[Montpellier Danse] Mille et une danses (pour 2021) – Thomas Lebrun
Épopée festive et foisonnante à travers la danse du XXe siècle, Mille et une danses, la dernière pièce de Thomas Lebrun, créée lors de la 41e édition de Montpellier Danse, éveille en chacun et chacune de nous une furieuse envie de danser. Elle ne pouvait trouver meilleur écrin que ce festival qui a accueilli tant d’artistes (dont certain.e.s sont évoqué.e.s dans la pièce) et célébré avec ferveur la diversité du langage chorégraphique. Réfléchi en 2020 à l’occasion des vingt ans de la compagnie, ce spectacle se pare d’une dimension particulière en raison de la crise sanitaire qui a figé les élans créatifs et freiné les retrouvailles entre les artistes et le public. Quinze interprètes, plus quelques invités, se lancent dans ce marathon de virtuosité en y injectant leurs souvenirs chorégraphiques, leurs stocks de mouvements archivés qui ne demandaient qu’à remonter à la surface.
On ne voudrait nullement faire affront à Thomas Lebrun en esquissant un parallèle trivial entre les mashup de scènes de danse au cinéma qui font les délices des internautes et ses Mille et une danses. Mais si on ose d’emblée le rapprochement, c’est qu’il y a une extrême jubilation à découvrir au fil des deux heures que dure sa pièce les nombreux clins d’œil et évocations qui la jalonnent. Construite autour de six tableaux, elle nous embarque dans un voyage à travers des décennies de danse. Un périple sans chronologie évidente pour éviter sans doute de donner un côté trop didactique à cette “encyclopédie vivante, chorégraphique et performative, où autant de danses définissent autant de transmissions, du rire aux larmes, de l’humour au sensible, du questionnement au goût de l’autre”.
La première à se présenter sur le plateau nu est Françoise Texier, danseuse et pédagogue installée à Montpellier. Elle est l’une des invité.e.s que Thomas Lebrun a conviée pour grossir les rangs de la distribution et qui changeront au fil des représentations. Cheveux blancs, tenue noire, elle livre un solo puissant et d’une grande simplicité, qui cueille le public surpris par cette apparition. Petit à petit, les autres interprètes investissent la scène et elle se joint à eux comme un maillon de cette longue chaîne de transmission, “la base de la création” pour le chorégraphe. Dès son incipit, Mille et une danses s’impose ainsi comme une ode aux interprètes (les siens sont tous tellement investis), à ces passeurs d’histoires. D’ailleurs, beaucoup d’absents éclairent de leur douce lumière cette pièce et habitent le plateau d’une étrange façon.
Et pour cause… Pour cette création, le directeur du CCN de Tours a demandé à ses dix-neuf danseurs et danseuses (compagnons de plus ou moins longue date) et invité.e.s d’imaginer un court solo inspiré par leur rencontre avec une personnalité de la danse (chorégraphe, professeur.e, danseur.se…) qui a marqué leur parcours d’interprète : Bernard Glandier, Daniel Larrieu (pour lesquels Thomas Lebrun a été interprète), Andy de Groat, Odile Duboc et bien d’autres… Comme autant d’hommages qui se succèdent et se répondent, qui nous perdent un peu parfois, mais emportent la mise le plus souvent. Soudain, surgit un Faune… Plus loin, on reconnaît le style incisif de Ohad Naharin. Et quand Akiko Kajihara, dont on se rappelle soudain la belle présence dans Ils n’ont rien vu, pièce de 2019 inspirée de Hiroshima mon amour, s’élance au milieu des autres danseurs en robe blanche, sa longue chevelure dénouée accompagnant chacun de ses élans, c’est évidemment le souvenir de Pina Bausch qui vient nous étreindre.
La bande-son de la pièce réserve elle-aussi bien des surprises et participe à la réussite de cette entreprise malgré son côté apparemment décousu. Faisant cohabiter Beethoven et Purcell, en passant par Elvis Presley, The Doors ou Alphaville, elle s’apparente à une étonnante déambulation sonore qui fait aussi remonter les souvenirs à la surface. Par certains choix, elle accompagne voire souligne l’immense cri d’amour, d’hymne à la vie qu’on peut lire au creux de chaque geste.
Sans doute que les mois et les représentations inciteront le chorégraphe à couper ici et là pour resserrer la temporalité de cette pièce opulente, élaguer quelques longueurs (voire quelques facilités). Juste pour en faire davantage ressortir les bijoux enchâssés, comme ce solo interprété d’abord de dos en fond de scène puis face au public dans un rectangle de lumière en bord de plateau par Thomas Lebrun lui-même. Quelques ajustements qui ne devraient ni couper les ailes à la formidable énergie qui porte ces Mille et une danses, ni en atténuer l’exubérance, ni affaiblir les émotions qu’elle suscite, en particulier cette joie immense d’être au monde.
Mille et une danses (pour 2021) de Thomas Lebrun à l’Opéra Comédie dans le cadre de Montpellier Danse avec Antoine Arbeit, Maxime Aubert, Julie Bougard, Caroline Boussard, Raphaël Cottin, Gladys Demba, Anne-Emmanuelle Deroo, Arthur Gautier, Akiko Kajihara, Thomas Lebrun, Cécile Loyer, José Meireles, Léa Scher, Veronique Teindas, Yohann Têté et cinq personnes invitées selon les représentations. Mardi 29 juin 2021.
À voir en tournée la saison prochaine, dont du 6 au 9 avril 2022 à Chaillot – Théâtre National de la danse