Transversari – Vincent Thomasset et Lorenzo De Angelis
Le Festival d’Automne a la bonne habitude de prolonger son offre prolifique dans les premiers jours de l’hiver. Le Carreau du Temple a ainsi accueilli en ce début du mois de janvier Transversari de Vincent Thomasset, un solo explorant l’imaginaire des hikikomori, mot japonais désignant ces jeunes gens qui vivent reclus et solitaires, ne sortant de chez eux que très occasionnellement. Pour la plupart d’entre eux, leur rapport au monde se limite aux écrans de l’ordinateur ou des jeux vidéo. Le metteur en scène et chorégraphe s’est appuyé sur ce phénomène et cette problématique pour bâtir une pièce sombre et envoûtante, magnifiquement portée par Lorenzo De Angelis.
C’est au Japon, au début des années, 1990 qu’est apparu ce phénomène des hikikomoris. S’il n’y a pas de portrait type, cette attitude concerne presque exclusivement des jeunes hommes qui décident à un moment donné de se couper du monde, d’annihiler toute relation sociale qu’elle soit familiale ou amicale. Cette réclusion choisie a été longuement décrite par des écrits savants multiples car elle dépasse le seul Japon. Ce comportement névrotique trouve un écho tout particulier ces jours-ci en pleine pandémie, quand la terre entière a vécu dans un confinement forcé, atomisant la société et induisant une solitude forcée dont certains ont éprouvé quelques difficultés à sortir.
Que faire de tout cela ? s’interroge Vincent Thomasset. Qu’est-ce que ce phénomène, moins minoritaire que l’on ne pourrait croire, dit du rapport au corps qui devient l’univers unique exclu de toute interaction ? Paradoxalement, cette mise à l’écart radicale du monde aiguise la palette sensorielle de ceux qui s’y soumettent, et c’est cela que nous raconte sur le plateau Lorenzo De Angelis. Dans une scénographie japonisante, composée de banquettes de bois surélevées à différents niveaux et d’un écran sur lequel rien n’est projeté mais qui sert à produire des ombres chinoises, on suit la routine et le voyage de cet homme dissimulé derrière un masque qui lui recouvre tout le visage. Il arrive lesté d‘un bric-à-brac dans lequel on discerne un tutu, un cor, un casque, une épée et une quantité d’objets dont il se déleste, comme pour s’alléger du monde matériel. Débute alors un rituel de l’enfermement que mime magistralement Lorenzo De Angelis. Tout semble partir des mains, celles qui tapent frénétiquement sur les claviers d’ordinateur ou s’acharnent sur les commandes de jeu vidéo. Il y a tous ces gestes du quotidien sans cesse recommencés dans le clair-obscur de la scène. Du monde extérieur, on ne perçoit que des sons de la ville qui arrivent atténués et lointains. Lorenzo de Angelis fait de ce mime une danse envoûtante, un mouvement perpétuel dans lequel il se love et nous enferme en victime consentante.
Puis sans que l’on s’y attende, cet anonymat prendra fin. Les masques tombent pour une dernière danse, un mouvement salvateur, un espoir de rédemption. Lorenzo De Angelis prend enfin possession de son corps en toute liberté. On se sent alors traversé par l’émotion et soi-même libéré de cet étau que Vincent Thomasset avait habilement construit. C’est beau et puissant.
Transversari de Vincent Thomasset par Lorenzo De Angelis – Créations sonores : Pierre Boscheron – Lumières: Vincent Loubière – Création vidéo: Baptiste Klein et Yann Philippe. Mardi 11 janvier 2022 au Carreau du Temple. À voir en tournée, au CNDC Angers le 9 mars et au Théâtre de Brétigny-sur-Orge le 25 mars.