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Ballet de Lorraine – Michele Di Stefano / Marco Berrettini

Pour le premier programme de cette nouvelle saison du Ballet de Lorraine, son directeur Petter Jacobsson a convié deux chorégraphes italiens. Michele di Stefano propose avec Sierras – Danses atmosphériques d’interroger le hasard dans la danse, et de mettre en scène les probabilités imaginées pour vingt-deux danseuses et danseurs mis en état d’improvisation. Avec le même groupe, Marco Berrettini imagine avec Songlines une pièce baroque dont le projet est de se demander “pourquoi l’homme est le plus insatisfait des animaux“. Deux créations qui font vibrer une compagnie d’excellence, capable de s’emparer d’esthétiques très diverses dans un programme haut en couleur au sens propre du terme et où la danse est célébrée de la plus belle des manières.

 

Sierras – Danses atmosphériques de Michele di Stefano – Ballet de Lorraine

 

Le Ballet de Lorraine occupe une place singulière parmi les Centres Chorégraphiques Nationaux. Si Petter Jacobsson assisté de Thomas Caley ne renient pas leurs influences qui penchent du côté de la danse américaine postmoderne, ils ont construit au fil des saisons depuis 2011 un corpus unique bâti autour de thèmes qui irriguent chaque programme, avec une place centrale octroyée à la création. Ils sont tous les deux de grands découvreurs de talents et sont capables de prendre des risques artistiques maximum, confiant à des chorégraphes venus d’horizons divers la confection de pièces ambitieuses pour une troupe de 25 artistes. 

Et ce premier programme de la saison du Ballet de Lorraine confie les clefs de la compagnie à deux chorégraphes d’origine italienne. Pur hasard, même si les deux hommes se connaissent. Michele di Stefano, 60 ans, a un parcours atypique. Il a commencé dans les années 1980 à se produire en Italie avec un groupe de new wave avant de se former à la danse contemporaine. Il crée et dirige aujourd’hui la compagnie mk, qui se présente tel un laboratoire de recherches perpétuelles sur “l’ambiguïté des états du corps  et leur transformation“. Une telle profession de foi intrigue.

 

Sierras – Danses atmosphériques de Michele di Stefano – Ballet de Lorraine

 

Michele Di Stefano définit Sierras – danses atmosphériques davantage comme un endroit que comme une chorégraphie. On serait tenté d’y voir une coquetterie d’artiste tant le mouvement semble minutieusement organisé. Dans les lumières créées par Giulia Broggi, la troupe dessine une géométrie fascinante où chacune et chacun écrit sa partition : on se croise mais on ne se touche pas. À peine se voit-on. Les vingt-deux danseuses et danseurs sont comme autant d’individus uniques, écrivant leur propre phrase. Et chacun la sienne, comme autant de solos qui seraient entremêlés sur le plateau. Les justaucorps, chaussettes et chaussons noirs confortent cette vision d’un groupe organique évoluant comme une entité propre. Il y a pourtant une constante, portée par une phrase chorégraphique qui décline et imprime de multiples variations au même mouvement : pliés, torsions du corps, déhanchés, tours en vrilles agrémentés d’arabesques et de déplacements sur demi-pointes. Les interprètes se déplacent selon cette grammaire mais semblent décider de leur trajectoire, avec de constants changements de directions et de rythmes.

Michele Di Stefano livre une pièce hypnotisante, dont on ne comprend pas toujours les enjeux mais qui fascine en permanence, portée par les rythmes nerveux de Lorenzo Bianchi Hoesch. Son récit sur les probabilités et le hasard s’épuise quelque peu au fil de la pièce, mais il offre à chaque membre de la compagnie un très joli moment de danse mettant en valeur son excellence, passant constamment du groupe au solo avec une virtuosité inaltérable.

 

Songlines de Marco Berrettini – Ballet de Lorraine

 

Ce sont les mêmes interprètes que l’on retrouve pour Songlines de Marco Berrettini. Changement d’atmosphère radical : du noir, on passe aux costumes beiges, bleus et rose acidulé, pantalons et courtes chasubles, chaussures argentées qui brillent à foison. Le titre de la pièce est inspiré du livre Le Chant des pistes de Bruce Chatwin, qui décrit la vie des Aborigènes d’Australie. Marco Berrettini veut transposer dans sa pièce les questions que posent le livre :Pourquoi l’homme est-il le plus agité et le plus insatisfait des animaux ? Pourquoi les errants conçoivent-ils le monde comme parfait alors que les sédentaires essaient toujours de la changer ?”.

Armé de ces interrogations métaphysiques, le chorégraphe fait dériver son imagination en cinq séquences réjouissantes, drôles, baroques, surréalistes. Après un défilé urbain inaugural, il foudroie avec une image saisissante : assis, allongés ou recroquevillés, les danseuses et danseurs sont plongés dans une longue immobilité qui subrepticement se rompt par d’irrépressibles tremblements, composant un tableau mouvant d’une beauté fulgurante. On les retrouve ensuite comme enfermés dans un carré de lumière dont il est impossible de s’échapper. Suit une irrésistible séance collective de moonwalk et un final où surgit un serpent articulé qui traverse la scène, ramenant le monde à son animalité et Marco Berrettini à son projet d’interroger l’évolution de l’humanité.

 

Songlines de Marco Berrettini – Ballet de Lorraine

 

Les deux chorégraphes ont rempli leur contrat : imaginer une pièce pour un groupe de vingt-deux danseuses et danseurs, utilisant au mieux leur excellence technique pour décliner leurs écritures. C’est encore un pari réussi de Petter Jacobsson et Thomas Caley qui vont devoir passer la main la saison prochaine. Succession difficile tant les deux hommes ont construit à Nancy un laboratoire unique de la création chorégraphique contemporaine.

 

Sierras-Danses atmosphériques de Michele de Stefano ; Songlines de Marco Berrettini. Avec Jonathan Archambault, Aline Aubert, Alexis Baudinet, Charles Dalerci, Inès Depauw, Mila Endeweld, Angela Falk, Nathan Gracia, Inès Hadj-Rabah, Tristan Ihne, Matéo Lagière, Laure Lescoffy, Valérie Ly-Cuong, Andoni Martinez, Afonso Massano, Lorenzo Mattioli,Clarisse Mialet, Elisa Rouchon, Céline Schoefs, Gabin Schoendorf et Luc Verbitzky – Mercredi 8 novembre 2023 à l’Opéra de Nancy. 

 




 

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