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Tero Saarinen : “Je porte en moi et dans ma danse l’histoire et l’environnement de l’Europe du Nord”

Tero Saarinen est l’une des têtes d’affiche du Festival Nordique qui a lieu au Théâtre de Chaillot du 16 au 27 janvier. Une occasion unique de constater la bonne santé de la danse contemporaine en Europe du Nord. Le chorégraphe finlandais y présente sa dernière création Morphed, une pièce pour sept danseurs où il s’interroge sur ce que signifie être un homme aujourd’hui. Tero Saarinen nous a parlé de la genèse de cette oeuvre, aussi de sa carrière et de la danse en Finlande et dans l’Europe Nordique.

Tero Saarinen

La pièce que vous présentez, Morphed, est interprétée uniquement par des danseurs, sans danseuse. Quelle était votre idée de départ qui a présidé à ce choix ?

J’ai senti à ce stade de ma carrière comme une urgence à m’explorer moi-même et mes racines comme danseur mâle : examiner tout ce que j’avais amassé au cours de mon travail comme expérience. J’ai eu une longue carrière de danseur et j’avais envie de transmettre quelque chose pour la génération suivante. J’ai eu aussi des discussions avec des danseurs qui venaient de différents horizons et qui n’avaient pas tous le même âge. Nous avons parlé de ce que cela signifie d’être un danseur mâle. Je voulais aussi trouver quelque chose de nouveau, de plus moderne et m’interroger sur ce que signifie le mouvement et comment on bouge dans le but de montrer des émotions et de les procurer au public. Et puis il y a eu la musique d’Esa-Pekka Salonen. Lorsqu’il a composé son Concerto pour violon, il était aussi à la recherche de nouvelles notes, de nouveaux sons, pendant que moi j’étais à la recherche de nouveaux mouvements sans inhibitions. Et ce fut le point de départ : pouvons-nous trouver le printemps du mouvement qui soit aussi sensible et fragile. Il y avait aussi cette interrogation sur la danse masculine : qu’est-ce qui lie les danseurs entre eux, comment se touchent-ils, c’est quelque chose qui n’est jamais discuté. Quelles sont nos préoccupations à ce propos ? C’est cela que je voulais explorer avec Morphed.

 

Pourquoi avoir choisi la musique d’Esa-Pekka Salonen ?

J’avais sa musique depuis très longtemps sur ma table de travail et je savais que je voulais travailler avec ce compositeur et chef d’orchestre. Et il est finlandais comme moi. Esa-Pekka Salonen dit aussi qu’il a souvent en tête le mouvement et la danse lorsqu’il compose. Par exemple, la seconde pièce que j’utilise, Foreign Bodies, Esa-Pekka Salonen l’a vraiment créée pour qu’elle soit chorégraphiée. J’ai choisi trois partitions : le Concerto pour violon, Foreign Bodies et le Concerto pour cor solo. Le travail du chorégraphe, c’est aussi d’essayer d’élever la musique de différentes façons. J’ai sélectionné ces trois pièces qui sont très différentes les unes des autres. Et j’ai eu un long et fructueux dialogue avec Esa-Pekka Salonen afin de justifier pourquoi je choisissais ces œuvres-là et pourquoi dans cet ordre. C’était très inspirant de pouvoir collaborer avec lui de cette manière, pas seulement utiliser sa musique mais comprendre pourquoi il l’avait composé.

 

Et cela vous a aidé pour écrire votre chorégraphie ?

Oui bien sûr ! Cela m’a permis d’approfondir mon travail. Il y avait vraiment une synchronie entre nous. D’une certaine manière, nous en étions au même point dans notre processus créatif respectif, tenter de trouver quelque chose de nouveau. C’était mon obsession : que puis-je créer qui utiliserait toutes mes expériences comme danseur classique, avec les arts martiaux et puis comme je le disais, transmettre cette expérience ? Au bout du compte, je pense que Morphed parle de l’humanité en général, pas seulement de la danse masculine. Il y a plusieurs niveaux de résonances et je pense que cela doit être toujours le cas.

 

Comment la musique est-elle arrivée dans votre vie ?

La musique fut toujours là dans mon histoire et tout d’abord dans ma famille. Personne ne jouait d’un instrument mais la radio était toujours branchée. Et j’écoutais toutes sortes de choses, le répertoire était très vaste. Ça pouvait être Chostakovitch ou Abba. Et nous écoutions de la musique de différents pays. Par nature, j’étais sensible à la musique qui m’a toujours donné des images et stimulé mon imagination avant même que je comprenne que l’on pouvait créer quelque chose à partir de cette musique. J’avais 16 ans quand j’ai commencé à danser. Je faisais beaucoup de sport mais subitement, avec la danse, j’ai compris qu’il y avait cette connexion entre la musique et le mouvement. Ce fut un bouleversement pour moi.

 

Quand avez-vous su que vous vouliez devenir un danseur ? Aviez-vous vu un spectacle qui vous avait inspiré ?

C’est vraiment lors de mes premières leçons de danse que j’ai compris ce que cela signifiait. J’avais 16 ans, ce qui est tard. Donc il n’était pas du tout certain que je puisse en faire mon métier. Et comme je vivais à la campagne, il a fallu que j’aille très vite dans la capitale Helsinki où est basé le Ballet National de Finlande. C’était le seul endroit à cette époque où vous pouviez rêver de devenir un danseur. Ce fut un processus très long pour comprendre que c’était possible pour moi de devenir danseur professionnel.

 

Et du coup, quand avez-vous pris conscience que vous souhaitiez devenir chorégraphe ?

Par accident ! Et aussi par besoin. Je me souviens dans les années 1980, lorsque j’étais dans une compagnie de ballet que je me sentais un peu frustré par les stéréotypes des rôles masculins que vous pouviez interpréter à cette époque. C’est alors que j’ai commencé à chorégraphier seul dans le studio en laissant les choses venir. Ce fut une voie pour canaliser toute mon énergie et lui donner une direction. Je ne me vivais pas comme chorégraphe mais je laissais juste certaines voix et certains mouvements sortir de moi. Et petit à petit, les choses se sont construites. J’ai fait quelques solos en public et quelque chose a fonctionné. Puis j’ai fait un duo. C’était vraiment un processus très lent et cela a pris du temps avant que je puisse me considérer comme un chorégraphe. C’est aussi pour cela que j’ai abandonné le ballet classique et que je suis allé au Japon pour y étudier des formes de danse traditionnelle et les arts martiaux..

 

Et c’est ainsi que vous êtes venu à fonder votre propre compagnie?

J’avais été invité par Ohad Naharin. Il est le premier à m’avoir invité à venir en Israël pour créer une pièce pour sa compagnie. Je me suis dit que j’allais essayer et j’ai rencontré des gens qui croyaient en moi et qui voulaient travailler avec moi. C’était une indication. Et c’est parce que ces gens ont cru en moi que je suis devenu chorégraphe. Au début, en Finlande, c’était un tout petit groupe autour de moi, puis cela a grossi. L’État nous a aidés et progressivement, la compagnie a trouvé sa place et un statut. Ce fut aussi un soulagement car je n’avais plus à m’occuper de tout comme au début, vous finissez par vous perdre comme artiste lorsque vous êtes obligés de faire aussi ce travail administratif. Et puis lorsque vous travaillez toujours avec les mêmes artistes, vous n’avez rien à prouver, juste à chercher de nouvelles façons de s’exprimer. Il n’y a pas besoin de prétendre être ceci ou cela. J’aime toujours collaborer avec d’autres compagnies mais je dois savoir pourquoi j’y vais et ce que cela signifie pour moi et pour les artistes. Faire avec ces compagnies quelque chose que je ne pourrais pas accomplir avec la mienne. C’est aussi très sain d’aller voir ailleurs de temps en temps et de vous confronter avec d’autres danseuses et danseurs, avec des histoires et une formation différentes.

Morphed de Tero Saarinen

En France, vous avez créé à Lyon, Marseille, pour le Ballet de Lorraine. Quels souvenirs gardez-vous de ces collaborations ? C’est très différent lorsqu’un chorégraphe travaille avec des danseuses et des danseurs qu’il ne connaît pas ?

J’adore ça ! C’est comme être sur le bord d’une falaise. Vous devez prouver que ce que vous proposez fait sens. Comme je le disais, c’est très sain de faire cela de temps en temps. Vous devez vous regarder dans le miroir, vous réévaluer. C’est aussi très excitant de rencontrer de nouvelles personnalités. Je me souviens en particulier des Noces que j’ai faites au Ballet de Lorraine où j’ai aussi travaillé avec le Chœur de l’opéra. C’était absolument magnifique. J’apprends beaucoup de ces différentes expériences, de ces artistes qui sont dans d’autres univers que le mien. Et puis, quand je vais créer une pièce pour une autre compagnie comme par exemple en ce moment pour le Ballet de Corée, je viens avec mon décorateur, mon éclairagiste, mon costumier, mon maitre de ballet et c’est comme si une partie de la compagnie allait là-bas. Il ya quelque chose de très beau dans cette rencontre. Ce n’est jamais bon d’être isolé et en Finlande, on a cette tendance à cause de la géographie. Donc j’espère poursuivre de cette manière : être ancré avec ma compagnie et continuer à aller à la rencontre des autres.

 

Vous venez au théâtre de Chaillot dans le cadre d’un festival nordique qui réunit des compagnies et des chorégraphes scandinaves et finlandais. Est-ce que vous vous sentez partie prenante d’une tendance ou d’une école qui unirait ces pays ?

Quand je fais une chorégraphie, je ne pense pas  que ce soit une pièce finlandaise ou que je fais de la danse nordique. Je veux faire une danse globale. Mais de fait, je porte en moi cette histoire et cet environnement des pays du Nord de l’Europe qui est composé à la fois de l’obscurité permanente de l’hiver et de la surexposition à la lumière l’été. On ne peut pas dénier ces éléments. Par exemple, je suis toujours très soucieux de la lumière dans mes spectacles. Je ne me demande pas pourquoi mais très certainement, cela est lié aussi à mon histoire et à ce rapport particulier que les nordiques ont à la lumière.

 

Mais est-ce que vous ressentez un lien particulier, une proximité avec des artistes tels que Mats Ek ou Alexander Ekamn ?

À un certain moment, j’ai pu penser qu’il avait quelque chose de similaire. Mais il y a une grande diversité parmi tous ces créateurs. Je pense qu’il se passe actuellement beaucoup de choses intéressantes en danse contemporaine en Suède, en Finlande, en Norvège, au Danemark, en Islande. Je ne dirais donc plus aujourd’hui la même chose car il y a réellement une très grande variété de styles avec une nouvelle génération de chorégraphes.

 

Que pouvez-vous dire aujourd’hui sur l’état de la danse en Finlande ? Vous expliquiez que dans les années 1980, il n’y avait quasiment que le Ballet National de Finlande.

Depuis que je dirige ma propre compagnie – cela fait 22 ans – il y a eu d’énormes changements. Surtout, ce n’est plus aussi cloisonné que ce le fut entre ballet classique et danse contemporaine. Je suis un exemple de ces danseurs qui ont débuté en faisant du ballet classique et qui aujourd’hui font de la danse contemporaine en utilisant toutes les techniques apprises, sans aucune discrimination. C’est un changement radical. Le public veut voir des spectacles de qualité sans se soucier du style. Ce public ne cesse de s’accroitre aussi bien le public qui allait voir des ballets classiques et qui vient aujourd’hui voir de la danse contemporaine que celles et ceux qui ont débuté leur vie de public en voyant nos spectacles. C’est très stimulant. Enfin, il y a cette chose importante : la construction d’une maison de la danse à Helsinki en 2020. C’est un moment clef dans l’histoire de la danse en Finlande car nous allons enfin avoir une maison pour toutes sortes de danses. Il y aura des studios de répétitions, deux théâtres. C’est vraiment très excitant pour nous.

 

Festival Nordique à Chaillot du 16 au 27 janvier.  Soirée d’ouverture le 16 janvier. Protagonist par le Ballet Cullberg (du 17 au 21 janvier), Morphed de Tero Saarinen (du 18 au 20 janvier), Kodak par le GöteborgOperans Danskompani (du 25 au 27 janvier), Tide/Scheherazade/Thewomanhouse par Bara Sigfusdottir/Ina Christel Johannessen (du 25 au 27 janvier). 

 

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