[Le temps d’aimer 2021] – Ballet de l’Opéra de Bordeaux, Collectif Bilaka, Ballet du Rhin
Dans la programmation de sa 31e édition, le Temps d’Aimer a fait la part belle aux ballets des maisons d’opéra. Ainsi le ballet de l’opéra-théâtre de Metz métropole a présenté Indicible Beethoven de Gilles Schamber dont DALP avait vu la première en mars 2020 juste avant que le premier confinement ne ferme tous les théâtres. Invité du week-end de clôture, le Ballet de l’Opéra de Bordeaux a proposé un programme pluriel entre répertoire classique et signatures contemporaines. Le Ballet du Rhin, a, quant à lui, dévoilé son ballet Les Ailes du désir de Bruno Bouché d’après le film de Wim Wenders. Enfin, comme à son habitude, le festival a mis en valeur la création euskarienne et permis à des compagnies comme le collectik Bilaka d’apporter la démonstration de la vivacité des danses et musiques traditionnelles basques.
En ouverture de la soirée proposée par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, Step Lightly saisit d’emblée par sa poésie. Créée en 1991 pour le Nederlands Dans Theater par le duo de chorégraphes Sol León et Paul Lightfoot, cette pièce dégage une beauté plastique sublimée par les magnifiques voix du chœur Le Mystère des Voix bulgares. La pièce s’ouvre toutefois dans le silence, avec les six danseurs et danseuses roulant lentement sur eux-mêmes de cour à jardin. Le calme avant la tempête, car le rythme s’emballe au fur et à mesure que la pièce avance. La danse est énergique, très ancrée dans le sol, avec des portés savants et des ruptures qui exacerbent le mouvement à la manière de Mats Ek.
Dans leurs longues robes de velours vert (conçues par Sol León), les quatre danseuses s’envolent littéralement. Légères quand il faut ou plus terriennes, elles sont précises dans chacun de leur déplacement et déploient une belle énergie. Parfois, quelques bribes de danses folkloriques d’Europe de l’Est apparaissent au détour d’un enchaînement. Les deux garçons se mettent à l’unisson de cette ode à la nature dans un décor très végétal baigné de magnifiques lumières. Le résultat est fort bien exécuté avec un engagement réel du sextuor pour cette pièce. Une reprise réussie.
Plus étrange est l’enchaînement avec le pas de deux de Spartacus, ballet créé en 1956 pour le Kirov par Leonid Jacobson. Censé jeter une passerelle entre Step Lightly et Celestial, les deux pièces recréées et transmises au corps de ballet, cet extrait aurait davantage sa place dans une soirée qui enchaînerait des solos et des pas de deux des grands ballets du répertoire. Mais comme ce type de soirée constitue aussi l’occasion de découvrir une compagnie, ce pas de deux permet d’en montrer toutes les facettes et sa capacité à être à l’aise dans tous les registres. En effet, Diane Le Floc’h et Neven Ritmanic déjouent très bien les chausse-trapes que recèle l’Adagio de Spartacus et Phrygia. En épouse aimante, la première affiche une technique solide et de belles lignes de bras et de jambes. Le second, toute en puissance et en maîtrise, interprète un guerrier fier à l’allure princière.
Celestial de l’Américain Garrett Smith clôt le programme. Créé pour le ballet du Mariinski en 2017, cette pièce pour sept danseurs est ici servie par quasiment le double d’interprètes. Deux fois reportée en raison de la crise sanitaire, cette récréation ne demandait qu’à éclore. Evoquant un royaume spirituel de la théologie mormone, la pièce se déploie dans un univers drapé de grands voiles immaculés. Pour le chorégraphe, il s’agit de nous plonger dans “un lieu sacré, de paix, de bonheur et de pureté où la famille et les amis sont réunis“. Les pas tout en légèreté suggèrent cette immatérialité. En une sorte de vague perpétuelle, les danseurs et danseuses traversent la scène d’un bout à l’autre en tournoyant. La chorégraphie néoclassique est centrée sur les portés, souvent audacieux où la danseuse passe parfois entre les bras de plusieurs danseurs pour complexifier le mouvement. La compagnie se coule avec aisance dans la géométrie au cordeau du chorégraphe.
Implanté à Bayonne, le collectif de danseurs et musiciens Bilaka perpétue les danses et musiques traditionnelles du Pays basque en l’irriguant de questions contemporaines. Bilaka interroge avec beaucoup de pertinence ce qui constitue l’identité de chacun.e et comment continuer de faire vivre le patrimoine dont chacun est un peu dépositaire. Dans Saioak, les quatre interprètes se livrent donc à une exploration introspective de ce que leur corps a intégré, la technique affutée de sauts de la danse basque (qui n’est pas sans rappeler la batterie de la danse classique) mélangée aux apports contemporains. C’est là où réside tout l’intérêt de la pièce, moins dans l’utilisation excessive des installations vidéos à laquelle trop souvent de plus en plus de compagnies cèdent. Il est presque dommage de masquer cette virtuosité revigorée par des écrans qui brouillent souvent l’intention.
Pour la dernière soirée du festival, tous les regards étaient braqués sur Les ailes du désir, la nouvelle création de Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’Opéra national du Rhin. En gestation depuis plus d’un an, elle est présentée comme une grande fresque mobilisant la totalité de la compagnie. S’emparer du cultissime film de Wim Wenders quasiment 35 ans après sa sortie en salles est audacieux et suscite beaucoup d’attentes. Jusqu’à présent, seul Nacho Duato en a livré une adaptation chorégraphique, en 2008 pour la Compañía Nacional de Danza. A tort ou à raison, j’avais fait le choix de ne pas revoir le film, pour aborder la pièce uniquement accompagnée du souvenir de Bruno Ganz contemplant les hommes du haut de son ciel berlinois.
Très attendue, cette pièce nous a cependant laissé un sentiment mitigé, en dépit du magnifique engagement des interprètes de la compagnie et de belles trouvailles scénographiques. Mais à l’issue de la représentation, de manière assez inaccoutumée, Bruno Bouché a envoyé un message déplorant que “de nombreuses erreurs techniques notamment sur les lumières avaient beaucoup abîmé la profondeur du propos et des émotions sur les différentes scènes et transitions.” Il invitait journalistes et professionnels à venir revoir la pièce. Devait-on céder à la demande d’un créateur estimant que ces erreurs avaient “entravé” l’avant-première des Ailes du désir ? Et reporter la rédaction de notre chronique ? DALP a décidé de retenir cette option et de communiquer en toute transparence. Rendez-vous en novembre pour un regard complet sur cette création.
Step Lightly, Spartacus, Celestial par le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux à la Gare du Midi. Step Lightly de Sol León et Paul Lightfoot. Pièce pour 6 danseur.euse.s. Spartacus de Leonid Jacobson. Pas de deux. Celestial de Garret Smith. Recréation pour 13 danseur.euse.s. Vendredi 17 septembre 2021.
Saioak par le collectif Bilaka au théâtre du Casino. Avec Arthur Barat, Zibel Damestoy, Oihan Indart, Ioritz Galarraga. Musiciens : Patxi Amulet (claviers, accordéons, chant), Xabi Etcheverry (violon, alto, guitare), Valentin Laborde (vielle électrique). Création vidéo : Mickaël Vivier. Vendredi 17 septembre 2021.
Les ailes du désir de Bruno Bouché par le CCN- Ballet de l’Opéra national du Rhin. Dimanche 19 septembre 2021. À voir du 30 octobre au 4 novembre à l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg. Et du 13 au 15 novembre à La Filature de Mulhouse.