Confinement – Pré-pros et sport-étude : continuer à bien s’entraîner (et à relativiser)
Le confinement met le monde de la danse à l’arrêt. C’est aussi le cas pour les élèves en sport-étude, ces jeunes entre 12 et 20 ans en pleine formation, qui se destinent à une carrière de danseur et danseuses professionnelles. Les conservatoires et écoles de danse sont fermées depuis la mi-mars et de grosses incertitudes pèsent sur leur date de réouverture. Alors comment gérer cette période si particulière quand on est en pleine formation, que l’on avait un examen important, que l’on s’apprêtait à passer des auditions et à se lancer dans la vie active ? Comment tout de même tirer profit de cet arrêt des cours forcé ? Quelle routine mettre en place ?
Nous avons demandé les conseils de trois professeur-e-s de danse qui sont en contact quotidien avec de futurs danseurs et danseuses professionnelles : Marie-Françoise Géry professeure de danse classique au CNSMDL, Nathalie Pubellier, professeure de danse contemporaine au CNSMDP et Luca Masala le directeur de l’Académie Princesse Grace. Leurs maîtres-mots : un entraînement intelligent, savoir relativiser et ne pas négliger son âme d’artiste.
On arrête de stresser
Quand on a 14, 15, 17 ans et que l’on se destine à la danse, s’arrêter deux mois – voire cinq comme cela se profile pour les écoles qui ne pourront pas reprendre avant septembre – l’angoisse peut être profonde. Comment ne pas régresser, ne pas se laisser dépasser par les autres ? En tout premier, on respire et on arrête de stresser. “Tout le monde s’en remet. En trois semaines, on reprend le niveau que l’on avait au dernier cours“, assure Marie-Françoise Géry. Et l’arrêt fait aussi partie de la vie du danseur/de la danseuse, aux gré des blessures et/ou des grossesses. “Au moment de la reprise, tous les professeur.e.s seront conscient-e-s de l’arrêt musculaire, personne ne va démarrer avec un cours incroyablement difficile“.
“En tant que professionnel, on sait que ce n’est pas si grave, on ne voit pas le temps de la même manière“, renchérit Nathalie Pubellier. “Avec la capacité et le désir, il n’y aura pas de soucis pour reprendre et retrouver son niveau. Le temps du confinement est un temps entre parenthèses. Mais c’est un moment riche pour nourrir son intériorité. Et tout ce qu’ils ont compris avant le confinement n’est pas oublié, il ne faut pas avoir l’angoisse de la régression“.
On ne fait pas non plus une fixette sur son poids, qui peut être source de stress notamment chez les jeunes filles. Pas de régime au programme mais “des menus d’athlètes équilibrés” pour Marie-Françoise Géry. “Si on prend 4 kilos en un mois, il y a clairement des habitudes à changer. Mais si on a pris 1 ou 2 kilos en trois mois, personne ne vous en voudra ! Et tout rentrera dans l’ordre avec la reprise“. Pour vous aider, n’hésitez pas à relire notre conseil nutrition pour les pros et pré-pros en confinement.
Pour s’entraîner, on n’a pas besoin de place. On a surtout besoin de beaucoup de motivation
Savoir se motiver
Au début du confinement, vous avez mis en place un programme précis. Mais au fil des semaines, la motivation s’est effilochée et vous avez du mal à la retrouver en sachant que vous n’allez pas retrouver les studios tout de suite. Et puis vous n’avez pas beaucoup de place pour travailler, il n’y a qu’un ordinateur pour toute la famille, vous êtes plusieurs dans un petit appartement… Autant de choses qui ne vous poussent pas forcément à vous mettre à la barre. De fausses excuses ? “Pour s’entraîner, on n’a pas besoin de place ou de pianiste. On a surtout besoin de beaucoup de motivation“, tranche Luca Masala. Pour tous, le premier point est de se fixer un planning “en fonction des impératifs familiaux” pour Marie-Françoise Géry. “Et à la fin de la semaine, on fait le point sur ce que l’on a fait et ce que l’on n’a pas été capable de faire“, continue Luca Masala.
La plupart des écoles organisent des cours en live et donnent des exercices. On n’hésite pas non plus à se fixer des rendez-vous avec ses camarades de promotion pour s’entraîner ensemble, ce qui est toujours plus motivant. Et il y a toujours des choses à faire, même si on manque d’espace. “Renforcer son centre, faire des balances, des équilibres, des relevés, on peut le faire partout“, explique Luca Masala. “C’est aussi à eux de montrer leur passion à leur famille et de trouver une solution“. Les résoudre ne donnera que plus de force lors de la reprise, avec une auto-discipline renforcée, qualité indispensable pour être danseur/danseuses. “Quand ils reviendront en cours, ils auront une optique différente de leur travail, de ce qu’ils veulent vraiment“. Et, toujours : savoir relativiser. “2-3 mois sans entraînement, on sait que ce n’est pas si grave quand on est professionnel, mais quand on a 15 ans, cela peut paraître énorme. C’est juste que l’on a pris un autre chemin“, résume Nathalie Pubellier.
Enfin il est important de se fixer un objectif et ne pas juste s’entraîner pour s’entraîner, cela aide aussi pour la motivation. Des petits objectifs suffisent, comme augmenter sa séance de cardio de quelques minutes chaque jour, rajouter une série de relevés chaque semaine… “La semaine suivante, on ne lâche pas ce que l’on a réussi à atteindre, et on va un peu plus loin“, précise Marie-Françoise Géry. “Mais c’est très important de ne pas se mettre dans la tête que l’on se garde en forme physiquement : on cherche plutôt à progresser dans ce que l’on peut faire“.
L’entraînement quotidien
En appartement, et d’autant plus dans un petit espace, on va éviter de se lancer dans les grands sauts ou de grands pas de pointes sur du carrelage. Rien n’empêche par contre la barre au sol, indispensable pour Marie-Françoise Géry, “cela doit être leur pain quotidien !“. Cette dernière préconise de démarrer par des étirements, puis d’enchaîner avec 30 minutes de barre à terre. Enfin une barre, par exemple celle d’Andrey Klemm. “Et l’on apprend à faire attention : où se place le bras ? Pourquoi ? Qu’est-ce que cela demande comme appui ?“. On enchaîne ensuite avec des séries de relevés, “entre 8 et 12, en-dessous ça ne sert à rien, au-dessus ça muscle trop“, en alternant sur deux ou un pieds, le rythme, etc. Enfin on n’oublie pas le cardio, “Jogging tous les jours !“. Les chanceux et chanceuses qui ont un jardin chaussent aussi leurs baskets pour quelques sauts mais “sans chercher la propreté, plus pour le rebond“. Les filles n’oublient pas non plus les pointes pour quelques relevés, même s’il ne s’agit pas là non de prendre des risques sur un mauvais sol. “L’important est de les garder pendant 20 minutes, pour que le pied soit dans le chausson, garder la corne… et l’habitude de ne pas être à l’aise dans le pointe“. Inutile néanmoins de culpabiliser si vous n’arriver pas tous les jours à suivre votre programme, “rattrapez-vous le lendemain avec un jogging un peu plus long“.
La barre au sol, cela doit être votre pain quotidien
Pour la danse contemporaine, Nathalie Pubellier recommande aussi la barre au sol quotidienne, pour travailler “la liberté et la mobilité articulaires, le travail des pieds, les étirements, la mobilité articulaire, le travail des appuis“. Pour le travail debout, on fait là encore très attention aux sauts. La routine dépend aussi de son âge, de l’avancement de sa formation. “On n’a pas la même autonomie à 14 ans qu’à 19 ans. Pour les plus jeunes, avoir une heure d’entraînement par jour, qui peut se faire en deux fois 30 minutes, cela peut suffire. Pour les plus grands en fin de formation, on est plutôt sur 4 heures par jour“. Pas évident par contre de recommander un cours de danse contemporaine en particulier, tant les techniques sont différentes. “Que l’élève se fasse confiance en trouvant un cours le plus proche possible de ce qu’il fait régulièrement avec son professeur“. Et de faire aussi travailler sa mémoire en reprenant des exercices qu’il a travaillés en studio.
Luca Masala préconise “deux barres par jour“, avec “des exercices simples mais à faire avec beaucoup d’attention“. Et l’on n’hésite pas à se filmer pour se corriger ensuite, “même si l’oeil d’un élève n’est pas celui du professeur“.
Être plus fort-e dans sa tête
L’absence de cours ne signifie pas forcément l’absence de progrès, notamment pour la question du mental et de son évolution personnelle. “Cette aventure va les nourrir dans leur désir de retrouver le mouvement dansé“, continue Nathalie Pubellier. “Nous n’avons pas le choix de cette pause. Alors profitons-en pour prendre le temps d’entendre certains mots comme l’importance de l’intériorité, prendre conscience et écouter son corps, qu’est-ce que ça veut dire que construire… Si les élèves prennent le temps de se demander ce qui est important dans la construction d’un corps, quand ils reviendront en cours, ils seront plus pertinents. Oui, ils auront progressé“.
Pour Luca Masala, ce confinement est aussi une épreuve pour la motivation de chacun. “2, 3, 4 mois sans cours de danse, c’est une épreuve qui peut facilement déstabiliser. Ceux et celles qui seront de retour en septembre, c’est que leur passion de la danse est intacte, c’est qu’ils sont faits pour la danse !“.
On cultive son âme d’artiste
Barre, cardio, étirements… Les danseurs et danseuses sont des athlètes, mais surtout des artistes. Et son âme d’artiste ne doit pas être oubliée. Le travail artistique peut ainsi être l’un de ses objectifs. “On peut par exemple se concentrer sur ses ports de bras pendant une semaine, se demander où se place le regard, les mains, ce que l’on en fait. Et quand justement on ne sait pas bien, on refait l’exercice les yeux fermés, pour sentir vraiment ce que font les yeux“, propose Marie-Françoise Géry.
Luca Masala encourage aussi les élèves à créer. “Donnez-vous une petite heure trois fois par semaine pour créer quelque chose. Mettez-vous une musique, classique ou non, et inventez une danse, même si c’est très minimaliste. Bougez dans l’espace et sortez toutes les frustrations que vous avez en vous“. Et pourquoi pas imaginer que cette danse soit pour une personne que vous aimez, une danse pour donner du courage à quelqu’un, à lui envoyer ensuite en vidéo.
Nathalie Pubellier évoque un petit travail d’introspection. “La danse, c’est toute c’est vie intérieure que l’on fait surgir“, rappelle-t-elle. “Alors c’est le moment de s’interroger sur ce que l’on a perçu du mouvement et travailler son ressenti interne“. Et de proposer comme une sorte de “méditation dansante“. “On s’assied avec un crayon, on réfléchit à une pièce que l’on a dansée, et l’on écrit toutes les actions que l’on traversait dans ce répertoire. C’est un véritable entraînement que de se rappeler ainsi d’une pièce chorégraphique et d’être capable de visualiser en profondeur les chemins que l’on traverserait comme si l’on dansait en grand“. On n’oublie pas non plus sa part de créativité : “Essayez d’inventer des danses, pourquoi pas des moments de partage avec le reste de la famille. Qu’est-ce que je peux inventer dans ma chambre avec tout ce qui se passe autour de moi ?“. Une façon de garder vive son âme d’artiste, mais aussi de se sentir mieux. “C’est un moyen de ne pas perdre ce rapport à l’imaginaire, mais aussi de s’évader quand on est confiné“.
Créer, c’est un moyen de ne pas perdre ce rapport à l’imaginaire, mais aussi de s’évader
Les auditions décalées
Le confinement est d’autant plus difficile à vivre pour ceux et celles qui s’apprêtaient à passer leur diplôme et à se lancer dans la vie professionnelle… et donc à passer des auditions pour des compagnies. Vous n’aviez pas encore trouvé de contrats ? Voyez tout de suite avec votre école s’il est possible de vous garder exceptionnellement l’année prochaine, la plupart sont en train de mettre ce système en place. Et dites-vous que ce temps de confinement vous aura appris l’auto-discipline. “N’imaginez pas que vous avez perdu quelque chose“, explique Luca Masala. “L’année prochaine, vous aurez gagné en maturité. Quand vous rentrerez dans une compagnie, vous aurez déjà fait face à la problématique de se gérer seul, ce qui est souvent difficile au début de sa vie professionnelle. Gardez l’esprit vif et soyez prêt quand la porte s’ouvrira, les compagnies peuvent avoir besoin de danseurs et danseuses en décembre ou janvier”.
Et encore une fois, relativisez : “Tout le monde est dans la même galère. Les compagnies ne peuvent pas auditionner aujourd’hui, mais si des places seront à pourvoir, elles le seront toujours à la fin du confinement, quand des auditions pourront être organisées“, rappelle Marie-Françoise Géry.
Du temps pour faire autre chose
Oui, vous êtes soucieux et soucieuses de continuer à progresser et garder votre condition physique. Mais le temps de confinement ne doit pas forcément n’être consacré qu’à l’entraînement. L’on n’oublie pas notamment le temps scolaire, “Les élèves qui ont le brevet et le bac, on révise !“, lance Marie-Françoise Géry. On profite aussi des nombreux spectacles mis à disposition sur le web. “C’est important de garder l’esprit ouvert, aussi pour le mental“, enchaîne Luca Masala. “On en profite pour regarder ballets, lire, écouter de la musique et se cultiver différemment, sur la danse comme sur l’art en général“. Nathalie Pubellier va aussi chercher quelques vidéos sur internet : “On n’hésite pas à réécouter des reportages ou des documentaires, comme ceux sur Jean Babilée. Il faut essayer de s’enrichir par d’autres moyens“.
Au moment de la reprise, Le corps aura un peu perdu, mais vous serez incroyablement motivés
À garder en tête
Les trois conseils de Marie-Françoise Géry ? “La discipline de son programme, garder la joie de vivre et aller dehors. Tout le monde est dans la même galère, la vie continue !“. Pour Luca Masala, “Dîtes-vous bien que, quand les cours recommenceront, vous ne repartirez pas de zéro. Le corps aura un peu perdu, mais vous serez incroyablement motivés“. Et Nathalie Pubellier de conclure : “Très rapidement, les élèves vont retrouver le partage en studio, vont redanser tous ensemble. Ce temps de confinement ne va pas les empêcher de danser dans un futur proche, c’est une petite pause sur le mouvement tel qu’ils ont l’habitude de le faire. N’oubliez pas que la danse est en vous”.
Borges Henriques
Bonjour je découvre un article très intéressant et j’en suis ravie. Merci à tous les professeurs et leurs conseils.
Merci pour cette publication.