À la rencontre des Ballets Jazz de Montréal et de “Dance Me”, leur ballet hommage à Leonard Cohen
Les Ballets Jazz de Montréal tournent quasiment tous les ans en France, mais sans forcément avoir les honneurs des grandes villes. Changement de cap cette saison, où la troupe est passée entre autres à la Maison de la Danse de Lyon (15 ans après son dernier passage) et est attendue du 16 au 18 décembre au Théâtre des Champs-Élysées, 40 ans après sa dernière tournée parisienne. Le spectacle proposé est en effet un événement pour la compagnie. Dance Me, chorégraphié à six mains par Andonis Foniadakis, Annabelle López Ochoa et Ihsan Rustem, est un hommage à l’immense Leonard Cohen, créé en 2017 lors des festivités du 375e anniversaire de Montréal. Le ballet a depuis tourné un peu partout dans le monde et a fêté sa 100e à Lyon, avant de repartir sur les routes en 2020. Le directeur de la troupe Louis Robitaille, et sa danseuse emblématique Céline Cassone, nous parle de cette pièce particulière et de leur compagnie jeune et enthousiaste.
“Monsieur Cohen“, voilà comment, Louis Robitaille, directeur artistique des Ballets Jazz de Montréal, parle de Leonard Cohen. Son ballet autour du chanteur, il le portait depuis plusieurs années. Et il a profité des festivités autour du 375e anniversaire de Montréal, ville de résidence des Ballets Jazz, pour le proposer. Car à l’image de cette ville entre Amérique et Europe, le chanteur était épris de contradictions. “Il a grandi dans les quartiers chics de la ville, mais a habité une fois adulte dans une rue populaire. Il est né dans une famille juive, mais était bouddhiste et a été beaucoup inspiré par la Bible pour ses chansons“, explique Louis Robitaille. Dance Me a été créé en 2017. Et si Leonard Cohen, décédé quelques mois plus tôt, ne l’a jamais vu en scène, il avait adoubé le projet.
Dance Me retrace les cinq saisons de la vie de Leonard Cohen, quelques-unes des femmes qui ont jalonné son parcours – à l’image de Suzanne, un duo où l’interprète Céline Cassone ne pose jamais le pied à terre. Mais le spectacle n’est pourtant pas biographique. Il s’agit plutôt d’une inspiration autour de ses chansons, des tubes ou non, piochées de son premier à son dernier album – “et la sélection fut dure, ce fut parfois comme des petits deuils de renoncer à l’une d’entre elles“. Un parti pris abstrait qu’a toujours souhaité Louis Robitaille car “une histoire sur des chansons, cela vire vite au kitch“. On est ainsi bien plus dans l’évocation, même si la silhouette de Léonard Cohen n’est jamais bien loin, par les costumes des danseurs et danseuses ou une projection finale. Les chorégraphes Andonis Foniadakis, Annabelle López Ochoa et Ihsan Rustem se sont partagé les chansons, même si l’ensemble reste cohérent. Et pour les danseurs et danseuses, passer d’un chorégraphe à l’autre est une habitude. “Nous donnons en général des soirées mixtes autour de trois chorégraphes, cela ne nous a donc pas vraiment changé“, raconte Céline Cassone. Danser sur le phrasé si particulier de Leonard Cohen était bien plus appréhendé par les interprètes. “Je ne pensais pas même que c’était forcément possible, mais une fois dans le studio, les choses se sont vite mises en place“, continue la danseuse.
Cette française passée par Béjart et le Ballet de Genève est devenue, depuis son entrée dans la troupe en 2008, l’une de ses figures marquantes. De par sa crinière rousse, surtout par son charisme et sa luminosité en scène. Dans Dance Me, elle est comme une sorte de personnage récurrent, faisant le lien avec les cinq saisons. Même si les 14 autres interprètes sur scène sont tout aussi irréprochables, mangeant la scène par leur énergie jamais prise à défaut. C’est d’ailleurs cette qualité qui a sauté aux yeux de Céline Cassone lorsqu’elle découvre les Ballets Jazz. “J’ai été soufflée par leur énergie“, se souvient-elle. “Je ne pensais pas pouvoir faire ce qu’ils faisaient. Surtout que je les ai découverts dans une pièce un peu afro-jazz, ce que je ne faisais pas du tout à Genève“. Mais la danseuse saute le pas et fait ses valises pour Montréal et cette troupe, dont elle est devenue au fil du temps une soliste incontournable.
Et pour s’adapter aux Ballet Jazz, il faut choper l’énergie, mais aussi l’état d’esprit. “Nous sommes une petite troupe de 15 danseurs et danseuses et nous sommes sur les routes 6 mois sur 12. Nous sommes comme une petite famille“, continue Céline Cassone. Fondée en 1972 par Geneviève Salbaing, la compagnie a pris un nouveau virage en 1998, quand Louis Robitaille a pris sa direction. “Aujourd’hui, nous sommes ce que j’appelle un ballet contemporain, avec le souci de travailler avec les jeunes chorégraphes talentueux de notre époque“. Benjamin Millepied fait ainsi partie de leur répertoire, comme Annabelle Lopez Ochoa ou Andonis Foniadakis, deux des chorégraphes de Dance Me qui collaborent régulièrement avec la compagnie québécoise. Les 15 artistes de la troupe viennent tous et toutes d’une base classique, “même s’ils sont allés explorer d’autres territoires, comme le contemporain, le hip hop, l’acrobatie, le chant…“. D’eux d’entre eux chantent d’ailleurs dans le spectacle, et il faut un sacré courage pour poser sa voix après celle si particulière de Leonard Cohen.
Cet hommage au chanteur a marqué un autre tournant dans la vie de la troupe, avec plus de 100 dates à son actif et une tournée un peu partout en Europe, aux États-Unis ou en Chine, et qui continue en 2020. L’on regrette cependant un matériau chorégraphique pauvre, peu renouvelé, qui n’est pas forcément à la mesure des 15 formidables danseurs et danseuses. Mais la mise en scène efficace, jouant des ombres et des lumières, mixant passages de groupes poussés par l’énergie et duos plus intimes, propose un spectacle qui ne souffre pas de baisse de rythme. Et ces chansons, forcément, nous replongent dans des souvenirs. Leonard Cohen a cette force de parler à tout le monde.
L’on sent que Louis Robitaille a mis beaucoup de lui dans ce projet, beaucoup d’années, d’argent, d’énergies et d’émotion. Mais après vingt ans à diriger les Ballets Jazz, l’envie de faire de nouvelles choses est toujours là. Et pour le futur, le directeur ne cache pas regarder vers les arts du cirque, si vivaces à Montréal. “Avec Les 7 Doigts de la main, nous nous connaissons bien“, glisse-t-il dans un sourire. Affaire à suivre ? On l’espère.
Dance Me par les Ballets Jazz de Montréal d’Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa, Ihsan Rustem, dramaturgie et mise en scène Éric Jean. Avec Céline Cassone, Yosmell Calderon, Artistes Brandi Baker, Jéremy Coachman, Kennedy Henry, Shanna Irwin, Terra, Hunter Kell, Elijah Labay, Marcel Méjia, Andrew Mikhaiel, Benjamin Mitchell, Saskya Pauzé-Bégin, Julia Radick, Madeleine Salhany et Ermanno Sbezzo. Vu à la Maison de la Danse de Lyon le mercredi 13 novembre 2019. À voir en tournée en France en 2019 et 2020, du 16 au 18 décembre au Théâtre des Champs-Élysées dans le cadre de la saison TranscenDanses.