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Rencontre avec Didier Deschamps, directeur artistique du Festival de Danse de Cannes

Didier Deschamps a pris la direction du Festival de Danse de Cannes. L’ancien directeur du Théâtre de Chaillot, dont il a fait le premier Théâtre National de la Danse, succède ainsi à Brigitte Lefèvre, qui avait redonné une boussole à ce festival important lors des trois dernières éditions flamboyantes. Fidèle à son credo, Didier Deschamps a imaginé un festival multiple, ouvert sur tous les styles et les esthétiques, de la danse néo-classique aux danses urbaines sans oublier le flamenco dont il est un fervent partisan. Sharon Eyal, Thierry Malandain, Jann Gallois, Michel Kelemenis, Thomas Lebrun ou Amala Dianor sont ainsi au rendez-vous. À côté de ces grands noms, Didier Deschamps a invité des compagnies et des chorégraphes émergents, sans oublier une forte présence internationale représentée par la Trisha Brown Company, le Ballet du Grand Théâtre de Genève, la Cloud Gate Dance Theatre de Taïwan et la Compagnie Nationale de danse contemporaine de Norvège. À quelques jours de l’ouverture, DALP a évoqué avec Didier Deschamps ses choix de programmation et les nouveautés de cette édition 2023 du Festival de Danse de Cannes, qui a lieu du 24 novembre au 10 décembre

 

Didier Deschamps, directeur du Festival de Danse de Cannes

 

Qu’est-ce qui vous a convaincu de prendre la direction du Festival de Danse de Cannes ?

Je connaissais ce festival quasiment depuis sa création et je l’ai toujours considéré comme un rendez-vous important et riche pour la danse. Je n’ai pas hésité un instant quand on m’a proposé de m’y investir, d’autant que je connais aussi l’équipe qui travaille au Palais des Festivals et qui est remarquable. La seule interrogation qui a pu me venir est le relatif éloignement car je n’habite pas à Cannes, et d’une certaine manière c’était presque une question de légitimité. On m’a convaincu que c’était peut-être bien que je sois ailleurs pour avoir justement un regard différent. J’assure la direction artistique mais je n’ai pas de responsabilité organisationnelle, même si j’y contribue autant que je peux. Je me suis enfin décidé en me disant tout simplement qu’en quittant un lieu comme Chaillot, je pouvais encore pour quelques années contribuer à l’histoire de la danse.

 

Une programmation d’un théâtre comme Chaillot et celle d’un festival, ce sont deux durées différentes. Comment organise-t-on un festival ramassé sur 17 jours ?

C’est effectivement concentré dans une période donnée, mais en termes d’anticipation, ce n’est pas très différent de ce que je connaissais au Théâtre de Chaillot où beaucoup de projets étaient lancés deux ans en amont, ou même davantage. La grande différence est qu’à Chaillot, j’avais à coeur de développer des séries. Dans le cadre d’un festival, on n’excède jamais deux représentations, et la plupart des compagnies n’ont qu’une date unique. Les rapports sont donc différents dans le rapport aux compagnies et l’économie que cela suppose. Mais la programmation, c’est toujours être en contact avec les artistes, savoir ce qu’ils font, ce qu’ils préparent, essayer de sentir en quoi à un moment donné, c’est intéressant de pouvoir le montrer à un endroit particulier. Quelle que soit la forme, ce sont un peu les mêmes paramètres.

J’ai à coeur de présenter des spectacles et des artistes de référence importants dans notre culture chorégraphique. Mais aussi d’ouvrir la porte à des choses que moi-même je connais depuis peu et que je découvre, parce que la démarche de l’artiste me paraît importante.

Dans cette édition, votre première, on retrouve des artistes que vous avez accompagnés, d’autres que l’on connaît moins. Comment avez-vous organisé ce mélange entre nouveautés, créations, artistes emblématiques et jeunes pousses ?

Je ne fixe jamais aucune règle ! C’est à posteriori que je m’aperçois qu’il y a des tendances, des logiques que l’on pourrait poser sur une programmation. J’ai à coeur de présenter des spectacles et des artistes de référence importants dans notre culture chorégraphique. Mais aussi d’ouvrir la porte à des choses que moi-même je connais depuis peu et que je découvre pratiquement, mais que je retiens parce que la démarche de l’artiste me paraît importante. En réalité, vis-à-vis du public, la prise de risque est presque toujours la même et c’est l’expérience qui me le fait dire. On peut croire parfois qu’en programmant un nom connu, la billetterie va fonctionner à fond. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et à l’inverse pour des spectacles dont on se dit que cela va être difficile, ça marche du feu de Dieu ! Pourquoi ? On ne le saura sans doute jamais et tant mieux.

 

Parmi les nouveautés de cette édition, on relève le flamenco. On sait que vous avez créé un festival flamenco au Théâtre Chaillot et c’est un genre qui vous est cher. Pour cette édition, il y a ainsi la création flamenca de David Coria qui vous aviez invité à Chaillot, la compagnie de Paula Comitre… Comment avez-vous construit tout cela ? 

Brigitte Lefèvre avait déjà invité Rocío Molina lors de l’édition précédente, ce n’est donc pas vraiment une nouveauté. Mais j’adore le flamenco, je l’avoue. J’estime que cette forme artistique est particulièrement riche et extrêmement créative, qu’elle touche tout le monde. Absolument tout le monde. Il y a dans le flamenco quelque chose de l’ordre de la vitalité que tout le monde porte en soi, une sorte d’état d’âme très particulier. Alors pourquoi s’en priver ? David Coria et Paula Comitre font partie de la scène flamenca d’aujourd’hui. J’essaie de suivre ça avec attention en allant à la Biennale de Séville ou au Festival de Jerez, cela me permet de sentir, de voir, de rencontrer les artistes et d’imaginer quels sont ceux qui en priorité peuvent être présentés.

 

Ce choix illustre votre philosophie : proposer une multitude de styles sans jamais s’enfermer dans une esthétique… 

Je pense que ce ne serait bien ni pour la danse, ni pour le public. Je suis contre les chapelles Je reconnais la singularité, la spécificité, l’engagement de chaque artiste dans une voie qui est la sienne. On peut aussi annoncer que l’on s’engage dans un format spécifique mais ce n’est pas ma vision des choses.

 

Il faut évoquer une des nouveautés de cette édition. Cannes, pour le monde entier, c’est la capitale du cinéma. Vous créez un événement avec la création de Mov’In Cannes, une compétition de films (courts-métrages) de danse. Pourquoi ce choix ?

Précisément parce que Cannes est une des capitales mondiales du cinéma, il était important de montrer que la danse a, depuis l’origine du cinéma et de la danse contemporaine, échangé avec cet art. Que le cinéma et la danse se sont nourris l’un de l’autre. Et aujourd’hui, dans beaucoup de propositions que l’on voit sur scène, il y a de la création d’images. Cela donne aussi la possibilité de collaborer avec toutes ces grandes écoles de cinéma qui existent dans cette région et notamment à Cannes. C’est également un moyen pour faire signe à un autre public qui peut s’intéresser à la danse via le court-métrage. C’est une première, on va voir de quelle manière cela se passe mais je nourris beaucoup d’espoir.

 

Cannes est aussi une ville de danse avec l’école prestigieuse créée par Rosella Hightower. Comment avez-vous imaginé le rendez-vous durant le Festival avec différentes écoles de danse ? 

La danse est toujours déterminée par les nouvelles générations et elles viennent en grande partie de ces grandes écoles. C’est un réseau structurant dans notre pays. Ils ont d’ailleurs de multiples échanges et ils n’ont pas besoin de nous pour réaliser plein de choses ensemble. Mais il m’a semblé intéressant de donner une forme de visibilité et un défi avec cette performance de 70 danseuses et danseurs qui va ouvrir le festival et qui donne une dynamique sur la jeunesse à laquelle il est important de faire signe.

Ce qui se passe sur un plateau sera toujours différent du rapport à l’écran. Et je pense qu’il faut le sauvegarder à tout prix. Charge à nous de trouver les moyens les plus rationnels et les plus efficaces pour limiter l’impact carbone.

Dans la production théâtrale aujourd’hui se posent de nouvelles questions et au premier chef les enjeux climatiques. Il faut impérativement réduire l’empreinte carbone des spectacles Cela conduit certains programmateur-rice-s à renoncer, ou en tout cas à réduire considérablement, la venue de compagnies étrangères. Quel a été pour vous votre choix ? 

Je suis convaincu que le monde a besoin de se connaître et de se reconnaître, dans nos différences, savoir que la culture de l’autre n’est pas un danger mais peut-être un cadeau. À chacun et chacune de le cultiver et cela ne peut pas se faire uniquement à travers les écrans. Les écrans sont des outils de création intéressants mais rien ne remplacera jamais le contact humain. Ce qui se passe sur un plateau sera toujours différent du rapport à l’écran. Et je pense qu’il faut le sauvegarder à tout prix. Charge à nous de trouver les moyens les plus rationnels et les plus efficaces pour limiter l’impact carbone. Je n’ai jamais été d’accord avec Jérôme Bel, que j’admire par ailleurs, mais qui a fait des déclarations un peu fracassantes, enjoignant les artistes à cesser de voyager. Non ! Non ! Non ! Le monde serait trop triste. On voit bien dans le monde ces poussées nationalistes et xénophobes, ces fermetures et ces méfiances vis-à-vis de l’autre. C’est tout l’inverse qui est nécessaire. Et nous pouvons y contribuer à notre échelle en invitant des compagnies venues d’ailleurs.

 

Festival de Danse de Cannes 2023

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Festival de Danse de Canne- Côte d’Azur-France – du 24 novembre au 10 décembre 2023. 

 




 

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