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Samuel Murez : « Le spectacle Désordres, c’est la tension entre la règle à suivre et la transgression créative »

Le groupe 3e Étage, composé de solistes du Ballet de l’Opéra de Paris et dirigé par Samuel Murez, se pose à Rueil-Malmaison pour une série de représentations, du 8 au 12 juin. Désordres, c’est le titre du spectacle, est constitué uniquement de pièces de Samuel Murez. Rencontre avec le chorégraphe qui aime jouer avec les codes de la danse et chercher à offrir au public une véritable « expérience » du spectacle.

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Qu’est-ce que Désordres, le spectacle de 3e Étage ?

C’est une seule pièce en deux actes, une dizaine de tableaux. Il n’y a pas vraiment de séparation entre eux, certains personnages se baladent d’un tableau à l’autre, certaines actions et chorégraphies prennent place et ont lieu entre les tableaux. Mais il y a un arc principal : la tension fondamentale entre l’ordre, la règle, quelque chose qui doit rester dans des cases, et une forme de transgression créatrice, qui à mon sens est absolument nécessaire à tout travail original. Sans règle, ça ne fonctionne pas, mais jute avec des règles, sans transgression, rien ne se passe non plus. Il y a un équilibre là-dedans.

 

Cet équilibre entre règles à suivre et création artistique, c’est un peu le chemin de tout artiste de l’Opéra de Paris ?

On a tous grandi dans un moule, très fort et très ancien, qui est devenu une grande partie de notre vie. Et en même temps, nous sommes chacun des artistes singuliers. Le public ne vient pas voir des clones. Il vient pour ce que chacun a d’exceptionnel. On a tous envie de s’épanouir en tant qu’artiste. Il y a une tension là-dessus, je joue avec.

 

C’est la première fois que vous vous lancez dans un ballet complet, qui tient toute une soirée…

J’aimerais bien dire que c’est un gros ballet en deux actes qui tient une soirée entière, mais ce n’est pas encore ça. Ça fait moins d’un an que, lors des spectacles de 3e Étage, il n’y a que mon travail sur le plateau. Je n’ai pas créé ce spectacle tout à coup, je n’en ai pas eu le luxe. Mais j’en ai fait quelque chose de cohérent et d’entier.

 

Désordres, c’est donc un spectacle construit petit à petit ?

J’ai envie que le travail de 3 Étage s’inscrive d’un spectacle à l’autre. Dans Désordres, on retrouve des personnages qui existent depuis 2006, ils leur sont arrivés d’autres choses depuis. Les gens qui ont vu les spectacles précédents pourront reconnaitre certaines histoires, certains personnages. Ce sont la suite de leurs aventures, ou ce qui s’est passé avant. Par exemple Me too, la pièce que j’ai donné lors d’une soirée Danseurs chorégraphes il y a deux ans. Les deux personnages sont partout dans mes spectacles en ce moment, ils sont très importants, ce sont des espèces d’avatars de la théâtralité et de la folie créative. Ils font toutes sortes de choses.

 

Il y a une trame narrative dans Désordres ?

Pour moi, dans la construction, c’est une trame thématique. Ça commence avec quelque chose d’entièrement formel, virtuose, classique. Et on peut considérer que les choses qui viennent ensuite opposent et questionnent les différents codes qui ont été exposés au début. Ça peut être par rapport à l’écriture chorégraphique : casser certaines règles, les codes purement académiques, l’utilisation du langage contemporain. Mais ça peut être aussi casser des règles de structure scénique : les danseurs qui dansent sur la musique, ce qui se passe dans les intercom et que normalement personne n’entend, le fait qu’on ne dépasse pas du cadre de scène, que les pièces ont un début, un milieu et une fin, que les lumières soient toujours rivées pour que le public ne les ai pas dans la figure… Toutes ces règles sont importantes, mais je peux difficilement résister à l’envier de jouer avec ça.

 

Le public aura donc la lumière dans la figure à un moment ?

Ah oui ! (rires).

 

3e Étage est composé de danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris – Ludmila Pagliero, Josua Hoffalt, Laura Hecquet, François Alu, Fabien Révillion, Lydie Vareilhes, Hugo Vigliotti, Jérémy Loup Quer, Takeru Coste et Léonore Baulac cette année. Comment les choisissez-vous ?

C’est une forme de dialogue. Ce sont des rencontres. Ce sont des gens que je vois depuis des années, parfois depuis l’École de Danse. Ce sont souvent des danseurs et danseuses dans lesquels je vois des choses que j’aimerais exploiter, et je vois que personne ne les exploite. Parfois ça marche hyper bien, parfois moyen, parfois ça ne marche pas du tout. C’est aussi un choix pour eux, je leur demande un énorme travail supplémentaire. C’est de l’énergie, de l’investissement. Il y en a à qui ça convient mieux que d’autre. C’est aussi la façon de travailler, je demande une grande créativité, une grande disponibilité artistique, c’est un tempérament.

 

François Alu a rejoint le groupe, travailler avec quelqu’un qui a de telles dispositions techniques doit être stimulant pour un chorégraphe ?

C’est hyper stimulant de travailler avec lui… mais pas seulement avec lui. Takeru Coste est peut-être moins connu à l’Opéra, mais c’est un grand artiste, et régulièrement il déchaîne les foules dans nos spectacles. Ce sont tous et toutes des grands artistes, même si ce ne sont pas tous des Princes dans La Belle au bois dormant.

 

Vous aviez réalisé un solo pour François Alu. On le reverra dans Désordres ?

On l’a retravaillé un peu. On a créé un court solo qui fait peur à tout le monde parce que personne d’autre que lui ne peut le faire. Il fait plein de pas bizarres. Pour le coup, il est tellement en dehors du moule que chaque fois qu’on part en création, on part sur des tangentes. Il a des capacités énormes…

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Vous racontez souvent que vous puisez votre inspiration dans le cinéma. Je trouve qu’on voit aussi beaucoup dans vos pièces des références aux comédies musicales de Broadway. Vous êtes d’accord ?

Je suis un grand fan de Fred Astaire, j’ai regardé tous ses films. Quand on raconte une histoire, avec de l’humour, des personnages vraiment tracés, tout en utilisant le mouvement, forcément, on est en train de jouer sur le domaine de Broadway.

On en vient à la notion de couche… En France, soit vous avez fait un truc commercial drôle qui plait, et du coup ça n’a aucune valeur artistique, soit vous avez un truc qui endort tout le monde, vous vous faites huer, bienvenue au Théâtre de la Ville, et là vous êtes un grand artiste profond. Je ne crois pas du tout à ça. Je crois à Shakespeare et Chaplin, des choses que l’on peut apprécier de 8 à 88 ans mais différemment, parce qu’il y a tellement de couches… Pour moi, avoir différents niveaux de lecture fait partie de l’essence même de n’importe quelle œuvre. On peut la voir plusieurs fois et y retirer plusieurs choses.

 

Pour ces représentations à Rueil, vous vous lancez dans l’auto-production. Ça change beaucoup de choses pour vous ?

Nos autres spectacles fonctionnent sur la règle de la cession. On cède les droits de représentations à un théâtre pour une durée déterminée, souvent une date. Après, que la salle soit remplie ou non, on est payé autant. Comme c’est l’équipe du théâtre qui prend tout le risque, c’est elle qui détermine la campagne de communication, leurs conditions, leurs matériels. Ça veut dire que si la scène ne fait que 8 par 8, que la campagne de com’ ne s’adresse qu’au femmes de plus de 85 ans qui veulent voir Le Lac des Cygnes, ou qu’il n’y a pas de com’ car c’est l’Opéra de Paris et ça sera plein de toute façon, ou qu’il n’y a que trois projecteurs parce que plus ça serait trop cher, ou que je ne puisse pas filmer, et bien c’est comme ça.

Je me suis souvent retrouvé dans la situation où les gens avaient adoré notre spectacle, et pourtant, ça ne changeait pas grand chose. Personne n’en avait parlé, il n’y avait pas de presse. On était pas forcément reprogrammé. Et c’était un peu toujours la même chose, on pourrait faire ça pendant encore pas mal d’années : avoir pleins de beaux succès sans que ça débouche forcément sur autre chose.

 

Passer en auto-production, c’est une façon de décider de tout ?

J’ai une vision particulière du spectacle, je regarde l’expérience dans sa globalité. Comme quand on va au cinéma : on entend les rumeurs, puis on voit les affiches, puis le teaser, les promo, puis le film, après le dvd, les discussions sur les forums… C’est toute une expérience vaste et complète. Pour moi, le spectacle, c’est la même chose.

 

De ce point de vue, comment avez-vous construit ce spectacle ?

On a loué le théâtre  de Rueil-Malmaison : il est grand, il a de bons outils techniques, c’est une salle où tout le monde voit bien, ce n’est pas loin de Paris. On a fixé le prix des places, on est en charge de toute la campagne de promotion. C’est pour ça qu’il y a des affiches dans le métro, des bandes-annonces dans les cinémas de Rueil. On maîtrise tout de A à Z. Là, il n’y a pas de directeur qui me dit qu’il faut absolument Patrick Dupond dans mon spectacle, ou absolument donner Le Lac des Cygnes.

Maintenant, on ne peut pas tout faire, l’auto-production est un métier et on est en train de l’apprendre. Mais il y a des petites choses qu’on est en train de mettre en place : choisir un beau théâtre, faire une belle captation, avoir des lumières vraiment belles, proposer de beaux programmes. On a fait un beau travail graphique sur la communication du spectacle, pour qu’il ne s’adresse pas qu’au public habituel de la danse, On va aussi avoir des cartons d’invitation illustrés avec des dessins originaux, des rencontres avant et après. Financièrement, il y aura un rapport direct entre le public et nous. Les gens payent leur place pour avoir une expérience. Nous, on fait tout pour que cette expérience soit géniale. Si cette expérience leur plait, et qu’il veulent revenir, ils peuvent le faire. Et nous on est libre de programmer ce qu’on veut.

 

Après Rueil, 3e Étage part aux Etats-Unis pour le célèbre festival de danse Jacob’s Pillow. Vous y êtes déjà allés il y a deux ans, comment se passe cette aventure ?

Il y a toute l’histoire de la danse qui est passée par ce festival, c’était un grand honneur d’y être invité. La dernière fois où des danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris sont venu-e-s là-bas, c’était en 1963, avec Claude Bessy, Attilio Labis ou Claire Motte. J’ai adoré cette expérience, surtout que j’était très angoissé à l’idée d’y aller, la critique peut-être très dure. Comme ça se passait plutôt bien en Europe, j’avais assez peur que les États-Unis détestent…

 

Vous allez présenter le même programme ou des créations ?

Il y a deux ans, on a présenté à Jacob’s Pillow ce qui a été les prémisses de Désordres. C’était assez marquant, c’était la première fois où on a enlevé les saluts entre les différents tableaux, où on a assumé de faire une seule chose du début à la fin. Ça a vraiment très bien marché, c’était complet, on a eu des standing ovation tous les soirs et de très bonnes critiques. J’étais soulagé.

L’été dernier, j’étais aux Etats-Unis pour d’autres projets et je suis allé dire bonjour aux organisateurs. La directrice m’a demandé si je pouvais avoir quelque chose de prêt pour août prochain. On s’est mis d’accord sur une moitié de nouveau spectacle et une moitié de reprises, de choses qu’ils avaient aimer et qu’ils souhaitaient revoir. Ça m’a donc fait 50 minutes à créer en une saison, un challenge. On a travaillé assez dur. Surtout qu’on ne pouvait pas imaginer mieux comme accueil, on ne peut que décevoir à partir de là pour moi. Plus de deux mois avant, notre semaine de spectacle est déjà complète, on a rajouté une date.

 

Cette idée de jouer avec les codes du spectacle, dont vous parlez plus haut, vous est venue petit à petit ou c’est quelque chose de déjà présent en vous dès l’École de Danse ?

C’est un aspect fondamental de mon identité artistique. Si vous me l’aviez demandé enfant, j’aurais été incapable de l’exprimer et de l’assumer comme je le fait là. C’est quelque chose qui est devenu d’autant plus fort après mon expérience à l’École de Danse. J’étais considéré comme étant plutôt mauvais. Le seul jour de l’année où j’étais bon, c’était le jour des impros et des créations.

 

Ça ne vous a pas pesé pendant votre scolarité ?

Je n’ai pas passé un bon moment à Nanterre. C’était un passage vraiment dur dans ma vie.

 

Pourquoi êtes-vous resté ?

D’une part parce que je suis très têtu. Je ne me voyais pas abandonner, j’avais fait énormément d’efforts pour arriver là. J’avais l’habitude d’être doué dans plein de choses, je ne me voyais pas reconnaître que je n’étais pas assez doué pour ça, de laisser tomber. Et puis parce que malgré toutes les choses négatives, il y avait aussi des choses géniales. Pour moi, la scène est un aspect naturel, c’est un endroit où je me sens très à l’aise, encore plus depuis que c’est moi qui décide de ce qui se passe dessus. Dans une certaine mesure, il y avait aussi des endroits où ma créativité pouvait s’exprimer à l’École. C’était intéressant et intense, c’était une aventure, ce sont des choses qui comptent pour beaucoup d’élèves de Nanterre. J’avais le rêve du corps de ballet où cette liberté artistique serait démultipliée.

 

Vous n’aviez pas envisagé de travailler dans une autre compagnie plus contemporaine ?

Comme tous les élèves, je ne voyais que l’Opéra de Paris.

 

La chorégraphie est venue quand ?

Depuis l’École de Danse. Je n’aurais pas appelé ça de la chorégraphie, mais je faisais des choses pour la fête de l’école, de la mis en scène, de la narration, des choses assez ambitieuses, et j’improvisais tout le temps.

Je ne suis clairement pas un grand danseur, et j’ai l’impression de savoir exactement pourquoi. Je travaille depuis des années avec Josua Hoffalt. Quand on avait 14-15 ans, à l’École de Danse, on travaillait le soir, des pas, des trucs. Lui, quand il voit un mouvement, il le saisit avec toute l’intensité de sa grande concentration, il l’appréhende dans tous ces détails, il le travaille jusqu’à ce qu’il soit parfait. Il ne le lâche pas. Moi, depuis que je suis tout petit, dès qu’on me montre un pas je me dis : « Il est drôle ce mouvement, on pourrait le changer, traduire un personnage avec, rajouter un bras, mettre une autre musique…« . Ce n’est pas la même attitude. Tout comme Josua Hoffalt est plutôt mal à l’aise quand on lui dit de faire ce qu’il veut, moi je suis plutôt mal à l’aise quand on me dit de faire un geste pareil tous les soirs au même moment de la même façon, que quelqu’un d’autre décide à ma place.

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Pourquoi alors ne vous êtes-vous pas lancé tout de suite dans la chorégraphie après l’École ?

Je suis tellement heureux et épanoui quand je dirige et que je chorégraphie, et il y a tellement de difficulté pour moi à être un bon danseur, que cette question paraît évidente. Mais ça ne l’était pas à l’époque, je ne me rendais pas compte que c’était vraiment quelque chose que l’on pouvait faire. Très honnêtement, je n’avais pas l’impression que je pouvais être un bon chorégraphe. J’avais l’habitude d’être un mauvais quasiment tout le temps. Les seuls moment où on me disait que j’étais un bon danseur, c’était soi dans des trucs contemporains, soit dans des interprétations où il fallait faire preuve de théâtralité. La première fois que j’ai montré mes chorégraphies, et que j’ai vu le succès que ça a eu, ça a été vraiment un choc. C’est dur de vous décrire à quel point c’était étrange… C’est là que j’ai réalisé tout ça.

 

Quand vous avez créé 3e Étage, il y a presque 10 ans, il y avait très peu de vos pièces dans les spectacles. Pourquoi ?

Lors du premier spectacle, il y avait deux œuvres de moi. Quand j’ai commencé le groupe, je n’avais pas du tout l’intention de faire ce que je fais actuellement, je voulais faire une compagnie de répertoire, avec des chorégraphies classiques et de grands maître actuels que j’admirais beaucoup. J’ai eu de la chance, j’ai pu acheter les droit d’œuvres de grands chorégraphes. Au fur et à mesure des années, j’ai été moins heureux de cette approche artistique, pour plein de raisons. C’est déjà difficile de remonter vraiment bien des œuvres d’autres chorégraphes, ça demande beaucoup de temps et d’argent. J’étais passionné, je le faisait bien, j’invitais les maîtres de ballet à nous faire répéter, les costumier-ère-s de la pièce, etc. Et on arrivait dans des théâtres, on disait qu’on avait telle œuvre de tel grand chorégraphe, et on nous répondait qu’il venait deux semaines après nous, qu’on préférait donc le voir lui avec son travail, et nous avec le notre.

 

Benjamin Millepied, le futur Directeur de la Danse, a annoncé vouloir créer une sorte d’académie chorégraphique, où les danseurs et danseuses auraient le temps de travailler sur leurs projets, et où ils pourraient rencontrer les chorégraphes actuel-le-s. L’idée doit vous tenter ?

Je suis ravi de toute l’énergie et des idées de Benjamin Millepied. Je trouve aussi que Brigitte Lefèvre a eu beaucoup d’idées et a fait des choses très bien dans certains domaines. J’ai ainsi beaucoup apprécié de pouvoir faire trois fois les soirées Danseurs chorégraphes. C’était l’occasion de montrer mon travail à des gens qui ne le connaissait pas, des expériences très enrichissantes. Elles m’ont aussi construit, et m’ont montré dans quelle situation je peux faire des choses intéressantes, et inversement.

Je me sens complètement en phase avec les deux points de l’idée de Benjamin Millepied. Quand il dit de laisser du temps pour créer, c’est un ingrédient essentiel d’une création intéressante. Et plus on est pressé par le temps, plus c’est nul, en tout cas pour moi. Quant aux rencontres c’est absolument essentiel.

 

Avec quels chorégraphes avez-vous pu échanger ?

J’ai eu la chance de pouvoir avoir des conseils de grands maitres, comme Roland Petit, qui a vu mon travail et qui m’a donné des conseils que je garderais dans mon cœur toute ma vie. Édouard Lock aussi m’a donné des conseils très précieux, même des choses que je n’ai compris que quelques années plus tard. Enfin William Forsythe, avec qui j’ai pu passer quelques temps récemment, est quelqu’un de très généreux. Si on regarde ses œuvres, dans leur construction, on apprend énormément sur la chorégraphie. Il y a un corps théorique derrière, ce qu’il a développé des extensions du néo-classique, ce qu’il a développé dans le contre-point chorégraphique, c’est extrêmement riche, c’est un travail théorique sur lequel beaucoup de chorégraphes s’appuient, même quand ils ne font pas des choses dans le style de William Forsythe. Et j’ai beaucoup apprécié qu’il me donne le droit de danser certaines de ses pièces avec 3e Étage. Puis il y a des gens avec lesquels j’ai moins interagi, mais j’ai beaucoup appris en regardant. Mats Ek par exemple, j’ai appris à le voir gérer un danseur, une répétition, une chorégraphie.

 

Pour la saison prochaine, 3e étage a des spectacles de prévus ?

On aura une saison habituelle, quelques festivals à l’étranger. Mais pour l’instant, on n’a pas de nouvelles auto-production pour la saison prochaine, parce que c’est un gros risque financier et on ne sait pas du tout comment ça va se passer. Mais si la série de spectacles à Rueil-Malmaison marche bien, c’est vraiment vers ça que j’ai envie d’aller.

 

Vous travaillez aussi sur un nouveau spectacle, Le Rêveur, dont on a vu le prologue lors de la dernière soirée Danseurs chorégraphes

C’est un ballet en quatre actes, et pour l’instant, je n’ai fait que le prologue. J’aurais adoré que ça soit l’introduction du spectacle de Rueil, mais je n’ai jamais pensé avoir le temps. Surtout qu’on a commencé à travailler sur une certaine complexité. En terme de gestion de groupe, c’est beaucoup plus ambitieux, je suis allé jusqu’à 15 danseurs et danseuses. J’ai beaucoup travaillé sur les lumières, même si on n’a pas pu voir le résultat à l’amphithéâtre par manque de moyens techniques. J’ai pris beaucoup de temps pour travailler ma structure, on a passé beaucoup de temps sur la musique, on l’a composé mesure par mesure. J’ai eu un peu les prémisses de ce que je pourrais avoir si j’avais les pleins moyens.

De temps en temps, Le Rêveur apparaitra dans nos spectacles, par petite touche. On a présenté une scène, j’ai été ravi de l’accueil. Si tout se passe bien, il y aura une autre scène l’année prochaine, on découvrira la pièce comme un feuilleton.

 

Avez-vous déjà songé à arrêter de danser pour vous consacrer à la chorégraphie ?

C’est quelque chose de très complexe. Je commence à avoir pas mal d’expérience avec le processus créatif. Il y a des outils dont j’ai absolument besoin. S’il y a des choses un peu originales dans ce que je fais, ce n’est pas parce que je me suis assis à une table et que j’ai écris un ballet de génie. C’est que, autour de moi, j’ai plein de gens hyper doués : des danseurs et danseuses très inventifs, des éclairagistes que j’adore, des compositeurs géniaux, des accessoiristes, des costumiers, des décorateurs… Tout ce monde interagit ensemble, on lance une idée, quelqu’un la reprend, qui va faire faire un mouvement au danseurs. Parfois, on crée quelque chose qu’on reprend deux ans après, parfois un nouveau danseur arrive dans le groupe et quelque chose arrive. C’est toute cette culture et cette proximité artistique qui fait qu’on peut créer. Ils peuvent être eux-mêmes, c’est ça qui fait nos pièces. Sans ça, je sais que je ferais des choses moins bonnes. En tout cas, cette situation est 100 % nécessaire.

Le genre de proposition comme « Tu as six semaines, tu va travailler avec pleins de danseurs que tu ne connais pas et tu ne vas pas les choisir, on va t’imposer un thème, un compositeur contemporain qui ne connait pas du tout la musique de danse, tu va travailler avec un décorateur qui fait de la mode », je vous garanti à 100 % que je vais faire un truc hyper mauvais. On m’a proposé des choses comme ça, j’apprécie beaucoup qu’on me les ai proposé, je suis très flatté, mais je ne pense pas que je pouvais, dans ce genre de contexte, faire un travail intéressant.

 

Aujourd’hui, même si cette situation vous convient, vous permet-elle d’exploiter complètement vos idées et vos capacités de chorégraphe ?

On a chacun des décision professionnelles, et presque existentielle, qu’on se pose. Quitter l’Opéra, je continue à me la poser. Quel contexte me permet de réaliser mon plein potentiel en tant que chorégraphe ? Je n’ai pas la réponse à ça.

Bien sûr que non, je n’ai pas l’impression d’exploiter mon plein potentiel de chorégraphe. Les idées, elles sont dans mes notes, elles sont dans mes cahiers. Elles nécessitent vraiment du temps, des décors, quelque chose dont je rêve et je pense qu’elles pourraient vraiment enchanter le public. Mais je n’ai pas encore les moyens de réaliser. Je pense que j’ai beaucoup de chance, et que j’ai une situation beaucoup plus luxueuse pour créer que de nombreux chorégraphes talentueux. Il faut quand même se rendre compte à quel point j’ai des danseurs incroyables. Il y a très peu de chorégraphes dans le monde qui ont des danseurs comme ça, et régulièrement.

Ma situation, pour l’instant, elle est bonne pour créer. Je n’ai personne qui me dit le thème de mes créations. Cette liberté m’est très précieuse et j’adore travailler avec ces danseurs là, mon équipe. Est-ce que je vais lâchez ça pour avoir mieux ou pour dix fois pire ? Quels seraient mes moyens, comment mes danseurs seraient subventionnés toute l’année ? C’est toujours les mêmes questions. Là, je suis dans un équilibre où j’estime que j’ai beaucoup de chance. Et je serais le premier à reconnaître que j’ai des choses en moi que je ne peux pas exprimer pour l’instant. On en arrive à Rueil, qui est une tentative de réponse.

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Désordres, du 8 au 12 juin au Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison.

Commentaires (2)

  • Joelle

    Soirée extra hier soir à Rueil (un peu difficile à trouver pour des intra-muros, mais bon…).
    Un spectacle diversifié, plein d’inventivité et d’humour (rien à avoir avec l’atmosphère compassée qui règne souvent dans certains opéras…). On sent le groupe d’amis qui aiment travailler ensemble et aussi savent s’amuser ! Pour un peu on y retournerait ce soir !!!! 🙂

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  • a.

    une petite tournée en province? non?

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