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Chorégraphes par temps de Covid – Germaine Acogny : “La danse, c’est n’importe quel corps !”

Germaine Acogny, la diva sénégalaise de la danse contemporaine, est la marraine de cette saison pas comme les autres du Théâtre de la Ville. En mars, elle présentera avec l’École des Sables au Sénégal qu’elle a créée Le Sacre du Printemps de Pina Bausch, dans un programme où elle dansera aussi un duo qu’elle a imaginée avec Malou Airaudo, danseuse du Wuppertal Tanztheater. Jusqu’au 6 décembre, c’est en solo qu’elle danse sur la chaîne Youtube du Théâtre de la Ville, À un endroit du début mis en scène par Mikaël Serre, lors d’un week-end qui lui est consacré. Comme les artistes du monde entier, Germaine Acogny a dû interrompre cours et répétitions lors du confinement quasi mondial du printemps dernier. Pour DALP, elle revient sur cette déflagration et la nécessité de s’adapter pour continuer à vivre.

À un endroit du début – Germaine Acogny

 

Comment avez-vous réagi quand la chape de plomb s’est abattue sur la planète et qu’il a fallu tout arrêter ?

Ce fut très dur parce que nous avions ce projet de monter Le Sacre du Printemps de Pina Bausch. 38 danseurs et danseuses de 14 pays d’Afrique étaient ainsi à l’École des Sables. Moi, je revenais d’une tournée. C’était le 25 mars et le spectacle devait avoir lieu dix jours après à Dakar, au Théâtre Daniel Sorano. Nous avions appris qu’en Europe, tout s’était arrêté mais au Sénégal, il n’y avait presque pas de cas de Covid, et même encore aujourd’hui. Tout le monde nous prédisait la catastrophe avec ce virus en Afrique. Eh non ! Et j’aimerais que l’on en parle car on n’en parle pas. On ne parle de l’Afrique que quand il y a des catastrophes. Pour revenir au Sacre du printemps, quand on nous a annoncé en mars que le spectacle n’aurait pas lieu, on était tous figés ! J’avais vu la répétition où tout était déjà en place, les costumes étaient prêts. Salomon, le fils de Pina Bausch, est arrivé à Dakar avec Malou qui fait un duo avec moi. C’était un dimanche, on a donc décidé de filmer le spectacle chez nous à l’École des Sables. Et Salomon a eu cette idée géniale : “On va à la plage !“. On a dansé dans le sable et ça été génial ! C’était au crépuscule. Je ne faisais que pleurer d’émotion. Et on a filmé pour pouvoir déjà avoir une trace de ce travail. Après cela, on a fait une fête gigantesque à la sénégalaise et il a fallu se séparer pour longtemps…

 

Le paradoxe de cette pandémie, c’est que tout le monde s’est adapté. Les artistes en particulier pour proposer des choses sur de nouveaux supports moins habituels. Comment avez-vous fait ?

Tout était arrêté mais on a découvert…. Zoom ! Alesandra Seutin, qui a pris la direction de l’école, a tout de suite dit : “On va faire les cours online“. Et ce fut un succès incroyable. Il y avait six professeur.e.s qui donnaient des cours tous les jours. Il y avait même une professeure qui avait son bébé dans le dos mais qui donnait tout de même son cours. Cela a permis de rapporter des sous car il fallait bien vivre. Et pour moi, c’était parfait parce que je pouvais regarder tous les professeur.e.s, je pouvais les corriger. Et j’ai découvert qu’on était ensemble, il y avait des élèves du monde entier qui nous ont suivis. Cela nous a donné des idées pour la suite et les moyens de diffuser la technique Acogny.

 

Le Théâtre de la Ville vous consacre un week-end avec de nombreux événements en ligne du 4 au 6 décembre, dont une master-class pour découvrir votre technique. Comment définiriez-vous votre parcours vers cette technique que vous avez inventée ?

Je savais que ce que je faisais était lié à la nature. J’ai été invitée en Chine en 1982 où il y avait les grands maîtres du Tai-chi qui avaient travaillé avec Martha Graham. Maurice Béjart avait déjà remarqué ma technique. J’ai aussi une fascination pour l’Asie et leur façon de penser. Il y avait tout cela en moi : l’Europe, l’Asie, l’Afrique, je me suis dit que c’était universel. J’avais fait mes classes à l’école Simon Siegel avec Marguerite Lamotte à qui je rends hommage, cette petite bonne femme m’a appris la discipline. Quelques années après, quand je l’ai revue, elle m’a dit : “Mais vous êtes noire !“. Elle ne s’était pas aperçue que j’étais la seule noire. Je trouve ça extraordinaire si je compare à ce que j’entendais de mon professeur de danse classique qui disait que j’avais de grosses fesses alors que j’étais très mince, moi je voulais ressembler à Françoise Hardy. J’avais de grands pieds plats et pourtant j’avais des entrechats 4 naturels. Un jour à la barre, j’ai fait un grand plié et je lui ai tiré la langue ! Et c’est comme ça que j’ai découvert le grand plié Acogny avec des ondulations. C’est bien par confrontation avec d’autres cultures que j’y suis arrivée. J’ai alors privilégié la colonne vertébrale qui est le serpent de vie, l’arbre de vie. La façon dont je la bouge est vraiment différente de Martha Graham ou d’autres car je suis passée par toutes ces techniques pour voir ce que moi je pouvais apporter.

À un endroit du début – Germaine Acogny

Vous avez aussi libéré les femmes et les hommes des canons occidentaux qui voulaient s’imposer dans la danse comme référence unique…

La danse, c’est n’importe quel corps ! Que l’on soit mince, gros, petit, grand… Moi, tous les corps m’intéressent. Il y a la colonne vertébrale et la nature. Pendant les cours online par exemple, quand les élèves étaient dans leurs salons, je leur faisais, imaginer le ciel, les arbres, le plus grand chêne un nénuphar. Et cet imaginaire les faisait sortir de leur chambre ! C’est ça qui a donné une forte identité à mon travail. L’École des Sables, c’était d’abord pour les danseuses et danseurs africains mais après, ils sont venus du monde entier. Au début du stage de six semaines, je demande aux étudiant.e.s de se ranger par continent et de réfléchir à ce que chaque continent peut apporter aux autres. Chez nous, chaque être qui vient retrouve son identité ou ses identités plurielles. Et ils se rendent compte qu’il y a en chacun d’entre nous un mélange. Je crois que les gens ont peur de la danse parce que c’est quelque chose de fort : on peut parler sans parler, crier sans crier, critiquer sans les mots. Les gens ont peur du corps.

 

Vous dites à la fois que vos chorégraphies et votre danse sont profanes mais en même temps, vous revendiquez l’héritage de votre grand-mère qui était une prêtresse vaudou. Comment mêlez-vous les deux ?

Parce que je fais bien la distinction entre le profane et le religieux. J’ai connu des chorégraphes qui se servaient des rites sur scène. Moi je ne le fais jamais. Parfois, on me demande de faire des cours de transe mais je refuse. Et je réponds que la danse elle-même est transe. Il y a certains mouvements qui amènent à la transe quand vous les exécutez sans avoir besoin de les nommer. J’invente autre chose que ces rituels mais les deux sont liés car pour moi, la danse, c’est une prière. Comme le jour et la nuit se mêlent, comme la mort et la vie se mêlent, pour moi les deux sont liés : le sacré et le profane. Mais je ne vais pas emprunter les rituels pour les mettre sur scène.

Les gens ont peur de la danse parce que c’est quelque chose de fort : on peut parler sans parler, crier sans crier, critiquer sans les mots. Les gens ont peur du corps.

Vous êtes femme et noire et vous avez évidemment été confrontée au patriarcat et au racisme. Comment avez-vous réagi au mouvement #Metoo qui contribue aujourd’hui à une libération des femmes ?

Je suis très heureuse d’être une femme parce que je peux jouer sur les deux tableaux. C’est plus facile pour une femme de se sentir homme, de montrer son côté masculin, qu’un homme de montrer son côté féminin. J’avais fait une chorégraphie, Fagaala, sur le génocide au Rwanda où je n’ai pris que des hommes. Je leur ai dit : “Vous allez montrer votre côté féminin“. J’étais très touchée car tous avaient cet amour de leur mère. Et j’étais très fier de ça. Bien sûr, avec ma notoriété, j’étais la “Germaine nationale”, les gens me respectaient mais il fallait que je sois propre comme ils disent. Il ne fallait pas que j’aie des amants ! Mon batteur me disait : “Je bats pour toi parce que tu es propre“. Je lui ai répondu : “Qu’est-ce que tu veux dire ?! Tu es gonflé, toi tu peux aller avec plusieurs femmes mais moi je ne peux pas aller avec des hommes“. Mais j’ai senti que, quand j’ai rencontré Helmut Vogt (ndlr : le compagnon de Germaine Acogny et cofondateur de l’École des Sables), les gens avaient plus de respect pour moi parce que j’avais un homme. Cela m’a un peu perturbée. Et quand j’ai quitté mon premier mari, j’ai élevé mes deux enfants seule, en Afrique il fallait la bénédiction d’un homme pour ça. J’ai ouvert mon école avant tout pour faire vivre ma famille et j’entendais des grosses voitures qui s’arrêtaient devant chez moi le soir. Je leur disais : “Les inscriptions, c’est entre 15 heures et 18 heures….“. Parce qu’une femme seule qui danse en Afrique, ça crée automatiquement des images ! Mais je n’ai pas trop souffert ni d’être une femme ni de racisme. Bien sûr, il y a eu des démêlés parfois mais jamais rien de très sérieux. Je crois que c’est avant tout une question d’éducation de la police, c’est une nécessité. Non, je n’ai pas eu de gros problèmes de racisme. Peut-être est-ce aussi lié à ma personnalité ?

 

Week-end dédié à Germaine Acogny au Théâtre de la Ville du 4 au 6 décembre : spectacles, documentaires, master-class et performances en ligne. 

 




 

 

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