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La danse de Gene Kelly en cinq vidéos

Il y a vingt-cinq ans, disparaissait Gene Kelly à l’âge de 83 ans. Acteur, chanteur, danseur, chorégraphe, metteur en scène, cette légende hollywoodienne est l’auteur de quelques-unes des plus belles comédies musicales de l’histoire du cinéma. Il a imposé un style de danse viril, très athlétique, fougueux et énergique. Retour sur cinq scènes cultes sélectionnées par Fanny Beuré*, universitaire et autrice de That’s entertainment ! Musique, danse et représentations dans la comédie musicale hollywoodienne classique. 

 

The Alter Ego Dance (extrait de Cover Girl de Charles Vidor, 1944)

C’est sans doute l’un des passages les plus connus de ce film. Si Cover Girl a été réalisé par Charles Vidor, cette séquence a été tournée par Stanley Donen, alors âgé de 19 ans et assistant du réalisateur. Cette rencontre marque le début de la collaboration entre les deux hommes qui se connaissent déjà. Tous deux réalisent ensuite de nombreux films comme le cultissime Singin’ in the Rain. C’est aussi dans Cover Girl que Gene Kelly fait ses vrais débuts de chorégraphe.

Dans cette scène, le danseur se demande s’il doit se résoudre à laisser partir la femme qu’il aime, jouée par Rita Hayworth. Commencée comme un solo, cette danse se transforme en duo grâce à l’intervention de son double symbolisé par son reflet dans une vitrine. “Gene Kelly a montré très tôt une appétence pour les trucages et les effets spéciaux. Pour obtenir cet effet on tourne deux fois la même séquence puis on les juxtapose.” La chorégraphie traduit le conflit intérieur qui agite le personnage et le laisse seul face à ses choix. Elle comporte plusieurs sauts spectaculaires caractéristiques du style du danseur pour suggérer une image de tonicité et de dynamisme.

 

 

La Cumparsita (extrait de Anchors Aweigh de George Sidney, 1945)

Dans cette histoire de marins en permission, Gene Kelly a pour la première fois Frank Sinatra pour partenaire. La scène de la Cumparsita est un songe dans lequel il courtise Kathryn Grayson, la vedette féminine du film avec une danse qui ressemble à un fandango. Tout le style de Gene Kelly hyper énergique, hybridation entre la danse et le sport, explose dans ce numéro où le danseur réalise lui-même ses cascades. “Il multiplie les démonstrations d’athlétisme sautant sur les parapets, escaladant les remparts et se balançant à une corde, évoquant à la fois le romantisme chevaleresque d’un Douglas Fairbanks et le panache d’un toréador.” Il remplit l’espace de sa danse “qui se joue à la fois des obstacles et de la gravité“.

Le caractère viril de son personnage, à la limite de la parodie, est accentué par la façon dont Gene Kelly est filmé, d’abord cadré en plongée puis de façon latérale. De cette façon, les spectateurs sont invités à adopter le point de vue du personnage de Kathryn Grayson, à sa fenêtre comme la Juliette de Shakespeare.

 

 

When You Walk Down Mainstreet with Me (extrait de On the Town de Stanley Donen et Gene Kelly, 1949)

Transporté par le ballet Fancy Free créé par Jerome Robbins en 1944 sur la musique de Leonard Bernstein, Gene Kelly est particulièrement enthousiaste de tenir le rôle principal de l’adaptation cinématographique et d’en signer la mise en scène. Dans cette séquence, il a pour partenaire Vera-Ellen et la danse est ici un préalable à la séduction. Alors qu’ils se chamaillaient, la danse joue un rôle d’apaisement des conflits entre les deux personnages.

Les deux artistes sont mis sur le même pied d’égalité. Toute la séquence est construite dans un souci de complémentarité hyper réglée. “Les deux danseur.se.s sont côte à côte pendant la plus grande partie du numéro et effectuent les mêmes mouvements : généralement ensemble mais parfois l’un après l’autre.” À tour de rôle ils amorcent le mouvement et se répondent, y compris par le son des claquettes “curieusement genré“. Ainsi, “alors qu’ils réalisent les mêmes pas sur le sol, ceux de Vera-Ellen semblent plus légers voire aigus” !

 

 

Broadway Melody Ballet (extrait de Singin’ in the Rain de Stanley Donen et Gene Kelly, 1952)

Ce morceau iconique dure 13 minutes. C’est un long moment dansé à l’intérieur du film, comme une parenthèse qui évoque l’arrivée à Broadway d’un danseur débutant. La longueur de cette scène fait écho à l’autre scène finale de Un Américain à Paris, film sorti un an auparavant. Gene Kelly a conçu et chorégraphié cette longue séquence. Lorsqu’il prépare ce passage, il choisit comme partenaire Cyd Charisse, une ballerine encore peu connue, pour incarner le personnage de la vamp en robe verte et carré à la Louise Brooks. Une femme forte, dominatrice que l’on découvre d’abord par ses jambes. Ce personnage va marquer les esprits au point que les spectateurs n’auront de cesse d’évoquer “la fille en vert”.

Broadway Melody Ballet s’apparente à une rêverie enchâssée dans le déroulé du film où les deux artistes délaissent les claquettes pour une danse plus aérienne. Là aussi toute la dimension athlétique du style de Gene Kelly irrigue la danse. Ce passage est composé de deux parties où le pas de deux prend des couleurs différentes, l’une sensuelle et provocante dans le bar clandestin et l’autre plus romantique voire nuptiale dans un décor céleste.

 

 

La danse d’Andy et Solange (extrait de Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, 1967)

Le film de Jacques Demy se revendique comme une déclaration d’amour au musical hollywoodien. Invité à danser dans Les Demoiselles de Rochefort, Gene Kelly accepte à condition de régler lui-même ses pas. Agé de 55 ans, il n’est plus le jeune danseur fringant, mais n’a rien perdu de sa superbe. En grand professionnel, il apporte la démonstration qu’il peut danser avec tout type de partenaire, y compris Françoise Dorléac qui n’est pas danseuse. Impressionnée par l’idée de travailler avec Gene Kelly, la jeune actrice est tétanisée. Il saura la mettre en confiance et ce duo est un moment de grâce.

Pour ce pas de deux en blanc où Solange et Andy se retrouvent dans le magasin de musique après leur coup de foudre fugace, Gene Kelly s’inspire d’un autre duo dansé avec Leslie Caron dans Un Américain à Paris. Une certaine nostalgie se dégage de sa présence dans ce film. À la fin de la séquence, les deux partenaires s’éloignent de dos. Comme une mise en scène prémonitoire des adieux de la grande star à la danse.

 

* Fanny Beuré est maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’Université de Lorraine. Elle est l’autrice de That’s entertainment ! Musique, danse et représentations dans la comédie musicale hollywoodienne classique (Sorbonne Université Presses, 2019) et a publié de nombreux articles scientifiques sur les séries télévisées musicales et les films musicaux classiques et contemporains. Elle co-anime avec Anne Marmiesse le podcast All That Jazz, consacré à la comédie musicale.

 




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