TOP

Femmes chorégraphes – Dix questions pour découvrir la formation “Les femmes sont là” de la Fabrique de la Danse

Lancée il y a trois ans, la Fabrique de la Danse est un incubateur de jeunes chorégraphes, proposant des formations à des créateurs et créatrices pour apprendre à mener à bien un projet. Pour janvier 2019, la Fabrique de la danse lance un nouveau programme réservé aux femmes chorégraphes. Intitulé “Les femmes sont là”, il part des chiffres persistants sur la faible visibilité des femmes chorégraphes en France. Alors que les talents et l’envie, eux, sont bien là. Développer son leadership et savoir se vendre, créer et gérer son réseau, savoir bien s’entourer… La formation veut jouer sur plusieurs créneaux pour briser le plafond verre des femmes chorégraphes, encore largement sous-représentées dans les programmations. Orianne Vilmer, présidente de la Fabrique de la Danse, nous présente ce projet. Vous avez jusqu’au 24 août pour postuler à cette formation gratuite.

 

La Fabrique de la Danse existe depuis trois ans. Comment avez-vous eu l’idée de lancer une formation spécifiquement pour les femmes ?

Dans notre incubateur, nous avons énormément de candidature féminine, 80 % la première année. Les femmes et jeunes filles représentent également 93 % des élèves d’écoles spécialisées. Pourtant, les femmes ne représentent que 37 % des chorégraphes actif.ve.s en France, 19 % des dirigeant.e.s des CCN. Un décalage que l’on retrouve dans la programmation des théâtres, où les femmes chorégraphes ne représentent que 30 % des spectacles. Et encore, cela descend bien plus bas si l’on enlève les icônes comme Maguy Marin ou Pina Bausch. Ces chiffres sont inquiétants. Idem pour les droits d’auteur, où en moyenne les femmes touchent 50 % de moins que les hommes. Il n’y a pourtant aucune de raison pour que le talent soit majoritairement masculin.

 

Justement, la culture du monde de la danse est de dire que seul le talent est récompensé. Que répondre à ça ?

La notion de talent est primordiale. Quand un programmateur ou une programmatrice dit “On ne recrute que sur le talent“, ils et elles ont raison. Pourtant, les chiffres sont très inégalitaires.  Alors qu’est-ce que cela veut dire ? Que la femme n’a pas de talent de chorégraphe ? Il n’y a pas de raison pour que, à la naissance, un homme ait plus envie qu’une femme d’être chorégraphe. Ces inégalités se créent avec les cadres dans lesquels on a grandi, et les modèles que l’on a eus – ou pas eus d’ailleurs.

Il faut aussi être conscient.e que, souvent, on associe le talent à la production finale. Or, les femmes chorégraphe reçoivent beaucoup moins de subventions que les hommes. Et quand on n’a pas beaucoup de sous, quand on ne peut pas payer des gens pour travailler avec soi, quand on ne peut pas y passer autant de temps qu’on le souhaiterait, la réalisation est moins forte, le talent moins mis en valeur. Quelqu’un avec beaucoup de talent mais sans moyen et sans équipe, on ne le verra jamais.

Il faut que les talents de demain soient les meilleurs talents possibles. Et comme dans le monde de l’entreprise, si on veut que l’art chorégraphique soit à son apogée, il faut donc aller les chercher partout.

 

À quel moment arrive le plafond de verre dans le parcours des femmes chorégraphes ?

C’est quand on a les compétences de bases, que l’on commence à être programmées. Et que l’on n’ose pas, on n’y arrive pas, on se vend moins bien. Là, ce n’est plus une histoire de “Je ne sais pas faire”, mais de “Savoir être”. C’est ce qu’on retrouve dans le monde de l’entreprise en général. En tout cas, quand on voit le nombre de candidatures féminines que nous recevons dans notre incubateur, c’est bien la preuve qu’elles ont envie.

Quelqu’un avec beaucoup de talent mais sans moyen et sans équipe, on ne le verra jamais.

Comment explique-ton ce plafond de verre des femmes chorégraphes au XXIe siècle ? Historiquement, la danse est plutôt en avance par rapport au monde de l’entreprise, avec dès le début du XXe siècle, des femmes qui créent, qui fondent leur compagnie…

C’est vrai. Mais aujourd’hui, le monde de l’entreprise est en avance par rapport au monde de la danse, et au monde de la culture en général. Cela va bien plus vite. Parce qu’aujourd’hui, dans l’entreprise, il y a des gens qui sont payées pour se poser ces questions de l’égalité. Il y a plein de programme pour le leadership des femmes, un vrai travail sur le sujet, une sensibilisation des hommes… Il faut aussi être conscient que beaucoup de femmes chorégraphes du XIXe et du XXe siècle ont tout simplement été rayées des livres d’histoire. Pendant 300 ans d’histoire de la danse, le talent, c’était l’homme. Et cette idée est toujours là.

 

On est ici sur la même logique que le monde de l’entreprise. Qu’est-ce qu’il y aurait de spécifique au monde de la danse dans ce plafond de verre ?

Personnellement, je suis passée par le cursus Danse contemporaine du CNSMDP. En cours de composition, les premières personnes que j’ai entendu dire “Je veux être chorégraphe“, c’était deux hommes. Pourquoi ? Mon analyse personnelle est qu’il y a tellement peu de petits garçons qui pratiquent la danse qu’ils sont très vite poussés, très vite mis en avant. Et qu’ils développent donc une confiance en eux, une capacité à aller plus loin et à écouter leurs envies que n’ont pas les filles où il y a beaucoup trop de compétition pour cela. Qu’est-ce qui fait que les femmes s’en empêchent ? C’est très compliqué à comprendre, c’est imprimé en nous, c’est l’inconscient collectif qui parle. En tout cas, nous nous posons la question de la sensibilisation dans les écoles de danse, même si la Fabrique de la danse est plus tournée vers les professionnel.le.s.

 

Quel est votre but avec cette formation “Les femmes sont là” ?

À court terme, c’est d’améliorer la visibilité des femmes chorégraphes. Tout découle de là : le financement, la programmation, de plus gros droits d’auteure… Et plus généralement d’augmenter le nombre de chorégraphes femmes actives, de casser ce rapport de “93 % des élèves d’écoles spécialisées sont des femmes, mais elles ne représentent que 37 % des chorégraphes actif.ve.s en France”.

 

Quel sera le programme de la formation Les femmes sont là ?

Le programme se déroulera sur 18 mois, avec des rendez-vous ponctuels de janvier 2019 à juin 2020. Cela se construit sur trois objectifs.

 

Quels sont ces trois objectifs ?

Le premier, c’est de développer son leadership : travailler sur la communication orale, apprendre à convaincre, à s’assumer. On est ici plus sur le développement des ressources personnelles. Si les femmes sont moins programmées et qu’elles osent moins demander de gros droit d’auteurs, cela veut bien dire que c’est dans la manière de se vendre qui pose problème. Les droits d’auteurs découlent de beaucoup de choses, dont le nombre de personnes présentes sur le plateau. Une pièce pour 50 artistes rapporte plus qu’un solo. C’est donc aussi apprendre à s’assumer : “Ok, je suis capable de faire de grandes pièces, avec beaucoup de monde. Je veux une grosse production, je suis capable de la vendre, de croire que je vais avoir les financements et d’aller les chercher“.

Le deuxième objectif est la mise en réseau : apprendre à mettre en place de gros partenariats, créer son réseau, se faire connaître, c’est aussi comme cela que l’on est programmé. Tout au long des 18 mois, il y aura des moments des rencontres avec des professionnel.le.s, des programmateurs et programmatrices. Aussi, se présenter à des concours de chorégraphes, et être bien préparées pour les réussir. Pour gagner ce genre de concours, il faut de la niaque, mais aussi oser et se donner les moyens.

Le troisième point est d’apprendre à bien s’entourer. Les femmes chorégraphes sont souvent très seules. Et quand on est seule, on a de plus petits défis, de plus petits combats, de plus petites pièces. Donc moins de dates, moins de droit d’auteur, un talent moins mis en valeur, etc. Notre formation veut donc les aider à être bien entourée, et donc que leurs productions puissent pleinement s’épanouir : comment créer un emploi, savoir de quelle compétence on a besoin, comment recruter un collaborateur ou une collaboratrice…

Il n’y a pas de raison pour que, à la naissance, un homme ait plus envie qu’une femme d’être chorégraphe. Ces inégalités se créent avec les cadres dans lesquels on a grandi.

Concrètement quel serait l’objectif de fin de formation ?

J’aimerais que toutes les chorégraphes de cette formation aient créé un emploi de plus. Qu’elles aient monté un partenariat durable avec un bel acteur culturel qui soit là pour la rendre visible. Et qu’elles aient une bien meilleure confiance en elle.

 

Qui peut postuler à cette formation ?

Cette formation s’adresse à des talents qui ont déjà été détectés, qui ont déjà fait des formes longues et qui ont déjà un partenariat. Comme vu ci-dessus, c’est quand on commence à avoir un peu de reconnaissance que le plafond de verre arrive. Nous avons 20 places, sans aucun critère de style ou d’esthétique. Danse contemporain, classique, hip hop, tango, cirque, danse traditionnelle… L’important est d’être dans la création, pas dans un travail de répertoire.

Les femmes chorégraphes peuvent postuler jusqu’au 24 août. La formation aura lieu à Paris mais s’adresse à toute personne domiciliée en France. Et cette formation est gratuite.

 

Poster un commentaire