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Corps Extrêmes – Rachid Ouramdane

Poursuivant son travail sur la verticalité entamé avec la Compagnie XY pour Môbius , Rachid Ouramdane rassemble dans Corps Extrêmes, sa dernière création, dix artistes venus d’horizons divers : grimpeurs, funambules, circassiens. Tous versés dans des disciplines dites de l’extrême pour un show qui n’abdique jamais la virtuosité et le spectaculaire mais ne cesse de créer du sens dans un va-et-vient permanent entre l’expérience solitaire et l’appartenance au groupe dans laquelle elle s’insère. Cette dialectique entre le solo et l’ensemble se nourrit des émotions des artistes sur scène et suscite celles du public versé dans une expérience cathartique exceptionnelle.

Corps Extrêmes – Rachid Ouramdane

Didier Deschamps a bataillé ferme pour que le Théâtre de Chaillot devienne le Théâtre Nationale de la Danse. C’est le cadeau qu’il a laissé en héritage au public et à son successeur Rachid Ouramdan. Par un hasard bienvenu, l’ancien directeur avait programmé le nouveau pour cette fin de saison, avec Corps Extrêmes, créé il y a un an lors de l’édition 20221 de Montpellier Danse. Le spectacle y a donc fait escale pour une série qui a affiché complet, rare exploit ces temps-ci. Et l’intérêt du public ne se dément pas depuis un an. Sans doute faut-il y voir un besoin enfoui de légèreté, d’envol, comme un désir de surplomber le monde pour mieux le comprendre.

Rachid Ouramdane avait inauguré sa première saison à Chaillot avec un geste fort et symbolique : l’incroyable traversée sur un fil de Nathan Paulin de la Tour Eiffel au théâtre, du lieu le plus emblématique de Paris au nouveau Théâtre de la danse. Comme une invitation lancée urbi et orbi à franchir les portes de ce temple impressionnant qu’est la Palais de Chaillot. Et c’est tout naturellement Nathan Paulin, funambule de l’extrême, que l’on retrouve sur grand écran, dans un paysage d’une beauté monumentale, parlant de son expérience. Ou plutôt de ses expériences, depuis qu’il s’est lancé dans ce défi improbable de franchir sur un fil les lieux les plus hostiles, les massifs les plus dangereux, les gratte-ciel les plus hauts. Ce qu’il nous en dit est passionnant. Il y a dans cette volonté de se dépasser et de dépasser ses limites apparentes une recherche intime sur soi qui peut prendre la forme du  surgissement inattendu de souvenirs, d’émotions enfouies et même de pleurs. Ce prologue se poursuit par l’arrivée sur scène de Nathan Paulin, non pas sur le plateau mais pour le traverser en hauteur, puisque c’est en altitude qu’il s’exprime le mieux.

Corps Extrêmes – Rachid Ouramdane

Ses partenaires de jeu surgissent pour nous embarquer dans une course folle, pyrotechnique, qui une heure durant ne faiblit pas d’intensité. Ils grimpent sur le mur de fond de scène transformé en practice d’escalade. Parfois ils se jettent dessus avec la complicité de leurs partenaires. Tout va à toute allure mais sans aucune brutalité, avec un goût de l’exploit, sans aucune vantardise. Quand tous ces portés multiples, ces pyramides humaines, ces chutes contrôlées requièrent des qualités physiques exceptionnelles, tout semble passer en douceur, sans forcer le mouvement. Certains artistes nous confient ce que fut leur désarroi. Ainsi Airelle Caen qui, avec une superbe sincérité, évoque sa chute lors d’un spectacle, les doutes qui étaient les siens sur cette figure particulière comme un pas trop loin vers ce goût de l’extrême. La peur, la tension puis la chute. Elle en sort intacte, protégée par le corps des porteurs. Elle nous dit sa culpabilité, son désir d’arrêter. Elle reviendra sur cette décision parce qu’il y a la force du groupe et c’est de cela dont nous parle Rachid Ouramdane dans Corps Extrêmes. Plus que dans toute forme d’expression, l’acrobatie requiert une confiance totale dans ses partenaires qui ne tolère aucun doute. Cette solidarité artistique fait plaisir à voir. Ces dix artistes ne se connaissaient pas tous lorsqu’ils furent choisis. C’est aujourd’hui un collectif soudé.

Il y a évidemment un chemin qui mène de Möbius, que Rachid Ouramdane avait chorégraphié pour la Compagnie XY, à Corps Extrêmes. Comme s’il n’avait pas tout dit dans cette exploration de la danse verticale que le chorégraphe expérimentait pour la première fois. Ici, il nous livre quelques clefs de ce qui peut le fasciner dans cette recherche de ce qui semble physiquement impossible ou risqué. Ce faisant, Rachid Ouramdane nous invite aussi à mener en douceur ce travail d’introspection entre nos peurs, nos singularités et notre désir de faire groupe. C’est toute la beauté de Corps Extrêmes qui à son insu nous réconcilie pour quelque temps avec l’humanité malgré les vents contraires qui soufflent.

Corps Extrêmes – Rachid Ouramdane

Corps Extrêmes de Rachid Ouramdane avec Hamza Benlabied, Airelle Caen, Löric Fouchereau, Nathan Paulin, Arnau Povedano, Ann Raber, Belar San Vicente, Maxime Seghers, Seppe Van Looveren et Leo Ward – Mardi 21 juin 2022, au Théâtre National de la Danse-Chaillot. À voir en tournée cet été et toute la saison prochaine. 

 



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