine de questionnements.

Élisabeth Platel, directrice de l’École de Danse de l’Opéra national de Paris

 

La fermeture des écoles a été annoncée à un moment particulier pour l’École de Danse : juste avant son spectacle annuel (Coppélia de Pierre Lacotte) qui a donc été annulé. Comment cela s’est-il passé ?

Nous nous sommes pris le confinement en pleine figure, au moment des dernières répétitions de Coppélia. L’annulation des spectacles sonnait d’autant plus comme une double peine que les Démonstrations de décembre avaient déjà été annulées par les grèves. Le spectacle était prêt. Alors nous nous sommes offert un filage en costumes dans notre salle de spectacle, avec des saluts, avec un public composé des élèves ne dansant pas et de l’ensemble de l’équipe. Nous avons pris des notes pour les corrections, comme si le spectacle avait lieu trois jours après, ça a été filmé pour que les élèves puissent le voir quand nous pourrons tous nous retrouver ensemble dans la grande salle. Et les élèves se sont fait plaisir, ils y sont allés à fond ! C’était psychologiquement très important, nous sommes partis consolés, avec un élan. Ainsi le lendemain, en sachant pourtant que l’École allait fermer pour une durée indéterminée, tous les élèves ont pris le cours, pour se “décrasser” du spectacle.

 

Trois mois plus tard, comment s’est effectuée la rentrée des élèves ?

Les premières et secondes divisions sont rentrées le 2 juin, les troisièmes divisions le 8, les quatrièmes divisions le 15 et l’ensemble des élèves le 22 juin. Les premiers jours de reprise, ils ont été presque étourdis par l’espace et le regard des autres. Nous n’avons jamais plus de dix élèves dans un studio, mais au vu des effectifs et des quelques élèves qui n’ont pas pu revenir (venant de l’étranger par exemple, avec des frontières encore fermées), nous n’avons pas eu besoin de dédoubler des divisions. Les élèves ont seulement leur cours de danse classique de 1h30 par jour. Il n’y a aucun cours complémentaire : comme ils sont donnés filles et garçons mélangés, les élèves seraient trop nombreux dans le studio et ils se touchent pour le pas-de-deux ou la danse folklorique. Seul Scott Alan Prouty a pu reprendre pour les quelques élèves passant leur U.V. Musique. Mais l’important est là : retrouver l’énergie de classe. Les grandes divisions ayant repris depuis le 2 juin, nous avons aujourd’hui dépassé le stade de la reprise. Nous finissons le 3 juillet, je veux du travail jusqu’au 3 juillet. Et les élèves travaillent vraiment, ils sont heureux comme tout. Pour les quelques élèves étrangers qui n’ont pas pu rentrer, ils peuvent suivre le cours de leur division en vidéo. Certains sont aussi retournés dans leur ancienne école de danse : on sait ainsi qu’ils ont un studio, qu’ils s’entraînent et surtout qu’ils ont un-e professeur-e.

Pour le scolaire, seule notre classe regroupant trois niveaux de primaire et les collégiens ont repris, pas les lycéens : cela nous permet de donner les cours de danse des plus grands le matin.

Nous finissons le 3 juillet, je veux du travail jusqu’au 3 juillet.

 

 

Comment avez-vous trouvé vos élèves lors de cette reprise ?

Un enfant récupère vite ! Il n’y a pas de blessure pour l’instant. Et ils ont pris énormément de maturité, ils ont gagné en autonomie. Ils ont été très créatifs pendant ce confinement. Nous avons mis sur les réseaux sociaux quelques vidéos qu’ils ont faites pendant ces deux mois et on en a encore en réserve ! Ce sont toujours des enfants joyeux, leur motivation pour la danse n’a en rien été altérée par cette période.

Les secondes divisions filles lors de la reprise

L’internat de l’École de Danse a aussi rouvert. Des mesures spécifiques ont-elles été prises ? 

Quand les grandes divisions sont rentrées le 2 juin, je ne pouvais pas encore rouvrir l’internat. Alors certains se sont débrouillés en dormant chez des amis, l’entraide s’est mise en place. Cela m’a permis de pouvoir ouvrir l’internat le 22 juin pour les plus jeunes, à raison d’un élève par chambre à la place de 2 ou 3. Nous avons aujourd’hui 39 internes (ndlr : autour de 90 habituellement). Tous les élèves finissent leur journée à 16h30, ce qui permet aux externes de rentrer chez eux en dehors des heures de pointe dans les transports. Il fait un temps superbe en ce moment alors les internes restent dehors jusqu’à 20h30. Puis ils remontent à l’internat où ils peuvent être jusqu’à deux par chambre s’ils sont masqués, avant que chacun ne rejoigne sa chambre aux heures de coucher habituelles.

 

À propos de masque, les élèves doivent-ils en porter dans l’enceinte de l’École ? Quelles ont été les mesures sanitaires mises en place ? 

Nous avons des directives sanitaires de l’Opéra et le service scolaire prend les directives de l’Éducation Nationale. Les élèves portent un masque pendant leurs déplacements, en récréation, à l’internat, mais pas pendant le cours de danse. Chacun a une place fixe à la barre et doit y retourner pendant les exercices au milieu. La reprise pour les cours de danse doit être très progressive : ces deux mois d’arrêt, trois pour les plus jeunes, n’ont pas été des mois de vacances, où l’on court, on nage, on bouge, d’autant plus pour les Parisiens sans jardin. Tous les élèves ont passé un électrocardiogramme, ils doivent prendre leur température chez eux le matin et ils ont eu un questionnaire de santé à remplir avant la reprise qu’ils sont tenus de regarder régulièrement, pour vérifier qu’ils n’ont pas de symptômes. Le 22 juin, quand l’internat a rouvert, j’ai vu une toute petite stagiaire de six mois au réfectoire, avec son masque trop grand, se placer à table à un mètre d’un camarade. Qu’est-ce qu’on est donc en train d’offrir à ces jeunes ? Mais ils sont disciplinés, ils gardent le masque dans la cour de récréation, ça ne leur pose aucun problème.

 

L’Éducation Nationale a fait le choix de faire rentrer les primaires, les plus petits, en premier. Pourquoi avez-vous fait le choix de d’abord faire rentrer les plus grands élèves pour les cours de danse ?

Je suis en contact avec d’autres écoles de danse à l’étranger et les choix ont été différents selon les établissements. J’ai préféré faire rentrer les élèves qui avaient le plus besoin de retrouver un studio pour leur technique. C’est aussi moralement difficile pour les premières divisions qui se retrouvent à attendre le concours d’entrée dans le Ballet. Avec tout ce que nous avons mis en place en vidéo, nous avons presque pu faire le programme des petits stagiaires six mois. Mais pour les grandes divisions, une fois la barre terminée, on ne pouvait plus faire grand-chose.

L’enseignement de la danse, c’est l’échange, le regard. Les cours de danse en ligne ne permettent pas de faire ça, mais ils peuvent maintenir le contact.

Justement, comment avez-vous organisé le suivi pédagogique pendant le confinement ?

On a réussi à mettre en place pas mal de choses, comme on pouvait, avec tous les outils numériques que l’on avait. Pour le scolaire, nous prêtons en début d’année une tablette à chaque élève, la scolarité a ainsi repris dès le deuxième jour du confinement et ne s’est pas arrêté pendant les vacances. Mais pour les cours de danse, nous ne pouvons pas parler de continuité pédagogique. Nous avons maintenu le contact, les élèves ont appris des choses comme l’autonomie ou se questionner sur eux-mêmes. Mais en tant que danseurs et danseuses, nous avons été brimés, nous ne pouvions plus nous exprimer. L’enseignement de la danse, c’est l’échange, le regard. Les cours de danse en ligne ne permettent pas de faire ça, mais ils peuvent maintenir le contact.

Pour le travail en ligne mis en place, tout dépendait des divisions. Il a aussi fallu que les professeur-e-s se fassent à des outils numériques qu’ils ne connaissent pas forcément, qu’ils travaillent avec une connexion internet parfois aléatoire, certains se sont retrouvés bloqués à 500 kilomètres de Paris sans aucun chausson de danse. Pour les tous petits, c’était difficile de les contrôler, ils sont en plein apprentissage. Nous avons commencé par leur envoyer un programme avec des exercices mais on ne savait pas si ça allait durer trois semaines, un mois, deux mois. Au final, nous avons fait très peu de cours collectifs par Zoom parce que c’est très difficile de cette façon de corriger les élèves. Nous avons préféré faire des séances par un ou deux élèves, ou des exercices à filmer puis à renvoyer au professeur/à la professeure, qui donnait ensuite des corrections.

Pour garder le contact, j’ai tenu à écrire chaque semaine aux parents et garder ainsi le rythme de l’envoi du tableau de service hebdomadaire. Je suis restée beaucoup en contact avec les professeur-e-s, avec les équipes, avec le surveillant général qui me faisait remonter quelques problèmes et ajustements à faire.

 

Ce travail obligé en vidéo vous a donné envie de plus travailler avec l’image ?

D’habitude, je travaille très peu en vidéo, je préfère la sensation. Mais nous allons utiliser un peu plus l’image maintenant, à bon escient. Par exemple en filmant un cours et en le montrant aux élèves, ou en leur montrant trois semaines plus tard pour leur demander ce qui a changé ou non.

Les secondes divisions filles passant leur U.V. musique avec Scott Alan Prouty

Les examens de fin d’année se tiennent normalement en juin. Comment cela va-t-il s’organiser cette année ?

Nous ferons un contrôle continu qui ne prendra pas en compte le travail effectué pendant le confinement. Le fait de revoir toutes les classes va nous inspirer aussi. Nous allons surtout travailler sur la potentialité : est-ce que l’enfant a le potentiel pour suivre la division supérieure ? Et essayer de faire des divisions relativement équilibrées.

 

Et le recrutement pour le Grand stage de l’année prochaine est-il maintenu ?

Oui, c’est important de garder ce procédé, d’autant plus que nous avons déjà annulé le Stage d’été. Il est impossible de faire une audition normale en faisant venir 200 enfants à l’École, et ça n’aurait de toute façon pas été honnête de la faire en juin alors que la grande majorité des écoles de danse sont toujours fermées. La première épreuve, qui regarde les aptitudes physiques des candidat-e-s, va se faire par vidéo : je vais tourner des exercices très simples que les enfants me renverront. La deuxième épreuve, sous forme de cours de danse, aura lieu à l’automne si tout va bien, et les Grand-e-s stagiaires recruté-e-s démarreront leur année début novembre.

Maintenant, il faut travailler bien, tout de suite, ne pas se dire que la correction va arriver mais l’anticiper. Il faut faire fructifier cette période étrange.

La rentrée de septembre s’annonce forcément particulière. Comment se prépare-t-elle à l’École de Danse ? 

Je ne pourrai pas faire la grande rentrée habituelle avec tout le monde dans la salle de spectacle à 15h et un grand goûter dans le jardin. Je pars vers une rentrée sur deux ou trois jours, pour permettre tout de même aux familles d’installer leurs enfants dans les chambres. Pour l’instant, nous n’avons aucune information sur les consignes demandées pour cette rentrée, d’autant plus pour la gestion de l’internat. Si nous sommes obligés de le limiter, je privilégierai les plus jeunes qui n’habitent pas Paris. Aujourd’hui, le planning des cours de danse ne comprend pas de cours d’adage pour le premier mois. S’il faut rester à dix élèves par studio, je diviserai les cours complémentaires en deux groupes.

Les Démonstrations 2020 sont pour l’instant annulées, mais je suis en train de réfléchir à des solutions de remplacement, pour les faire autrement. Les plus jeunes seront en tout cas sur La Bayadère en décembre. Je dois mettre les élèves en condition de scène mais tout va dépendre des consignes sur la distanciation du public dans les théâtres. Nous vivons depuis le 17 mars avec des points d’interrogation.

 

Et sur le plan pédagogique, comment cela va-t-il s’organiser ? 

Le confinement a permis de développer entre les professeur-e-s et les enfants une relation différente, plus personnelle. À la rentrée, les élèves ne pourront pas la retrouver, ils ne seront plus deux par session de travail. Je ne pourrai pas non plus multiplier les cours. Les élèves de première division de cette année resteront à l’École l’année prochaine, ils n’auront qu’un cours de 1h30 pour préparer le concours de recrutement qui aura lieu quelques mois après la rentrée. Je n’avais pas plus à mon époque. Alors maintenant, il faut travailler bien, tout de suite, ne pas se dire que la correction va arriver mais l’anticiper. Il faut faire fructifier cette période étrange. C’est une maturité obligée mais les élèves s’y font.

 

La première division est une année charnière avant l’entrée dans le monde professionnel. Comment cela va-t-il se passer en septembre pour ces élèves ? Y a-t-il une date pour le prochain concours de recrutement pour le Ballet ? 

Pendant le confinement, les premières divisions ont travaillé sur le projet chorégraphique en ligne de la chorégraphe Didy Veldman, mis en place par la Royal Ballet School avec six autres écoles de danse internationales. Ça a donné aux élèves quelque chose de plus et ça les a nourris artistiquement. Les séances de travail sont terminées, le résultat devrait être en ligne début juillet.

Pour le concours de recrutement du Ballet qui est décalé, c’est difficile pour les élèves qui se préparent à ça depuis qu’ils sont rentrés à l’École. Pour qu’ils aillent bien, je dois aller bien, c’est un optimisme qu’ils me rendent par la suite. Je leur dis que ce décalage leur laisse plus de temps pour travailler, que ça ne change rien à leurs qualités intrinsèques. Je leur dis aussi parfois que je n’en sais pas plus qu’eux. Organiser un concours de recrutement en juillet n’était pas possible, on allait droit à des blessures. Alors ces cinq semaines de reprise sont cinq semaines de véritable travail, pour les remettre d’aplomb et dans la dynamique, dans un parcours. Le fait de redémarrer début juin avec uniquement les premières et secondes divisions nous a aussi permis de prendre du temps pour parler avec eux. Et la plupart feront le stage de Prague en août qui n’a pas été annulé.

Les secondes divisions garçons lors de la reprise

De façon pratique, comment vous organiserez-vous en septembre avec ces élèves qui n’ont pas pu passer le concours de recrutement ? 

J’offre une année supplémentaire à toutes les premières divisions d’aujourd’hui. Nous allons donc démarrer l’année avec deux premières divisions, bien séparées en deux groupes, jusqu’au concours de recrutement. Mais ça ne peut pas tenir l’année entière, il faut avoir quelque chose rapidement et aujourd’hui il n’y a officiellement aucune date de report pour le concours de recrutement. Une fois le concours passé, celles et ceux qui ne seront pas pris pourront rester jusqu’à la fin de l’année scolaire à l’École. Aujourd’hui, tous les élèves sont combatifs, ils y croient et ils veulent entrer à l’Opéra.

 




 

Commentaires (1)

  • Quoiqu’il arrive, la Danse est omniprésente dans nos corps et dans nos coeurs.
    Oui, il faut être inventif mais n’est-ce pas déjà dans notre Art où il faut toujours être prêt à modifier, à gérer des changements de planning au Studio, des absences, des blessures, des modifications d’espaces scéniques juste avant un spectacle? Nous allons gagné avec beaucoup de passion, de sagesse, mais nous allons gagné§
    Courage à nous tous, Artistes !!!

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