Le Temps d’aimer la Danse 2022 – Ballet de Genève, Malandain Ballet Biarritz ou Gigabarre
Le Temps d’aimer la Danse proposait pour son édition 2022 une programmation plutôt surprenante, avec peut-être moins de grosses compagnies que les années précédentes, mais plus de noms un peu plus différents et intrigants. Plus de spectacles en dehors de la ville aussi, de moments dansés avec le public, de temps de réflexion comme ce Focus Caraïbes/Pays Basque lors du premier week-end ou une journée sur la transition écologique du spectacle vivant. Peut-être pour cela que, ce que je retiens de ce Temps d”aimer 2022 reste moins les spectacles que le coeur battant de la danse dans chaque coin de rue de Biarritz. Le Ballet du Grand Théâtre de Genève a montré son talent mais cherche encore sa dimension avec sa nouvelle direction. La compagnie NGC25 a apporté son énergie, Florent Dhossou Attuoman sa physicalité, à défaut d’une chorégraphie vraiment émergente. Mais que d’émotion quand le Malandain Ballet Biarritz s’est emparé dans une ambiance festive de la Plaza Berri, haut lieu de la pelote basque, pour un melting-pot porté par ses danseurs et danseuses à cœur ouvert. Une rentrée comme on les aime.
Le Temps d’aimer la Danse, c’est une belle programmation, on le sait année après année. Aussi un vrai plaisir de se balader dans une ville, où, pendant une dizaine de jours, la danse bat son plein dans tous ses recoins. Près de la mer, une démonstration d’une école de danse ; dans le parc, une répétition publique ; dans un stade, une performance ; sur le fronton de l’océan, l’incontournable Gigagarre. Et puis ce plaisir de prolonger un peu l’ambiance estivale le temps d’un week-end, de sentir encore la chaleur de la journée et des embruns de la mer malgré la nuit tombante en remontant l’avenue du Maréchal Foch pour se diriger vers la Gare du Midi. C’est là que le Ballet du Grand Théâtre de Genève termine cette édition 2022 du Temps d’aimer, avec un programme entièrement signé par son nouveau directeur Sidi Larbi Cherkaoui. Fort d’une vingtaine d’interprètes d’un fabuleux niveau, et d’un répertoire faisant appel à tous les chorégraphes incontournables contemporains et néo-classiques, le Ballet du Grand Théâtre de Genève s’est construit une identité propre, sous la houlette de Philippe Cohen pendant presque 20 ans. Cette invitation sonnait comme un hommage, alors que l’emblématique directeur est décédé en juillet dernier, quelques semaines après avoir pris sa retraite. Sidi Larbi Cherkaoui l’a remplacé – il a fait partie des chorégraphes qui ont débuté leur carrière au Ballet de Genève, sur l’invitation de Philippe Cohen toujours soucieux de découvrir les talents de demain. Et voir en scène cette troupe si atypique était l’occasion de prendre son pouls, à l’heure pour elle d’un gros changement.
D’ailleurs sur scène, de nombreuses têtes semblent nouvelles. Et si le Ballet s’est construit dans la pluralité des écritures chorégraphiques, place ici à une soirée entièrement portée par des œuvres de Sidi Larbi Cherkaoui, un avant-goût de la saison qui sera fortement marquée par le chorégraphe. Les talents ne manquent pas, mais le ton de la soirée a montré que la compagnie est encore en reconstruction. Les deux pièces, Faun et Noetic, sont remarquables. Mais les interprètes sont encore en train de se les approprier et montrent ainsi peu trop les faiblesses de ces œuvres. Faun ainsi, relecture de L’Après-Midi d’un Faune, est un duo entre deux créatures, mi-humains mi-animaux, se cherchant, se reniflant et se trouvant. Tout y est en courbes et en spirales, ajoutant animalité et étrangeté au duo. Les deux interprètes du soir se jettent avec délice dans l’oeuvre, mais sans avoir encore acquis cette façon si spéciale de se mouvoir, cassant l’effet hypnotique du pas de deux et accentuant ses travers – ici la coupure de la musique de Debussy par une partition électronique, sonnant ici comme spécialement agaçante.
Idem pour Noetic, vaste pièce de groupe à la scénographie imposante. Place ici à un motif, se répétant et se transformant, mettant petit à petit la scène en marche. Plusieurs lectures peuvent s’y deviner, j’y vois comme la construction d’un monde géométrique, de la logique implacable de la physique prenant le pas, doucement mais sûrement, sur un monde incohérent. La pièce est d’une grande richesse chorégraphique, inventive en permanence. Mais là encore, l’alchimie entre le matériel chorégraphique et les interprètes semble avoir du mal à se mettre en place, à se chercher encore. Est-ce de ce fait ? Malgré la densité de l’oeuvre, Noetic sonne comme une pièce particulièrement aride – et longue – dont on a du mal à décerner le sens. Ce qui n’est pas grave en soi si une énergie spécifique ou une émotion prend le dessus. Mais c’est ce qui manqua ce soir, laissant comme souvenir une œuvre complexe à suivre sans franchement beaucoup de plaisir du public. Reste néanmoins l’impression que la rencontre doit prendre le temps de se faire, les interprètes comme le directeur de trouver leurs marques, ensemble. Il ne manque pas grand-chose. Le tout donne en tout cas toujours envie de suivre ce Ballet, et voir justement son évolution entre de nouvelles mains.
Un peu plus tôt dans la soirée, la compagnie NGC25 avait présenté Salam de Hervé Maigret (exceptionnellement en scène pour remplacer un danseur absent). Une pièce construite entre la France et la Palestine pour interroger sur les frontières, leurs doutes, ou le simple plaisir de danser ensemble et de partager ce moment fraternel. Un souffle de liberté parcourt la salle avec plaisir durant l’heure de spectacle, doublée d’une énergie vitale transcendant une chorégraphie parfois faiblarde. Le danseur absent manque tout de même à la cohésion du groupe, même s’il reste de Salam une fraîcheur agréable. La veille, la compagnie Wejna avait présenté Le voyage de Roméo de Sylvie Pabiot (en collaboration avec Roméo Bron Bi), interprété par Florent Dhossou Attuoman. Une histoire d’immigration, de violence et de la danse qui arrive comme par miracle. Le danseur est absolument formidable, puissant et félin, mais la chorégraphie loin, très loin, d’être à la hauteur. La pièce en devient anecdotique et c’est dommage. Même sentiment de gâchis, doublé d’une vraie colère, à la vue de Desde mis ojos d’Eva Yerbabuena et Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola. Elle est une danseuse de flamenco absolument fabuleuse, enflammant la scène du moindre regard et faisant vibrer les cœurs aussi forts que le sol par ses frappes de talon. Mais quelle idée a-t-elle eu de s’associer avec Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola, directeur scénique du spectacle. Au lieu de se mettre au service de sa formidable interprète, il préfère mettre son ego démesuré en avant, bien écrasant en scène, pour un spectacle d’une prétention et d’une vacuité rarement vue. D’autant plus qu’il s’agit de gâcher et d’éteindre le talent d’une si géniale danseuse, devenant comme une marionnette manipulée par les hommes sur scène.
Il fallait bien toute l’énergie et la formidable générosité du Malandain Ballet Biarritz pour s’en remettre. Loin des scènes officielles, la troupe avait envahi ce soir-là, pour un spectacle gratuit, le Fronton Plaza Berri, un haut lieu de la pelote basque à Biarritz et point de rencontre important de cette édition du Temps d’aimer. 21h n’a pas encore sonné que les gradins sont pleins à craquer et l’ambiance très joyeuse des retrouvailles, alors que la troupe s’échauffe sur un large tapis de sol installé sur le terrain de pelote. Et quand les lumières s’éteignent, place à une sorte de melting-pot des oeuvres de Thierry Malandain : le solo du Faune pour ouvrir, puis un extrait de Mozart à deux, Marie-Antoinette ou Nocturnes, entrecoupé d’un joli clin d’oeil à la danse basque et ses innombrables passerelles avec la technique académique. Tout se termine par la descente des Ombres reprise pour Le Sang des étoiles, où les Bayadères deviennent ours polaire, en référence au danger climatique de notre siècle. Entre chaque pièce, un danseur ou une danseuse s’empare du micro pour se raconter : ses liens avec la danse, la musique, la scène, un personnage, un duo… dévoilant en contrepoint la puissance de la danse de Thierry Malandain, mais aussi la passion de cet art, sa force et tout ce qu’elle peut vous faire ressentir et accomplir. Le procédé est simple, mais que d’émotion, de joie, d’énergie et de beauté circulent sur ce terrain de pelote basque ! Voilà une rentrée comme on l’aime : en partage avec le public.
Le lendemain matin, devant l’océan et sous un beau soleil, publics et artistes se retrouvent pour la Gigabarre, montré par Richard Coudray, maître de la compagnie et spécialiste de l’exercice. Nous sommes 300 à la barre, le double autour à observer et profiter. Biarritz, plus que jamais ville de Danse.
Le Temps d’aimer la Danse 2022 à Biarritz.
Le voyage de Roméo de Sylvie Pabiot en collaboration avec Roméo Bron Bi par la compagnie Wejna. Avec Florent Dhossou Attuoman. Samedi 17 septembre au Théâtre du Colisée.
Desde mis ojos de Eva Yerbabuena et Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola. Avec Eva Yerbabuena, Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola, Alfredo Tejada, Miguel Ortega et Antonio Gomez “el Turry” (chant), Jose Manuel Oruco (danse / palmero), Rafael Heredia (percussion). Samedi 17 septembre au Théâtre du Casino.
Le CCN Malandain Ballet Biarritz. Samedi 17 septembre au Fronton Plaza Berri.
Salam de Hervé Maigret par la compagnie NGC25. Avec Kamel Jirjawi (Palestine), Hamza Damra (Palestine), Stéphane Bourgeois (France) et Pedro Hurtado (Equateur). Dimanche 18 septembre au Théâtre du Casino.
Le Ballet du Grand Théâtre de Genève – Faun et Noetic de Sidi Larbi Cherkaoui. Avec Yumi Aizawa, Céline Allain, Zoé Charpentier, Da Young Kim, Emilie Meeus, Sara Ouwendyk, Mohana Rapin, Sara Shigenari, Madeline Wong, Valentino Bertolini, Adelson Carlos, Quintin Cianci, Oscar Comesaña Salgueiro, Armando Gonzalez Besa, Ricardo Macedo, Robbie Moore, Juan Perez Cardona, Luca Scaduto, Geoffrey Van Dyck et Nahuel Vega. Dimanche 18 septembre à la Gare du Midi.