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Rencontre avec Philippe Decouflé pour ses Nouvelles pièces courtes

Après Broadway et le Cirque du Soleil la saison dernière, Philippe Decouflé revient avec sa troupe pour sa nouvelle création, Nouvelles pièces courtes, comme un recueil de nouvelles dansées entre poésie, surprise et burlesque joliment décalé. Cette pièce tourne toute la saison un peu partout en France, avec notamment un passage au Théâtre de Chaillot du 29 décembre au 12 janvier. Rencontre avec Philippe Decouflé sur cette œuvre en constante évolution.

Philippe Decouflé

 

Nouvelles pièces courtes garde en apparence une certaine simplicité scénique. C’est une envie après l’expérience plus imposante de Broadway ?

Mon activité principale reste de faire des spectacles avec ma compagnie DCA, des spectacles qui sont de ce type-là. Contact, la précédente création, était quelque chose de plus gros mais c’était justement une exception, qui était d’ailleurs très compliquée à faire tourner. Avec Nouvelles pièces courtes, on est revenu à une équipe très sereine, joyeuse, travailleuse, qui s’entend très bien. L’équipe est essentielle pour un projet comme celui-là. Et j’avais envie de retravailler avec ma troupe sur des formats courts.

 

Pourquoi ce format court justement ?

J’ai toujours fait des spectacles séquencés à vrai dire. À Broadway, je devais produire une grande forme narrative de presque deux heures. Je voulais revenir aux fondamentaux de la danse moderne, ce que j’ai appris quand j’étais gamin et les compagnies que je voyais petit : Martha Graham, Merce Cunningham, même George Balanchine. Tous les Américains proposent des programmes composés de pièces de différentes époques, et c’est superbe. J’adore ce genre de chose. On ne fait plus ça en France, il faut maintenant absolument un format d’une heure. Je pense que c’est dû au fait que la danse a été reconnue comme un art aidé par l’État, qu’il y a désormais la notion d’oeuvre. Alors il faut à chaque fois faire une œuvre, longue, compliquée. Mais on peut parfois avoir envie de faire petit. Avec ce format, je peux assumer d’aller dans plusieurs directions sans me dire : “Ça ne va pas aller avec la partie théâtrale précédente“. Je peux donner à voir différents aspects de ce qui m’intéresse.

Nouvelles pièces courtes de Philippe Decouflé

Ce format court n’est pas parfois frustrant ?

Pas du tout ! J’ai déjà fait de grandes pièces, dont deux énormes la saison dernière, à Broadway et au Japon. Choisir la danse, c’est choisir une immense liberté dans la narration. Comme l’on n’est pas obligé de parler, cela peut être juste poétique, ou énervé, ou sur un feeling, ou sur des sensations. Je vois bien d’ailleurs quand nous faisons des captations, la moitié de ce que l’on fait en scène ne passe pas à l’écran. C’est une histoire de rapport direct entre le public et l’artiste. Il y a un truc, des vibrations dans la salle, c’est clair, c’est fort, c’est excitant ! Ça peut aussi rater, et parfois ça rate, mais quand ça arrive cela montre que c’est du direct.

 

Comment sont venues les idées pour ces différentes pièces qui composent le spectacle ?

Cela tient à différentes choses. Pour Duo par exemple, qui est d’ailleurs devenu un trio du fait de remplacements, je voulais travailler avec deux personnes que j’aime beaucoup, que j’imaginais bien ensemble, et que je savais bons danseurs, acrobates et musiciens. Je me suis arrangé pour qu’il y ait une alchimie entre eux, j’ai proposé des choses et construit autour d’eux. Cela a donné un tableau de 20 minutes, et ça se suffisait comme ça. Après, j’avais envie d’une danse très lyrique, très écrite, j’ai pensé à Vivaldi en hommage à ma mère disparue. Je me suis laissé aller à faire du néo-classique à ma manière. J’ai eu un vrai plaisir à re-écrire de la danse après cette expérience à Broadway désagréable à pas mal de niveaux. Faire de la danse me libère. La pièce Le trou porte sur la disparition de mon père. Je suis encore en train d’explorer ce passage, de voir ce que l’on peut faire avec.

 

Comment pouvez-vous faire évoluer ce passage ?

J’avais envie de travailler sur un puits et d’avoir un trou au centre de la scène. Il y a un très gros travail à faire dessus, avec toutes les manières que l’on a de sortir et de rentrer par ce trou. Il y a encore peu de circulation pour l’instant, c’est compliqué à régler et il faut que ça ait du sens. À Lyon, j’ai rajouté des pieds qui apparaissent à la place de la tête.

Nouvelles pièces courtes de Philippe Decouflé

Nouvelles pièces courtes est donc en constante évolution ?

Oui ! Déjà parce que le casting bouge. Nouvelles pièces courtes s’appelait Courtepointe pour sa première à Rennes, il y a un an. Le spectacle comportait déjà Vivaldis, Duo (devenu un trio par la suite), Évolution mais qui a énormément changé depuis. Il y avait aussi un grand truc qui commençait par Oops!… I Did It Again de Britney Spears et qui se continuait en un tableau vidéo totalement déjanté, que j’ai finalement enlevé. Je ne l’aimais qu’à moitié, j’avais l’impression que la distance avec Britney Spears n’était pas claire et ce n’était pas évident à assumer. Les pièces évoluent, le programme n’est pas toujours identique d’un théâtre à l’autre. Je compte créer de nouvelles pièces courtes cette année, d’en enlever certaines, d’en rajouter selon la réalité parfois sociologique du lieu. J’espère que ces pièces tourneront encore dans plusieurs années, peut-être que je changerais légèrement le titre à ce moment-là.

 

En quoi les contraintes techniques peuvent-elles influencer les changements du spectacle ?

Chaque théâtre a ses contraintes et sa réalité. À la Maison de la Danse, nous avons une grande avant-scène, dans d’autres théâtres nous n’avons pas de trappe pour Le trou. Nous avons déjà fait sans à Anvers, et ça marche très bien. Je compense en me mettant sur scène, comme j’aime bien danser. J’avais un duo en chantier avec Alice Roland depuis un certain temps, c’était l’occasion de le présenter dans l’état où il est aujourd’hui. C’est un bon défi pour nous, cela permet d’exporter des choses.

 

Et Voyage au Japon ? C’est une pièce un peu à part dans le spectacle, qui dure plus longtemps.

C’est la pièce la plus longue du spectacle et je viens de rajouter deux-trois minutes à ce tableau lors de la dernière répétition (ndlr : fin septembre 2017). J’avais déjà fait ce passage avant mais je l’avais enlevé car je trouvais le tableau un peu lent. Mais du coup, il n’était plus assez fou, j’ai donc rajouté des choses : une petite danse qui permet de déraper de façon intéressante et un haïku. Nous allons partir au Japon avec Nouvelles pièces courtes, et je ne suis pas sûr d’y montrer ce tableau, parce que c’est un regard de Français sur le Japon, et je comprends que cela puisse être mal perçu. C’est intéressant de se rendre compte que ce tableau est très français, et qu’il fait rire surtout les Français. À l’étranger, ça ne prend pas spécialement pour l’instant. Nos tourneurs italiens et allemands ont d’ailleurs des doutes sur cette pièce. Bientôt Alice Roland (l’interprète principale de Voyage au Japon) ne sera pas là, je vais la remplacer et on verra si ça marche. Je trouve en tâtonnant au fur et à mesure, on va explorer toutes les versions.

Nouvelles pièces courtes de Philippe Decouflé

Que voulez-vous explorer aujourd’hui ?

Visuellement, j’aimerais bien chorégraphier un typhon ! Johann Le Guillerm avait fait quelque chose de génial dans son spectacle Secret. Je m’intéresse toujours aux effets magiques, je suis toujours curieux. Aussi, j’ai toujours mélangé les genres, mais je n’ai pas encore employé de clown dans la compagnie, et j’en ai rencontré de grands avec le cirque. Le tableau sur le Japon me donne également envie développer quelque chose qui m’intéresse depuis le temps : le cinéma. Je développerais bien cette pièce avec une caméra plutôt que devant un public. Mon fantasme ultime serait de faire un long-métrage, dansé, joué et chanté. L’idée du voyage est drôle à travailler. On peut faire toute une série sur ce principe-là et faire le tour du monde. Les moyens de transport sont intéressants à traiter aussi. Mais je travaille de façon instinctive, j’ouvre des portes et je vois ce qui se passe. Développer ce genre de projet demande une longue préparation.

 

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