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Soirée du Yacobson Ballet au Théâtre des Sablons, l’éloge de la simplicité

Pendant que l’actualité chorégraphique était concentrée autour de l’ultime coup d’éclat de Benjamin Millepied, le théâtre des Sablons à Neuilly-sur-Seine proposait une soirée dansée pour le moins éclectique, qui exhalait un doux parfum de simplicité. Du classique académique au romantisme abstrait en passant par une pointe décalée de contemporain, le Yacobson Ballet, troupe privée de Saint-Pétersbourg, a présenté un programme mixte intrigant sur papier. XIXe, XX et XXIe siècles se sont entrelacés dans une ambiance bon enfant qui a mis en lumière le ballet loin de ses alcôves guindées. Une soirée attendrissante qui a pu réconcilier les traumatisés du “mixed bill” avec un format qui pèche souvent par inégalité.

Les Sylphides - Yacobson Ballet

Les Sylphides – Yacobson Ballet

Un ballet où les genres sont revendiqués sans fard : les femmes vêtues de tulle blanc, couronne de roses dans leurs cheveux, en muses inspiratrices et l’homme en poète à la recherche de l’inspiration perdue… Des femmes “réduites” à l’état de Sylphide qui n’a pour autre fonction que d’être belle et de susciter chez l’homme un émoi créatif. Imaginez donc l’affront ! Les Sylphides (1909, Michel Fokine) a de nos jours tout d’un ballet réactionnaire pour les partisan.e.s de l’égalité des sexes. L’Occident s’en est massivement désintéressé et cette rêverie romantique qui a été reléguée au rang de vieillerie est devenue trésor gardé de Russie.

Le Yacobson Ballet s’en est emparé de manière classique (classique n’étant ici pas le synonyme d’ennuyeux), sans la beauté outre-monde que le titre du ballet laissait présager. Les couronnes étaient un peu tombantes, les bras un peu crispés et sur la musique qui grésillait dans les haut-parleurs, le tout donnait l’impression parfois d’un spectacle traditionnel de fin d’année. Alla Bocharova, un atout phare de la compagnie, a dansé une sylphide aérienne et racée, à l’élévation remarquable, avec un air de malice aux coins des lèvres qui semblait narguer le poète dans un jeu d”attrape-moi si tu peux” savoureux. En comparaison, le poète aux airs princiers semblait à la peine. Il n’a pas montré grande précision technique dans l’exécution de ses rares variations. L’homme étant ici le faire-valoir de la femme, le féminisme sur pointes prend quelque part sa revanche.

Paquita - Yacobson Ballet

Paquita – Yacobson Ballet

L’académisme de Marius Petipa, profondément ancré dans la tradition du Mariinsky dont Andrian Fadeev (directeur artistique du Yacobson Ballet) se revendique, a été magnifié par la performance de Daria Elmakova. Gracile mais solide dans le vocabulaire virtuose du grand pas de Paquita, elle a trouvé dans l’aisance technique d’Artem Pykharov un partenaire à sa hauteur. La musicalité du corps de ballet mérite d’être applaudie car l’absence d’orchestre dans la fosse rendait impossible la souplesse de la musique.

Il ne fallait pas tomber dans l’écueil des compagnies russes itinérantes avec une soirée fleurant la naphtaline ; le papier peint n’est plus à la mode dans la balletomanie contemporaine. Rehearsal, de Konstantin Keikhel, est venu aérer les pièces closes des chorégraphies du passé. Rehearsal se réclame de Fellini et emprunte à ce titre le climat de révolte artistique et la réflexion sur l’individualité de Répétition d’Orchestre. On retrouve dans la gestuelle quelques accents de Mats Ek et dans le ton l’autodérision dont est capable Jean-Christophe Maillot. Un véritable cirque en scène pour décoincer les zygomatiques. Peu importe les mérites – très relatifs – de la pièce, une telle initiative est toujours bienvenue tant elle casse la dynamique un peu trop prévisible d’un programme russe qui s’ouvre sur Les Sylphides.

Les Sylphides - Yacobson Ballet

Les Sylphides – Yacobson Ballet

C’est pourtant bien les poses inspirées des Sylphides habitées de l’oeuvre de Michel Fokine et le bas de jambe piqué de frénésie de la Paquita de Marius Petipa qui resteront en mémoire. Merci au Yacobson Ballet de les faire revivre sur scène et d’accepter, humblement, de n’être qu’un interprète parmi tant d’autres au fil des siècles.

 

Soirée du Yacobson Ballet de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Sablons à Neuilly-sur-Seine. Les Sylphides de Michel Fokine avec Alla Bocharova ; Paquita de Marius Petipa avec Daria Elmakova et Artem Pykharov ; Rehearsal de Konstantin Keikhel. Mercredi 3 février 2016. 

 

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