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L’irrésistible Corsaire de Kader Belarbi par le Ballet du Capitole

C’est un peu difficile à croire mais le Ballet du Capitole de Toulouse fondé en 1949 ne s’était jamais produit à Paris. C’est dire les fortes attentes qui entouraient la première du ballet Le Corsaire recréé par Kader Belarbi en 2013, dans une version – ou plutôt une vision – totalement rénovée, laissant de côté l’Orient de pacotille au profit d’une rédaction épurée et recentrée sur l’essentiel de la narration.

Le Corsaire de Kader Belarbi – Ballet du Capitole (Ramiro Gomez Samon et Natalia de Froberville)

Le Corsaire est une œuvre au destin contrarié. Sa création à Paris par Joseph Mazilier sur une partition d’Adolphe Adam en 1856 rencontra un vif succès mais tomba dans l’oubli. Et quasiment comme toujours, c’est la Russie impériale qui le remet au goût du jour avec des ajouts successifs, aussi bien du côté de la musique que de la chorégraphie. Du Corsaire, on ne connait souvent en France que ces morceaux de bravoure, vus et revus dans les galas. Et il fallut attendre la version reconstruire en 2007 au Bolchoï par Alexeï Ratmansky pour faire renaître cette œuvre majeure du répertoire. Pourtant, Le Corsaire mérite mieux que d’être confiné au rôle de pièces à concours. Il y a de quoi alimenter toutes sortes d’émotions contraires dans le poème de Lord Byron : l’amour, la jalousie, les tentatives de meurtre ou de viol. Dans cet Orient forcément compliqué, un sultan, une favorite, un corsaire et une esclave rivalisent de ruses et de perfidies pour vivre leurs destinées. 

Le défi pour Kader Belarbi était majeur : mettre en scène et chorégraphier Le Corsaire, grand ballet académique, avec une troupe de 35 danseur-se-s. D’emblée, cela semblait une gageure. Mais ce pari est incontestablement réussi. Pour y parvenir, l’ancienne Étoile de l’Opéra de Paris a balayé les couches de sédiments qui encombrent l’œuvre et nuisent à la narration (musique pauvre, intrigue emberlificotée qui perd le public). Réécrivant le livret, le chorégraphe a recentré l’action sur un couple vedette interprété le soir de la première parisienne par Natalia de Froberville, formée à l’école du Ballet de Kiev qui danse la Belle Esclave, et le cubain Ramiro Gomez Samon dans le rôle-titre.

Le Corsaire de Kader Belarbi – Ballet du Capitole (Ramiro Gomez Samon et Natalia de Froberville)

Avant d’évoquer la chorégraphie, saluons d’abord le formidable travail de la scénographe, Sylvie Olivé et du costumier Olivier Bériot. Deux pilastres blancs amovibles sur un fond gris-bleu merveilleusement éclairés par Marion Hewlett suffisent à évoquer une idée de sud maritime. Les costumes qui se déclinent dans un camaïeu de couleurs pastel sont un enchantement. Leurs richesses et leurs variétés sont un élément-clé du spectacle. Ils sont exactement comme il faut : une évocation d’un Orient fantasmé et luxuriant.

Mais comment précisément rendre compte sur scène de tout ce que peut évoquer cette atmosphère du Corsaireet en particulier les scènes de foule, avec une compagnie de 35 danseur-se-s ? Ne risquait-on pas d’avoir un goût de trop peu ? Mais Kader Belarbi a l’art d’occuper l’espace et de faire que les artistes sur scène l’investissent complètement. Ils sont toujours en mouvement et dotés d’une forte présence scénique, semblant ainsi se démultiplier. Et puis il s’y entend pour régler un ensemble et inventer un pas de deux. Le tout premier entre le Corsaire et l’Esclave est impeccable. Kader Belarbi chorégraphe ne cherche jamais à épater la galerie. Il conjugue avec précision et musicalité la grammaire académique agrémentée de quelques jolis portés acrobatiques. C’est de la pure danse classique magnifiquement servie par le couple vedette. Ils se retrouvent en point d’orgue pour le fameux pas de trois devenu pas de deux, exercice de virtuosité extrême qui prend de nouveau tout son sens lorsqu’il n’est plus montré comme numéro de cirque pour galas fatigués. Le partenariat entre Natalie de Froberville et Ramiro Gomez Samon manque parfois d’intimité et de profondeur, mais leurs solos sont interprétés avec brio et excellence technique.

Le Corsaire de Kader Belarbi – Ballet du Capitole (Natalia de Froberville et Ramiro Gomez Samon)

Un vrai regret tout de même pour cette soirée : l’absence d’orchestre dans la fosse. D’autant plus que Kader Belarbi avec la complicité du chef David Coleman a réinventé la partition en conservant la trame écrite par Adolphe Adam mais en y ajoutant des extraits d’autres compositeurs : Jules Massenet, Anton Arenski ou Jean Sibelius. Cette musique méritait d’être entendue en direct. Il faut toutefois se réjouir que le Ballet du Capitole et son directeur portent si haut les couleurs du ballet académique. Kader Belarbi fait la démonstration brillante qu’il est possible avec un effectif de 35 danseur-se-s d’aller à l’abordage du répertoire classique en proposant une vision renouvelée, inventive mais exigeante. À l’heure où l’avenir s’assombrit pour certaines compagnies nationales, c’est réconfortant !

 

Le Corsaire de Kader Belarbi par le Ballet du Capitole de Toulouse au Théâtre des Champs-Élysées. Avec Minoru Kaneko (Le Sultan), Ramiro Gomez Samon (Le Corsaire), Natalia de Froberville (La Belle Esclave) et Juliette Thélin (La Favorite). Mardi 20 juin 2017. À voir jusqu’au 22 juin.

 

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