Gros plan sur la soirée Cullberg/De Mille
La soirée Cullberg/De Mille, l’un des plus intéressants programmes du Ballet de l’Opéra de Paris cette saison, démarre le 21 février au Palais. La soirée est composée de deux ballets peu connus du public parisien : Mademoiselle Julie de Birgit Cullberg et Fall River Legend d’Agnes de Mille. Les pièces, leur histoire, les chorégraphes… Gros plan sur ce programme contemporain mettant en valeur (et c’est assez rare pour le souligner), deux femmes chorégraphes.
Mademoiselle Julie de Birgit Cullberg (entrée au répertoire)
Ballet en quatre tableaux créé le 1er mars 1950 par le Ballet Cullberg. Argument tiré de la pièce éponyme d’August Strindberg.
La chorégraphe
Le public parisien connaît très bien Mats Ek, un peu moins sa mère Birgit Cullberg, pourtant pionnière de danse au XXe siècle et figure majeure de la danse en Scandinavie. Birgit Cullberg est née en 1908 à Nyköping, en Suède. Elle étudie le dessin, la musique et la littérature tout en suivant des cours de danse moderne. Après une formation en Allemagne auprès de Kurt Jooss, elle démarre sa carrière de chorégraphe et danseuse en Suède, avec notamment des drames dansés, tragiques ou poétiques dont Roméo et Juliette (1944) et Livsrytmen, tout en continuant à se former à la danse classique et moderne (technique Martha Graham).
Créé en 1950, Mademoiselle Julie est l’une des oeuvres fondatrices de Birgit Cullberg. Elle lui ouvre notamment les portes l’Opéra Royal de Stockholm, où elle devient chorégraphe résidente jusqu’en 1957. Birgit Cullberg crée ensuite des pièces un peu partout dans le monde, notamment Månrenen au Ballet Royal du Danemark, qui lui vaut une reconnaissant internationale. Son œuvre est marquée par un sens aigu de l’analyse psychologique, un humanisme profond, mais aussi par l’amour de la nature, sans oublier son humour qui allège le poids du regard sur les choses de la vie.
En 1967, la chorégraphe crée sa propre compagnie, le Ballet Cullberg, devenu une troupe de référence aujourd’hui. C’est au sein de ce groupe que Mats Ek fera ses premiers pas de chorégraphes, en y créant notamment Giselle ou La Maison de Bernarda. Birgit Cullberg est décédée à l’âge de 91 ans, le 8 septembre 1999.
L’argument du ballet
Un soir d’été 1880, le conte présente à sa fille Julie le fiancé qu’il lui a choisi. N’acceptant pas cette obligation, Julie provoque son soupirant et le tourne en ridicule. Restée seule, la jeune fille se mêle à la fête des serviteurs du château, invite le valet Jean à danser avec elle. Elle le suit dans les cuisines et enfin jusque dans sa chambre. Quand elle en sort, à l’aube, elle est surprise par la cuisinière Kristine. Convaincue de ne plus pouvoir soutenir le regard de son père, et déterminée à fuir avec Jean, la jeune femme, avant de quitter la demeure, cherche à s’emparer des bijoux de la famille. Mais dans la salle des portraits, ses ancêtres le regardent avec réprobation ; il lui semble même que son premier aïeul lui tende son épée et l’incite à se tuer pour sauver l’honneur de la famille. Julie s’évanouit. Quand elle reprend connaissance, elle découvre l’épée entre ses mains. Elle dirige la pointe sur son sein et alors que Jean entre et cherche à lui arracher l’arme, Julie s’aide des mains du valet pour se tuer.
La danse
Lors d’une répétition publique, Ana Laguna a évoqué l’utilisation du langage classique pour le personnage de Julie, mettant ainsi en avant ses racines aristocratiques. Un style qui s’oppose à ceux des paysans Jean et Kristine, plus contemporain, ancré au sol. “C’est le ballet qui caractérise le plus parfaitement sans doute l’ensemble de son œuvre et sa conception de la danse. Une sorte de juxtaposition adroite, d’utilisation rationnelle de deux styles. A parts égales, le vocabulaire académique et le langage moderne. L’un dépeint la passion de l’héroïne qui cherche par l’intimidation à s’attacher son valet ; l’autre décrit l’atmosphère, la rusticité, des danses villageoise“, écrit François Santerre dans Le Figaro en 1972.
Les distributions
Le couple Julie/Jean sera dansé en alternance par Aurélie Dupont et Nicolas le Riche, Eleonora Abbagnato et Stéphane Bullion, et Eve Grinsztajn avec Audric Bezard.
Extrait vidéo
Fall River Legend d’Agnes de Mille
Ballet en huit scènes et un prologue créé le 22 avril 1948. Entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris en 1996, l’oeuvre n’avait plus été dansé depuis par la compagnie.
La chorégraphe
Agnes de Mille est née en 1909 à New York. Tout comme Birgit Cullberg, c’est une femme très cultivée qui suit des études à l’université, tout en apprenant la danse. Elle démarre sa carrière de danseuse à Londres dans les années 1930 au sein de la compagnie Ballet Club où elle interprète les premières œuvres d’Antony Tudor, avant de repartir pour New York. Sa première chorégraphie s’appelle Black Ritual, créé en 1940 par des danseurs noirs pour le Ballet Theatre (futur American Ballet Theatre). Suivront Three Virgins and a Devil (1941) et surtout Rodéo (1942), qui fut un immense succès.
Ce ballet-western lui ouvre les portes de Broadway, en plein dans l’âge d’or des comédies musicales. Agnes de Mille crée ainsi les chorégraphies d’Oklahoma ! (1943), Carousel (1945), Brigadoon (1947, qui lui vaut un Tony Award), Gentlemen prefer Blondes (1949), Paint your Wagon (1951) ou Girl in Pink Tights (1954), tous adaptés ensuite sur grand écran. Elle participe jusqu’en 1969 à une trentaine de musicals.
Parallèlement à ce travail à Broadway, Agnes de Mille crée des pièces néo-classiques pour sa troupe ou l’ABT, s’attachant à l’expressivité, à traduire les passions secrètes des êtres humains qu’elle met en scène, en puisant son inspiration dans l’histoire, le folklore des Etats-Unis ou les faits divers (Fall River Legend, The Harvest According, The Four Marys, A Rose for miss Emily, etc.). Elle décède New York le 7 octobre 1993.
L’argument du ballet
Fall River Legend s’inspire d’un fait-divers sanglant datant de 1892. Dans la petite ville de Fall River au coeur du Massachusetts, Lizzie Borden, une demoiselle bien sous tous rapports, est accusée d’avoir tué son père et sa belle-mère à coups de hache. La jeune femme, acquittée par le jury qui ne pouvait imaginer qu’une femme de ce rang pouvait accomplir un tel meurtre, retoure dans la maison du crime et y vit recluse jusqu’à sa mort. Le ballet ne parle pas du procès. Il fait de “l’Accusée” (le nom du personnage principal) une victime souffrant de la disparition de sa mère, trop vite remplacée auprès de son père par une femme intrigante, hautaine et méchante envers l’enfant. Et le verdict n’est pas forcément le vrai. Plus que les faits, Fall River Legend cherche plus à montrer, sous forme de flash-back, les causes qui ont pu pousser Lizzie à commettre ce crime.
La danse
Cette œuvre de 1948 marque une étape dans le ballet narratif. A la suite d’Antony Tudor, Agnes de Mille s’attache à traduire par le mouvement – et non par la mimique – des sentiments complexes, enfouis, à peine exprimables. Elle donne à Lizzie Borden (personnage renfermé, replié sur lui-même et cependant soucieux d’aller vers les autres en se dévouant à la paroisse), un vocabulaire de pas et de gestes qui s’ébauchent et se cassent – une danse en rupture : bras et mains qui se tordent, pieds (sur pointes) qui fléchissent, contractions ventrales et pliements de buste (à la manière de Graham), reflétant les tourments intérieurs d’une adulte angoissée, restée une enfant perturbée (Agnès Izrine).
Distributions
Le rôle de l’Accusée sera tenu en alternante par Alice Renavand, Laëtitia Pujol et Nolwenn Daniel.
Extrait vidéo