Thierry Malandain : “N’ayez pas peur de venir au Temps d’aimer !”
Après six mois de fermeture et encore de nombreux doutes, les spectacles de danse reprennent doucement. Et la rentrée passera inévitablement au Temps d’aimer, du 10 au 20 septembre à Biarritz, festival qui fête ses 30 ans et mené par Thierry Malandain. Le chorégraphe et directeur évoque pour DALP la construction de cette 30e édition forcément particulière, l’évolution du festival au fil des années ou le retour attendu et espéré du public dans les salles.
Le Temps d’aimer marque traditionnellement la rentrée des spectacles de danse. Cette année, cette rentrée est très particulière, après six mois sans spectacle. Dans quel état d’esprit sont les équipes ?
L’ambiance est normale et on espère que tout se passera bien. Les techniciens sont ravis de reprendre le travail, eux aussi sont à l’arrêt depuis longtemps. Nous avons en fait passé les plus grosses épreuves. L’élaboration de ce festival a été compliquée, nous avons dû changer pas mal de choses dans la programmation, avec l’annulation du Ballet Royal de Flandre qui ne reprendra qu’en janvier, ou Roy Assaf, Sharon Eyal et le Xie Xin Dance Theatre qui ne pouvaient plus venir. Nous avons aussi changé tous les spectacles en extérieur, regroupés finalement au fronton du Parc Mazon, la Giga-barre sera limitée à 30 personnes. Mais cela reste un festival normal, d’autant que Biarritz n’est pas en zone rouge.
La grande question porte sur l’envie du public de retourner dans les salles. Comment se porte la billetterie à quelques jours de l’ouverture du festival ?
La billetterie reste un souci. Jusqu’à début septembre, nous étions en demi-jauge et les Ballets de Monte-Carlo, le Ballet du Capitole, la compagnie Massala et le Malandain Ballet Biarritz affichaient complet. Maintenant, nous sommes passés en jauge entière. Les mordus de danse se sont déjà précipités, comment vont réagir les autres ? C’est la grande question.
La question de l’annulation du Temps d’aimer s’est-elle déjà posée ?
Non. Le président de Biarritz Culture Jakes Abeberry tenait absolument à donner ce festival, surtout qu’il s’agit de la trentième édition. Mais si nous voulions le faire, on ne savait pas si nous aurions l’autorisation. Il y a d’abord eu la question de pouvoir répéter à nouveau pour les compagnies de danse. Les Ballets de Monte-Carlo, qui viennent pour cette trentième édition, l’ont eu depuis juillet et ils ont pu danser sur scène cet été. Mais en France, les consignes n’ont pas été claires tout de suite. En ce qui concerne les ballets, nous avons une réunion par semaine depuis la sortie du confinement. Le protocole donné par le ministère a été discuté avec nous mais il a mis du temps avant d’être officiel. D’un commun accord, nous avons parfois devancé les choses parce que l’on ne pouvait pas attendre, certaines compagnies ont ainsi repris le chemin des studios dès le mois de mai. Au Malandain Ballet Biarritz, nous avons attendu le 10 août pour reprendre pour des questions financières, les danseurs et danseuses pouvant rester au chômage partiel jusqu’à la reprise. Nous avons perdu 48 dates, cela fait beaucoup d’argent. La municipalité est attentive et j’espère que nous bénéficierons de l’aide débloquée en plus par le ministère de la Culture.
Quelles sont les consignes sanitaires aujourd’hui pour le Malandain Ballet Biarritz, que l’on verra au Temps d’aimer ?
Maintenant, la troupe prend le cours de danse ensemble – nous l’avions divisé par deux ou trois à la reprise – et nous répétons normalement. Tout le monde est testé chaque semaine ainsi que deux jours avant une représentation. Mais combien de temps allons-nous devoir subir ça ? Et quels vont être les protocoles des théâtres quand nous partirons en tournée ? Il y a encore beaucoup de questions.
Revenons à la danse : comment définiriez-vous cette trentième programmation du Temps d’aimer ?
Cette trentième édition n’a en fait rien de particulier dans sa programmation. Elle est plutôt comme à chaque fois : axée sur tous les types de danse. L’éclectisme est notre politique et j’y tiens. On nous l’a souvent reproché, comme si l’éclectisme était un non-choix, mais c’était mal comprendre la chose. Ce qui tue la danse en France, c’est justement le sectarisme. Notre volonté a toujours été de proposer des choses que les gens aiment, qu’ils ont envie de voir, et en même temps de leur faire découvrir des propositions artistiques qui vont les surprendre, ou qu’ils ne vont peut-être pas aimer. Mais c’est comme cela que l’on cultive un public, pas avec une programmation “table rase” que l’on fait trop souvent. À travers la programmation du Temps d’aimer, il y a ma personnalité, même si je ne programme pas uniquement ce que j’aime mais ce qui me semble intéressant.
Comment avez-vous vu évoluer le Temps d’aimer ?
Le festival a beaucoup évolué, pas forcément dans les spectacles en salle, mais par toutes les propositions extérieures. Quand nous sommes arrivés en 1998 avec la compagnie, on avait très peu de public, on dansait face à 300 personnes. Alors nous avons tout de suite proposé des choses à l’extérieur pour se faire connaître, des actions auprès du jeune public. Nous avons fait la même chose avec Le Temps d’aimer, en plus de cette programmation éclectique. C’est ce qui permet au public d’accéder à la danse et qu’il se décide à acheter son billet.
Y a-t-il une compagnie que vous êtes particulièrement heureux d’avoir fait venir au Temps d’aimer ?
Le Het Nationale Ballet qui est venu plusieurs fois avec des oeuvres de Han van Manen. J’ai toujours été un grand admirateur de ce chorégraphe, je me suis fait plaisir en présentant à Biarritz ses pièces comme 5 Tango’s, qui m’ont fasciné quand j’étais plus jeune. Si j’avais eu plus d’argent (sourire), j’aurais aussi fait venir le Birmingham Royal Ballet qui est une compagnie merveilleuse, ou Mario Schröder que j’adore. La ville fait son possible, mais pour le futur du Temps d’aimer, j’aimerais avoir un peu plus de budget, les voyages et cachets coûtant de plus en plus cher.
Que diriez-vous enfin au public pour l’inciter à venir au Temps d’aimer malgré les conditions actuelles ?
Je citerai le nom de la création de Christine Hassid, que l’on verra au Temps d’aimer : N’ayez pas peur !. Plus qu’Anthologie du Cauchemar présenté lendemain par le Système Castafiore, une compagnie que j’adore (rire). Mais oui, “N’ayez pas peur !“, c’est le bon titre. C’est assez fou ce qui se passe avec cette pandémie : elle condamne la danse et la relation avec l’autre. Mais le premier pas vers l’autre, dans la tradition, c’est la danse. Et nous nous appelons Le Temps d’aimer… Symboliquement, il ne peut y avoir que nous pour reprendre le chemin des théâtres.