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Soirée William Forsythe par le Semperoper Ballett de Dresde

Le Festival d’Automne s’est mis à l’heure William Forysthe pour son édition 2014, en consacrant de nombreux spectacles au célèbre chorégraphe. Le programme proposé par le Semperoper Ballett de Dresde était peut-être le plus alléchant de tous. D’abord parce qu’il regroupe trois ballets formidables – deux chefs-d’oeuvre et une récente création – tous représentatifs de la danse façon Forsythe. Ensuite parce que le spectacle permet de découvrir le Semperoper Ballett de Dresde, troupe pas vraiment reconnue en France mais qui fait parler d’elle depuis plusieurs années, notamment pour ses interprétations des ballets du maître (son directeur, Aaron S. Watkin, est un ancien danseur de William Forsythe). Qu’a donc donné le verdict ? Conforme aux attentes : un programme ciselé et de haute volée, où le génie de William Forsythe explose et fascine, porté par de fortes personnalités.

Steptext -

Steptext – Semperoper Ballett de Dresde

Créé en 1985, Steptext est l’affirmation du style William Forsythe. La base est la danse classique. Mais les pas sont étirés, déstructurés, transformés, poussés à l’extrême pour trouver cette nouvelle façon de danser. Une danse terriblement technique et difficile, où le chorégraphe joue des déséquilibres et du physique des danseur-s-es. Mais une danse qui n’en apparaît aux yeux du public que plus libérée et instinctive, d’où cette formidable énergie contaminante, à l’origine de ces si grands élans d’enthousiasme face aux ballets de William Forsythe.

Steptext ne se joue pas seulement des codes de la danse académique, mais aussi de ceux du spectacle. Le ballet démarre lumières allumées, lesdites lumières qui s’éteignent et se rallument au cours du ballet, jouant avec le public. Le quatuor d’interprètes s’arrête parfois au milieu d’une phrase, s’en va nonchalamment de scène comme en répétition avant de revenir d’un saut. La musique joue aussi à saute-mouton, brusquement coupée pour mieux reprendre au niveau d’une phrase musicale. L’oeuvre de Bach résonne avec la chorégraphie, sorte de fugue accordée à la partition. Deux danseurs sont les deux voix de la fugue, un couple se charge des variations du thème.

Steptext - Semperoper Ballett de Dresde

Steptext – Semperoper Ballett de Dresde

Les quatre interprètes du soir se plongent avec délice dans cette chorégraphie complexe. Chaque geste est ciselé au plus près, précis, profond. Leur savoureuse décontraction apporte tout le recul au ballet et évite d’en faire un simple exercice de style. Ils se lancent dans une variation avec élan, puis s’arrêtent, le regard de ne pas y toucher, comme si cela n’avait pas grande importance, avant de s’y replonger de plus belle. Le quatuor y ajoute même une certaine trame, créant comme une histoire à cette complexité chorégraphique. Au fur et à mesure du ballet, le couple et les deux Fugueurs se regardent, s’apprivoisent, se jaugent, s’essayent, se font peur ou se fuient avant de retrouver leur place.

Neue Suite est également un manifeste Forsythien, créé en 2012 pour ce Semperoper Ballett de Dresde. En une dizaine de pas de deux, le chorégraphe déroule sa façon se faire, sur le fond comme sur la forme, avec comme un hommage à l’histoire de la danse, des danses de cour à lui-même. Avec un peu trop de facilité ? La chorégraphie fourmille de détails, sans toutefois avoir ce vent de fraîcheur et d’instinct de l’oeuvre précédente. Les passages les plus marquants sont d’ailleurs des emprunts à des œuvres plus anciennes, comme New Sleep ou Sligerland. Ce dernier apparaît comme le plus fascinant des passages, véritable étude sur le pas de deux du Cygne blanc. Et si William Forsythe était le seul à pouvoir transformer la chorégraphie de Marius Petipa, qui semble si intouchable par tant de perfection ? Une envie subite arrive, celle de voir un jour le chorégraphe s’attaquer en entier à ce chef-d’oeuvre de la danse.

Neue Suite - Semperoper Ballett de Dresde

Neue Suite – Semperoper Ballett de Dresde

Les premiers pas de deux sont de gentilles moqueries face à la danse académique démonstrative. Les couples s’y présentent comme à un gala ou autres Concours de promotion. Sourires, regards perçants face au public, mais aussi cette irrésistible allure nonchalante. Les pas les plus académiques comme des doubles ronds de jambe en l’air s’enchaînent avec de grands battements en déséquilibres. Sligerland et New Sleep, qui sont moins dans cet état d’esprit, apparaissent aussi comme les plus aboutis. Ces pas de deux sont aussi l’occasion aux artistes du Semperoper Ballett de Dresde d’y montrer toute leur personnalité. Sangeun Lee, Jiří Bubeníček ou Elena Vostrotina s’y démarquent particulièrement. C’est la force de Neue Suite, savoir aussi laisser une place à des solistes différents pour mettre en valeur toutes les aspérités de la compagnie.

La soirée se termine par le chef-d’oeuvre (combien de fois ce mot a-t-il été employé dans cette chronique ? Mais l’expression ici ne semble pas dévaluée). In the Middle, Somewhat elevated. Créé pour le Ballet de l’Opéra de Paris, ce ballet est depuis entré au répertoire de très nombreuses troupes, devenant un classique à part entière. Le ballet auquel il faut se confronter un jour, qui fait partie du parcours de tout danseur-se-s classiques, comme les variations de Giselle ou le Grand Pas de Paquita (que William Forsythe admire tout particulièrement).

In the Middle, Somewhat elevated - Semperoper Ballett de Dresde

In the Middle, Somewhat elevated – Semperoper Ballett de Dresde

In the Middle, Somewhat elevated semblent être comme l’aboutissement des bases qu’a posé Steptext. On y devine tout l’amour du chorégraphe pour la danse classique et sa grammaire. Mais aussi son envie furieuse de la désaxer, de la malaxer, de bouger ses lignes. Le groupe apparaît parfois comme un véritable corps de ballet, avant d’exploser en multiples solos.

In the Middle se redécouvre à chaque fois, apparaît sous un nouvel angle par chaque nouvelle troupe qui s’en empare. Si l’Opéra de Paris la jouait combat et regard qui tue, le Semperoper Ballett de Dresde y plonge avec cette nonchalance évidente, irrésistible dans ce ballet. Quand lumières et musiques éclatent, les danseurs et danseuses apparaissent sur scène presque blasé-e-s, à peine un regard au public, avant de se lancer dans la danse. Venant de toutes les écoles, les artistes du Semperoper Ballett de Dresde se retrouvent par une danse plutôt athlétique. Ils se servent de leur force pour attaquer ces œuvres d’une technicité redoutable. Peut-être parfois un peu trop dans In the Middle, qui exige aussi une certaine sensualité dans les gestes. Le grand frisson est d’avoir l’impression qu’un mouvement est infini, qu’une arabesque peut se lever sans aucune barrière physique, sensation qui manque un peu avec cette danse plus athlétique. Seul Jiří Bubeníček et Sangeun Lee apportent à leur précision une grande fluidité et une souplesse de chat, sans jamais parler de contorsions.

Mais les danseurs et danseuses arrivent à trouver ce superbe équilibre : celui d’être à la fois un groupe et de laisser parler chacune des individualités. In the Middle, Somewhat elevated s’y redécouvre encore. C’est aussi la marque des chefs-d’oeuvre (oui, encore) : y voir de nouvelles choses à chaque fois. Sensation tenace que ce ballet réservera toujours des surprises.

In the Middle, Somewhat elevated - Semperoper Ballett de Dresde

In the Middle, Somewhat elevated – Semperoper Ballett de Dresde

 

Soirée William Forsythe par le Semperoper Ballett de Dresde, au Théâtre de la Ville. Steptext, avec Courtney Richardson, Michael Tucker, István Simon et Fabien Voranger ; Neue Suite ; In the Middle, Somewhat elevated, avec Elena Vostrotina, Sangeun Lee, Julia Weiss, Anna Merkulova, Raphaël Coumes-Marquet, Jiří Bubeníček, Johannes Schmidt, Sarah Hay et Alice Mariani. Mardi 28 novembre 2014.

 

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