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Rencontre avec Hélène Bouchet, Principal du Ballet de Hambourg de John Neumeier, pour ses adieux à la scène

L’Étoile Hélène Bouchet tire sa révérence ! Après 23 années passées au Ballet de Hambourg, la danseuse française a quitté à la fin de l’année la scène, et la compagnie dirigée par John Neumeier qui la recruta sur audition en 1998. Nommée soliste en 2003, puis Principal en 2005 – le plus haut grade à Hambourg, l’équivalent d’Étoile –  Hélène Bouchet a dansé les plus grands rôles créés par la chorégraphe américain. Elle a fait ses adieux le 27 décembre dans Christmas Oratorio I-VI après avoir repris le rôle de la Rose dans La Belle au Bois Dormant. La danseuse française formée à la prestigieuse école de Rosella Hightower à Cannes, puis engagée par Roland Petit au Ballet de Marseille, a reçu DALP cet automne, à Hambourg. Elle nous explique son choix de quitter la scène, revient longuement sur sa collaboration avec John Neumeier et évoque sa carrière au sein de l’une des plus grandes compagnies européennes.

Hélène Bouchet – La Rose dans La Belle au Bois dormant de John Neumeier

Qu’est-ce qui a motivé votre décision de mettre un terme à votre carrière au Ballet de Hambourg en cette fin d’année ? Est-ce que la pandémie a été un élément qui a influencé votre choix ?

La pandémie n’a pas accéléré ma décision mais elle est devenue concrète. Je savais que je ne danserais pas jusqu’à 50 ans car j’ai commencé très tôt. Et comme j’ai beaucoup dansé, j’ai eu la chance de faire beaucoup de rôles ici à Hambourg avec John Neumeier. Je me suis rarement blessée. L’épidémie de Covid m’a fait réaliser que j’étais heureuse avec ce que j’avais accompli. Et puis de voir le monde bloqué avec toute une génération de jeunes danseurs et danseuses, je me suis dit qu’il fallait aussi laisser une place pour qu’ils puissent commencer leur carrière. Un an et demi dans une vie de danseur, c’est énorme. Et que puis-je demander de plus ? Je pourrais évidemment continuer encore un peu mais j’ai trouvé le moment bien choisi, m’arrêter à un moment où je suis bien, où j’ai encore le niveau et ne pas être sur la pente descendante.

 

Quelle a été la réaction de John Neumeier quand vous lui avez fait part de votre décision ?

Il a compris. On en a longuement parlé. On se retrouvait dans une situation totalement incertaine. On travaillait mais on ne savait pas si on allait danser, qui allait danser, on ne savait rien, ni même quand le rideau pourrait à nouveau se lever. Le déclic, ce fut aussi mon fils de quatre ans à qui j’ai dû interdire un jour d’aller jouer avec son voisin parce que nous ne le connaissions pas. Je lui ai expliqué que ce n’était pas possible parce que je craignais qu’il ne soit malade. J’en ai pleuré, ça m’a détruite complètement. Et j’ai réalisé que toute une jeunesse était bloquée et on ne savait pas pour combien de temps. Et moi je suis prête pour ouvrir un autre livre qui va peut-être prendre longtemps pour s’ouvrir, je ne sais pas. Mais j’ai mon expérience alors que les jeunes ne peuvent même pas la construire. Un matin, je me suis dit qu’il fallait que je parle avec John. Il a mis du temps mais il a assimilé. Il m’a dit qu’il comprenait et il a été exceptionnel à ce niveau-là.

L’épidémie de Covid m’a fait réaliser que j’étais heureuse avec ce que j’avais accompli.

Il y a eu ce moment où tout s’est arrêté, sans vie, sans théâtre, confiné chez soi. Est-ce que cela vous a aussi aidé à ouvrir des portes pour l’avenir ?

Je les avais déjà ouvertes car j’avais anticipé. Je suis quelqu’un d’assez prévoyante et j’avais imaginé ce que je pourrais faire après ma carrière ici. Mais ce confinement fut aussi une période où l’on vivait en permanence avec ses proches, avec ceux que l’on aime alors que d’habitude tout se fait à 100 à l’heure : la classe, les répétitions, les spectacles. Et là, on se retrouve chez soi, sans un bruit, pas de voitures, on entend les oiseaux, les hérissons sortent de terre. C’est toute une série de petites choses de la vie que l’on avait oubliées. Et cela change les perspectives.

Helene Bouchet et Christopher Evans – Casse-Noisette de John Neumeier

Vous avez grandi dans le sud de la France. Vous avez suivi l’enseignement de la prestigieuse école de Rosella Hightower à Cannes. Qu’est-ce qui vous a conduit à Hambourg chez John Neumeier ?

Je ne connaissais pas son travail. Sa renommée n’était pas celle d’aujourd’hui où il est devenu l’un des plus grands chorégraphes. Chez moi, dans le sud, je n’avais jamais entendu parler de John Neumeier. Je travaillais à Marseille chez Roland Petit, en 1998 il était sur le départ. J’avais toujours travaillé avec un chorégraphe. Il était impensable pour moi de travailler avec un directeur, j’ai besoin d’un chorégraphe. Nous étions en tournée avec le Ballet de Marseille et un ami pianiste m’a dit : “Hélène, tu fais ta valise et tu pars à Hambourg passer une audition, j’ai tout organisé pour toi“. Je ne savais même pas où était Hambourg. J’arrive en Allemagne, ce qui était très loin de mes projets : je voulais rester en France et y faire carrière. Je me souviens, c’était l’hiver, il faisait froid, il neigeait. Moi qui viens du sud, j’avais dû voir la neige une fois dans ma vie ! Et l’Allemagne à cette époque-là était très différente : tout était fermé le samedi à 16h. Hambourg était toute autre qu’aujourd’hui. Et j’ai passé ainsi ma première audition, en me disant que ce n’était pas pour moi. Il fallait un collant rose et je n‘en n’avais pas, j’étais la seule en collant noir. On débute le matin par la classe et puis on passe à des extraits du répertoire de John Neumeier. On commence par Sylvia puis la Cinquième symphonie de Mahler. Et là, ce fut la révélation. J’ai eu un coup de cœur avec cette Cinquième symphonie et immédiatement je me suis dit qu’il fallait que j’intègre cette compagnie. Ça a été le déclic… et je ne suis jamais repartie, j’ai fait toute ma carrière ici. Ce fut un hasard mais un magnifique hasard.

 

Vous avez passé 23 ans dans la compagnie et vous avez dansé un très grand nombre de rôles. Quels sont ceux qui vous ont le plus marqué ?

On me pose souvent cette question mais ils sont si différents les uns des autres que c’est très difficile d’y répondre. Et parfois, des petits rôles m’ont plus marqué que de plus grands rôles. On pourrait dire spontanément : La Dame aux Camélias parce que pour une danseuse, c’est le rôle qu’il faut faire. Mais je pourrais dire que danser Un Tramway nommé désir est aussi intense. John Neumeier m’a donné beaucoup de challenges avec des rôles que je n’aurais jamais imaginé. Un tramway nommé désir m’avait tellement bouleversé qu’à la fin du premier acte, je suis sortie du théâtre et je me disais que j’étais émotionnellement incapable de danser le second. J’étais cassée en mille morceaux à l’intérieur par la folie de Blanche Dubois. La Dame aux Camélias, je l’ai apprise très vite, en trois semaines. L’avantage, c’est que l’on n’a pas le temps de se poser trop de questions, de se demander comment on va faire tel ou tel passage. Il faut y aller avec ce que l’on ressent. C’est aussi très stressant mais j’ai beaucoup aimé travailler de cette manière parce que cela m’a forcé à aller chercher à l’intérieur de moi ce que j’ignorais avoir.

John Neumeier m’a donné beaucoup de challenges avec des rôles que je n’aurais jamais imaginé.

Qu’est-ce que vous avez apprécié dans la manière de travailler de John Neumeier, de vous transmettre les rôles ?

Pour moi, c’est sa façon de m’expliquer un rôle et c’est très différent pour chacun. Parfois, il suffisait d’un mot pour que je comprenne. Et puis il y a ces moments de création où l’on part avec un sujet et on peut subitement aller dans une autre direction. Mais on trouve ensemble la voie pour arriver au ballet fini. Pour Purgatorio, il n’avait pas prévu au début de seconde distribution, donc c’était très intense dans le studio et on a développé tous les sentiments entre Alma et Gustav Mahler. Il n’y a que John qui sache de cette manière faire ressentir les sentiments entre ces deux êtres et les traduire. Quand j’ai dansé Sylvia que j’ai aussi appris très vite, j’avais du mal à m’identifier au personnage, surtout dans le premier acte parce que je ne suis pas quelqu’un qui est dans la force, je suis plutôt fluide. J’avais du mal à ressentir cette force, cette ambition du personnage qui ne me ressemble pas. Et juste avant le lever de rideau, John Neumeier est venu vers moi et il m’a dit : Je veux que tu sois toi.C’est tout. C’est toi qui vas en scène et c’est toi qui t’affirmes…“. Et j’ai pu aller sur scène en sachant que je pouvais le faire. Il y a une multitude de petites choses comme ça qu’il a su faire et dire au bon moment.

Hélène Bouchet et Carsten Jung – Turangalila de John Neumeier

Comment la danse est-elle arrivée dans votre vie ?

En fait j’étais très garçon manqué, j’aimais jouer au foot. J’étais une boule d’énergie et c’est ma tante qui a eu l’idée de me faire essayer la danse pour canaliser cette énergie. Dès mon premier cours, ce fut la révélation. J’ai dit : “C’est ce que je veux faire“. J’avais 8 ans.  J’étais très bonne à l’école mais la danse est devenue ma priorité. Je faisais de la musique, du sport mais la danse a tout emporté.

 

Quitter le sud et arriver à Hambourg, ce fut une période difficile ? C’est tout de même un arrachement ?

Quand Roland Petit a quitté le Ballet de Marseille,  je suis allée quelques mois à l’English National Ballet pour une production de Roméo et Juliette. J’ai beaucoup aimé Londres mais je ne me voyais pas y travailler. J’avais décidé que je viendrai à Hambourg. Il a fallu s’habituer, apprendre la langue. C’était dur mais c’est devenu mon pays. J’ai passé plus de temps ici  en Allemagne qu’en France.

J’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui m’ont tout transmis. J’estime que maintenant c’est à moi de le faire.

C’est aussi un pays qui a beaucoup changé depuis votre arrivée avec la réunification. C’est passionnant de vivre cela de l’intérieur ?

L’Allemagne s’est tellement développée durant toutes ces années ! La ville de Hambourg s’est métamorphosée et c’est un arrachement de la quitter. Ça me fait peur de revenir en France. C’est ma maison ici.

 

Et comment vous voyez la suite de votre vie ?

Positive ! Déjà, je termine ma carrière parce que c’est moi qui l’ai décidé, parce que je suis heureuse de le faire, que je n’ai aucune frustration ou manque. Je suis heureuse de pouvoir donner des cours et transmettre ce que j’ai appris durant toutes ces années, parce que j’ai eu la chance d’avoir des professeurs, d’anciens danseurs et danseuses qui m’ont tout transmis. J’estime que maintenant c’est à moi de le faire. J’ai envie de ça. J’ai aussi envie de complètement changer de vie parce que  la danse, c’est aussi une bulle protégée. Je suis ouverte à tout, je ne stresse pas, je pense qu’il faut que je ferme mon livre, que je prenne soin de mon petit garçon car cela va être un gros changement pour lui. Bien sûr, il y aura de la nostalgie mais je reviendrai ici travailler avec les jeunes danseurs s’ils ont besoin de moi. Je pars heureuse, sans aucun regret.

Hélène Bouchet – Tatiana

Hélène Bouchet danse pour la dernière fois au Ballet de Hambourg les 25 et 27 décembre, le rôle de la Mère dans Christmas Oratorio I-VI de John Neumeier.

 





 

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