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Soirée Jiří Kylián – Ballet de l’Opéra de Paris

Retour flamboyant de Jiří Kylián sur la scène du Palais Garnier ! Trop longtemps absent à Paris, le chorégraphe tchèque est à l’affiche pour les Fêtes avec pas moins de quatre ballets : la reprise de Stepping Stones (1991) et trois entrées au répertoire, Gods and Dogs (2008), Petite Mort (1991) et Sechs Tänze (1991). Une soirée dense qui offre un large éventail de l’oeuvre de Jiří Kylián . Chorégraphe majeur, artiste absolu, ses ballets font surfer le public sur toute la gamme des émotions, avec au centre sa préoccupation majeur pour les danseuses et les danseurs sans souci de grade. Le Ballet de l’Opéra de Paris, qui entretient une relation étroite et de longue date avec le chorégraphe, se montre sous son meilleur jour dans un style que la compagnie défend avec brio et excellence.

 

Petite Mort de Jiří Kylián – Clémence Gross et Alexander Maryianowski

 

Sept ans que l’on n’avait pas vu un programme consacré au maître tchèque au Ballet de l’Opéra de Paris, mis à part dans le spectacle de l’École de Danse. Ce retour pour les Fêtes a l’effet d’un feu d’artifices. Les quatre pièces majeures de ce programme sont loin de couvrir toute la palette chorégraphique de Jiří Kylián, dont l’œuvre est multiple. Mais elles montrent la qualité suprême de son travail et son obsession du perfectionnisme. Kylián est inclassable. Il forment aux côté de William Forsythe et Mats Ek un trio cosmique. Trois octogénaires flamboyants qui se sont frottés de très près au langage académique et qui l’ont malaxé pour bâtir leur esthétique, révolutionnant l’art du ballet contemporain. Avec ce souci infini des interprètes. Les danseuses et les danseurs sont toujours le centre de gravité de leur travail, ni la scénographie, ni les décours ou les costumes et encre moins un quelconque propos qui viendrait polluer la représentation. Jiří Kylián fait une œuvre de danse pure où le geste est roi.

Non pas qu’il ne se soucie guère du propos. Les titres de ses ballets sont en soi une forme de profession de foi et parfois des énigmes qu’il n’est pas nécessaire de résoudre. Les chorégraphies de Jiří Kylián sont pétries d’humanité et nourries d’une musicalité exceptionnelle qui puise son inspiration chez son compatriote Leoš Janáček pour la sublime Sinfonietta, comme parmi les compositeurs classiques. Mozart bien sur que l’on retrouve dans deux pièces de la soirée ou Beethoven pour Gods and Dogs, dans une version déconstruite par Dirk P. Haubrich qui a trituré à la demande du chorégraphe le Quatuor à cordes opus 18.

 

Gods and Gods de Jiří Kylián – Valentine Colassante et Julien Guillemard

 

Quatre couples – un format récurrent dans l’oeuvre de Jiří Kylián – dans un décor crépusculaire. Des danseurs immobiles, une danseuse solitaire au premier plan dans un geste désarticulé. L’étrangeté fait toujours partie de l’équation chez le chorégraphe. Elle ne cesse de croitre à mesure que les quatre couples se confrontent à des pas de deux qui se vivent comme des corps à corps et frôlent la brutalité. Dans ce flux ininterrompus d’arabesques et de pirouettes acrobatiques se déplie une danse emplie de fougue et d’urgence alors que sur l’écran surgit un chien qui tient davantage du fauve que de l’animal domestique. Qui sont alors les dieux dans ce décor ? Les danseuses et les danseurs probablement, explosifs dans ce labyrinthe mental que leur propose le chorégraphe. toutes et tous irréprochables, mais comment ne pas citer Francesco Mura qui livre un solo final exceptionnel, se jouant des entourloupes de la chorégraphie.

L’entracte n’est pas de trop pour reprendre souffle avant Stepping Stones, pièce de 1991 déjà représentée par l’Opéra de Paris, quintessence des méthodes de travail de Jiří Kylián et son goût des énigmes. Que regardent ces trois statues géantes de chats ? Quels sont des drôles d’objets que manipulent les danseuses et les danseurs ? On peut ne pas s’en soucier ou se contenter de l’explication du chorégraphe qui relate ce bref échange avec un aborigène sur la nécessité de transmettre la danse dans un pays où elle est prépondérante. De ce dialogue est né l’idée de Stepping Stones, hommage virtuose au ballet académique et l’un des rares que Jiří Kylián ait chorégraphié sur pointes.Là encore, quatre couples et autant de combinaisons en trios  ou ensemble. Sous l’oeil impavide de ces trois chats de bronze, les huit interprètes déploient une virtuosité jouissive, plus à  l’aise que jamais dans ce vocabulaire où le chorégraphe épure les lignes et va chercher les extensions extrêmes sur les musique de John Cage et Anton Webern.

 

Stepping Stones de Jiří Kylián – Hannah O’Neill, Hugo Marchand, Ludmila Pagliero, Arthus Raveauet Nine Seropian

 

Il fallait bien que Petite Mort finisse par entrer au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. C’est indubitablement la pièce signature de Jiří Kylián, dansée par de très nombreuses compagnies depuis sa création pour le Nederlands Dans Theater en 1991. Sa notoriété doit beaucoup à la musique. Le chorégraphe a choisi les deux adagios les plus célèbres des Concertos pour piano de Mozart (KV467 et KV488) pour cette Petite Mort. Qui, comme son nom l’indique, explore l’amour, le sexe et l’orgasme avec six couples qui se font et se défont après une entrée à l’épée portées par les danseurs, davantage comme un jouet inoffensif que que comme une arme de combat. C’est pourtant une lutte implacable qui se danse dans ces pas de deux parmi les plus beaux du répertoire. Les plus complexes aussi d’où un certain flottement ici et là, quelques anicroches. Cela reste de la très belle ouvrage. Le Ballet de l’opéra de Paris sait aussi sublimer ses imperfections.

Et pour ne pas risquer de ressortir du théâtre plombé par les jeux cruels de Jiří Kylián, il fallait trouver dans son répertoire une pièce plus légère. Elles ne sont pas légion mais le chorégraphe a gardé de ses racines tchèques un goût prononcé pour l’ironie bienveillante. Sechs Tänze joue les prolongations après Petite Mort, avec cette fois six danses virevoltantes et joyeuses de Mozart. Ces moments sont nimbés par le chorégraphe du langage académique. En perruques, poudrés à l’excès, Jiří Kylián surfe sur le burlesque, mais rappelle que ces danses mozartiennes ont été composées quand le monde était au bord du chaos, où les guerres et les révolutions grondaient en Europe et dans le Monde en cette fin du XVIIIe siècle. C’est on ne peut plus d’actualité. Cela devrait-il nous empêcher de danser ?

 

Sechs Tänze de Jiří Kylián – Saki Kuwabara et Andrea Sarri

 

Soirée Jiří Kylián par le Ballet de l’Opéra de Paris. Gods and Gods de Jiří Kylián avec Hohyun Kang, Francesco Mura, Valentine Colassante, Julien Guillemard, Caroline Osmont, Takeru Coste, Nine Seropian et Andréa Sarri ; Stepping Stones de Jiří Kylián, avec Ludmila Pagliero, Arthus Raveau, Nine Seropian, Pablo Legasa, Mathieu Ganio, Hugo Marchand, Caroline Osmont et Hannah O’Neill ; Petite Mort de Jiří Kylián, avec Aubane Philbert, Yvon Demol, Léonore Baulac, Alexandre Boccara, Clémence Gross, Alexander Maryianowski, Bleuenn Battistoni, Alexandre Gasse, Sylvia Saint-Martin, Pablo Legasa, Lucie Devignes et Grégory Dominiak. Sechs Tänze de Jiří Kylián, avec Victoire Anquetil, Alice Catonnet, Juliette Hilaire, Saki Kuwabara, Yvon Demol, Isaac Lopes Gomes, Julien Guillemard, Rubens Simon, Hohyun Kang, Nine Seropian, Milo Aveque, Francesco Mura et Andrea Sarri. Mardi 12 décembre 2023 au Palais Garnier. À voir jusqu’au 31 décembre.

 




 

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