Cristiana Morganti – Behind the Light
Cristiana Morganti, chorégraphe et danseuse iconique du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch, présente son nouveau one-woman-show Behind the Light. Elle poursuit ainsi son autobiographie dansée après Moving with Pina qui racontait ses années Wuppertal. Pour cette nouvelle pièce, Cristiana Morgantise confie sur cette période récente de la pandémie, du confinement, des spectacles annulés et de la perte des êtres chers. Drôle, émouvant, d’une absolue sincérité, Behind the Light déploie un récit palpitant porté par une danseuse et une comédienne qui impose un charisme débordant. Et sublime ses démons et ses drames pour en faire du théâtre et de la danse dans un élan d’une immense générosité.
Il y a quatre ans, Cristiana Morganti jouait et dansait sur cette scène du Théâtre des Abbesses Moving with Pina, l’hommage le plus drôle, le plus affectueux et le plus irrévérencieux que l’on puisse imaginer à Pina Bausch. Pas d’admiration gratuite mais une plongée passionnante et déjà très drôle dans le processus de création de la chorégraphe de Wuppertal. Pina Bausch, c’est un peu la chance et la malédiction de Cristiana Morganti. Formée à la danse classique en Italie, puis au langage contemporain en Allemagne, elle postule sans y croire à une audition parmi des dizaines de danseuses. Mais elle est distinguée par Pina et intègre la compagnie. S’ensuivent 22 ans d’un compagnonnage fertile et passionnant. C’est ce que Cristiana Morganti racontait dans Moving with Pina : les répétitions, les improvisations, les tournées… Ce spectacle était une déclaration d’amour à Pina Bausch qui continue à réjouir le public.
Mais comment exister après Pina Bausch ? C’est la question récurrente que se pose et nous pose Cristiana Morganti avec Behind the Light, son nouveau spectacle. Dans une scène de mime désopilante, la danseuse italienne énumère tout ce qui est impossible pour elle. Pina Bausch ayant utilisé les musiques sud-américaines, baroques, jazzy, tout cet univers lui est interdit sous peine qu’on lui rétorque qu’elle est sous influence. Idem pour toutes sortes de mouvements puisque Pina Bausch a tellement inventé. C’est là le noeud gordien de l’existence artistique de Cristiana Morganti. Après trois spectacles en solo, on peut constater qu’elle s’est extraite de belle manière de cet héritage si lourd à porter : ne pas le renier mais l’utiliser pour le transformer.
Rien ne fut simple pourtant dans ces dernières années. La pandémie a mis à mal beaucoup de projets. “Je voulais faire un spectacle avec cinq danseuses et danseurs venus de différents pays… Mauvaise idée : différentes règles, différents confinements…”. D’annulations en reports, Cristiana Morganti, rongeant son frein, a décidé de replonger dans le solo. Mais à la pandémie s’est greffée une cascade d’événements sombres : la maladie et la mort successive de ses deux parents, un compagnon qui la lâche. Au micro, elle nous lit cette succession de drames à vitesse supersonique comme pour s’en libérer au plus vite.
Pas de pathos ! Cristiana Morganti nous livre ces éléments biographiques pour éclairer son spectacle, pas pour s’y attarder. Elle conclut cette énumération mortifère par la projection d’une vidéo choc où elle marche à l’orée de la forêt hurlant un cri discontinu pour se laver de cette douleur. C’est poignant et d’une élégance infinie. Qui n’aimerait pas exorciser ses démons et ses peines en hurlant solitaire dans la nature ? Behind the Light est aussi scandé par une série de solos splendides. Cristiana Morganti a beau se moquer d’elle-même et de son âge, son art est intact. Elle possède ce don rare d’allier le mouvement classique et le geste contemporain. “Beaucoup de travail avec les bras parce que les jambes, vous voyez, c’est plus difficile…” s’amuse-t-elle. On la croit à moitié. Et puis arrivent ces réminiscences du passé, tel ce cours de danse joué sur l’air de récitatifs du Don Giovanni de Mozart, dialogue succulent entre le professeur de danse classique et l’élève qui a mal au mollet et voudrait s’épargner davantage de douleurs. On repère là une expérience vécue. Cristiana Morganti montre des qualités d’écriture incontestables et un talent comique qu’elle sait utiliser mais doser avec subtilité. Sans oublier qu’elle est polyglotte et passe avec une aisance bluffante de l’italien, au français, à l’anglais et à l’allemand !
C’était la première fois que Cristiana Morganti proposait Behind the Light en français après une première en Italie. La danseuse fut visiblement émue par l’accueil du public, une ovation debout. Dans cette forme de l’autobiographie dansée si personnelle, Cristiana Morganti sait nous parler de tous et de nous. Le confinement et les peurs liées à la pandémie, nous les avons tous affrontés. Quant à la perte d’êtres chers, de nos parents, c’est aussi notre lot. Cristiana Morganti prouve que l’art est là aussi pour nous aider à surmonter nos peines. Et au passage, elle se prouve qu’il y a une vie après Pina Bausch !
Behind the Light de et avec Cristiana Morganti , mise en scène Cristiana Morganti et Gloria Paris, vidéo Connie Prantera. Lundi 6 mars 2023 au Théâtre des Abbesses. À voir jusqu’au 11 mars, puis le 14 mars à la MA Scène Nationale de Montbéliard.