Soirée Peck/Balanchine – Ballet de l’Opéra de Paris
C’est avec une soirée américaine – à l’image de son année – que le Ballet de l’Opéra de Paris termine sa saison. Le programme réunit la création de Justin Peck Entre Chien et loup et l’entrée au répertoire de Brahms-Schönber-Quartet de George Balanchine à l’Opéra Bastille, un pari plutôt audacieux car faisant face au New York City Ballet aux Étés de la Danse et maître de ce répertoire. Sans faire de l’ombre à la troupe américaine, le pari est plutôt ben relevé par la troupe française, qui avait dans les mains deux ballets mettant bien en valeur ses qualités. Bien que courte (1h15 de danse montre en main, j’ai vu plus généreux), la soirée se révèle ainsi fort plaisante, même si on ne peut parler de chef-d’oeuvre à proprement parler.
La création de Justin Peck était spécialement attendue. Jeune chorégraphe demandé partout à même pas 30 ans, il se place dans la ligne de George Balanchine, en proposant des ballets courts travaillant sur la musique. Il y en a beaucoup des comme lui, mais Justin Peck sait se démarquer par des idées originales, des petites touches de modernité et de surprise ici et là qui font de ses œuvres des moments séduisants. L’entrée au répertoire à Paris de sa pièce In Creases s’était révélée intéressante, l’envie d’en voir plus était donc là. Pour Entre Chien et loup, Justin Peck a choisi une musique française – le Concerto pour deux pianos et orchestre en ré mineur de Poulenc – et s’est penché sur les qualités spécifiques de la troupe parisienne. Et le chorégraphe a visiblement beaucoup aimé les lignes et la petite batterie des danseurs et danseuses français. Les artistes y sont donc à l’aise, décomplexé.e.s dans une danse brillante. Mieux : Justin Peck leur apprend aussi que, en plus d’avoir des longues jambes, ils et elles ont aussi de longs bras. Le chorégraphe propose ainsi un travail du haut du corps vivant et musical, un travail que ces danseur.se.s ne montrent pas toujours en scène et qui est ici utilisé d’une belle manière.
Entre Chien et loup démarre pourtant d’une façon un peu molle. Les loups, ce sont en fait les masques que portent les artistes. Les ensembles glissent sur la musique, c’est bien fait mais très convenu. Tout prend un autre attrait quand il s’agit d’enlever les masques et de se révéler. C’est Hannah O’Neill qui s’en charge. La danseuse devient le centre névralgique du ballet, créant un arc dramatique, bougeant les lignes mettant les pieds dans le plat. La reine de la scène, c’est elle. Elle est bien secondée par Florimond Lorieux et Mickaël Lafon, percutant en scène.
La chorégraphie est comme sage en apparence, mais remplie de petites surprises : un déplacement inattendu, un solo empreint de modernité, un groupe qui se déforme quand on ne s’y attend pas. Non, Entre Chien et loup ne révolutionne pas la danse, mais oui le plaisir à voir cette pièce est indéniable. Même si les amateurs et amatrices de Justin Peck seront peut-être frustré.e.s. Car quand le chorégraphe brille au NYCB, c’est dans l’énergie, la danse percutante. Ce qu’il ne peut pas faire à Paris. Peut-on dire cependant que le chorégraphe ne va pas au Ballet de l’Opéra de Paris ? Pas vraiment. On est plutôt dans un début de collaboration, et l’on aimerait bien savoir où tout ça pourrait aboutir avec quelques rencontres de plus.
Brahms-Schönber-Quartet est le genre de ballet de George Balanchine qui va bien à l’Opéra de Paris. Nous ne sommes pas dans la veine black & white, mais dans l’hommage à la danse classique de Marius Petipa, aux beaux ensembles du corps de ballet et aux brillantes variations de solistes. L’ambiance n’est cependant pax aux ballets impériaux, mais à la fin de règne de l’Empire austro-hongrois. Il y a les longs tutus des bals assortis à des coiffures des années 1920, le faste de l’Empire teinté d’une certaine nostalgie de la fin d’une époque. Peut-être même ce ballet n’est-il qu’un souvenir d’un aristocrate de Vienne. Les costumes de Karl Lagerfeld, que j’ai pu décrier en les voyant en photos, sont très réussis (mea culpa) à voir en scène, évocateurs d’une époque tout en respectant les codes de la danse classique.
La danse évolue le long du Quatuor pour piano n1 de Brahms, ré-orchestré par Schönberg. Le corps de ballet s’y déploie avec une élégance toute française, bien servi par toute l’inventivité de George Balanchine. Néanmoins, il manque aux deux premiers mouvements ce fini en brio, cet enthousiasme irrésistible quand le couple de solistes sort du corps de ballet pour briller. Valentine Colasante et Yann Chailloux pour le premier, Marion Barbeau et Stéphane Bullion pour le deuxième, donnent ainsi plus l’impression d’être en début de ligne du corps de ballet que de véritables meneur.se.s de troupes. Le ballet en devient ainsi gentillet, certes joli à l’oeil mais sans grand relief.
Et puis Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann arrivent pour le troisième mouvement, et tout prend un autre aspect. Ils ont cette danse pétillante (sans jamais se départir de leur élégance à la française), cette façon de s’amuser sur scène, de se jouer des difficultés, toujours assortis d’une belle complicité. Leurs variations sont un petit régal. Le ballet prend enfin tout son relief, le corps de ballet apparaissant comme le contrepoint du couple d’Étoiles. Alice Renavand, accompagnée par Josua Hoffalt, termine le ballet avec un quatrième mouvement en feu d’artifice. Pas de tutu romantique pour cette dernière partie, mais une danse d’inspiration tzigane (avec les costumes qui vont avec) façon carte postale. Comment faire pour ne pas transformer ça en cliché ? Y ajouter un certain détachement amusé, une pointe de second degré. Ce que fait avec beaucoup de charme Alice Renavand, s’amusant avec la chorégraphie allant à toute allure de George Balanchine.
On ne s’ennuie décidément jamais avec ce chorégraphe américain. L’oeuvre est en tout cas très bien remontée, ce qui n’a pas toujours été le cas avec George Balanchine parfois maltraité à Paris, et les Étoiles parisiennes y prennent goût. À suivre dès la saison prochaine avec une reprise en octobre.
Soirée Peck/Balanchine par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Entre Chien et loup de Justin Peck, avec Hannah O’Neill, Marion Barbeau, Marine Ganio, Letizia Galloni, Jennifer Visocchi, Florimond Lorieux, Allister Madin, Mickaël Lafon, Alexandre Gasse, Antonio Conforti et Chung Wing Lam ; Brahms-Schönber-Quartet de George Balanchine, avec Yann Chailloux, Valentine Colasante et Sabrina Mallem (premier mouvement), Stéphane Bullion et Marion Barbeau (deuxième mouvement), Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann (troisième mouvement) et Alice Renavand et Josua Hoffalt (quatrième mouvement). Vendredi 8 juillet 2016.
Antonin P.
Pas d’accord avec l’idée que le ballet de l’Opéra de Paris danse moins bien ou a du mal avec le répertoire américain de Balanchine ou de Justin Peck. Avec les étés de la danse, on a un élément de comparaison, le NYCB, censé être “meilleur”.
J’ai au contraire été très déçu, “Symphony in C” / Palais de cristal est dansé avec plus de précision, plus de technique, plus de virtuosité par le ballet de l’opéra de Paris. La troupe du NYCB est très bonne, mais elle manque de virtuosité dans les pas et de précision des mouvements, de rigueur dans les ensembles. Il n’y a pas à rougir de l’opéra de Paris, son ballet danse un des répertoires les plus larges au monde et avec autant de rigueur sinon plus. Répéter un mensonge n’en fait pas une vérité, et le ballet de l’opéra de Paris dément toutes ces mauvaises langues des sites de balletomanes qui voudraient faire croire que la troupe peinerait à rivaliser avec le NYCB, qui, excusez du peu, est à la peine en ce moment aux étés de la danse avec son propre répertoire….