Rencontre avec Sara Renda, nouvelle Danseuse Étoile du Ballet de l’Opéra de Bordeaux
Sara Renda a été nommée Danseuse Étoile du Ballet de l’Opéra de Bordeaux le mardi 15 décembre, après la première représentation de La Belle au bois dormant, où elle dansait le rôle-titre. Une belle surprise pour cette danseuse née en Sicile, encore dans le corps de ballet il y a deux ans. Elle revient sur sa nomination, qu’elle a encore du mal à réaliser, et sur ses ambitions d’Étoile.
Quelles sont vos impressions 24 heures après votre nomination d’Étoile ? (ndlr : l’interview a eu lieu le mercredi 16 décembre).
C’est un peu étrange (rire), je ne réalise pas encore. C’est totalement inattendu ! Après ma nomination, je n’ai pas dormi la nuit, j’étais au téléphone avec ma mère jusqu’à 4h du matin, j’ai pleuré aussi. Et le lendemain matin, j’ai pris la classe, comme tous les jours… Je crois que cela va prendre un peu de temps pour réaliser, mettre des mots sur mes émotions. C’est un rêve qui devient réalité, c’est incroyable.
Cette nomination était-elle inattendue ? Vous dansiez le rôle principal d’un grand ballet un soir de première.
Vraiment, je ne m’y attendais pas du tout. J’avais déjà été nommée Première danseuse l’année dernière, je ne pensais pas être Étoile un an plus tard. Et puis j’étais très concentrée sur le spectacle, je voulais donner le maximum pour cette première de La Belle au bois dormant, être vraiment Aurore, non pas Sara Renda. J’étais dans ma bulle. Le spectacle s’est d’ailleurs bien passé, le public était très enthousiaste, dès la fin du premier acte.
Les nominations à Bordeaux se font comme à Paris, devant le public au moment des saluts. Qu’avez-vous ressenti sur le coup ?
Quand Charles Jude (directeur du Ballet de l’Opéra de Bordeaux) et Thierry Fouquet (directeur de l’Opéra de Bordeaux) sont montés sur scène, je me suis demandé s’il n’allait pas remercier quelqu’un (rire). J’ai pensé à tout sauf à une nomination. Lorsqu’ils ont prononcé le mot “Nomination“… Bon, mon partenaire Roman Mikhalev est déjà Étoile, je ne pense pas qu’ils vont nommer quelqu’un du ballet, ça ne pouvait donc être que moi ! (rire). Et quand j’ai entendu “Sara Renda“… C’est un rêve qui devient réalité, c’est incroyable.
À qui avez-vous pensé en premier ?
À ma famille, à ma mère. Mon père, mon compagnon et ma cousine étaient dans la salle, mais ma mère travaillait et n’a pas pu venir. Je l’ai appelée dès la fin des saluts dans ma loge.
Que représente pour vous le statut d’Étoile ?
Je danse des rôles de solistes depuis le corps de ballet, j’avais déjà la responsabilité des premiers rôles en étant Première danseuse. Mais pour une ballerine, être Étoile, c’est le top, c’est l’échelon le plus haut. Même s’il ne faut jamais s’arrêter, donner toujours le meilleur.
Vous êtes nommée Danseuse Étoile en 2015, mais 2014 a aussi été une année particulière pour vous…
Ça a été une année très importante. J’étais encore dans le corps de ballet en janvier. J’ai gagné la médaille de bronze au Concours de Varna en juillet, puis j’ai été nommée directement Première danseuse en décembre, sans passer par le statut de soliste. Dès le corps de ballet, je dansais déjà pas mal de rôles de solistes. Je m’attendais donc à une promotion, mais pas en tout cas à passer directement Première danseuse. Ça change la vie, c’est quelque chose d’incroyable. J’ai aussi participé à beaucoup de galas avec Roman Mikhalev, j’ai dansé en Russie, j’ai eu la reconnaissance de mon pays l’Italie en y recevant un prix. C’était une année très intense et remplie d’émotion, ça ne s’arrêtait jamais.
Pourquoi avez-vous eu envie de présenter Varna ?
C’est un grand concours international. C’est une bonne chose pour se montrer, se faire connaître. Il y a des gens très importants dans le jury, c’est bien de se faire voir à l’extérieur de sa compagnie. Je voulais le passer en duo, j’ai donc dansé avec Austin Lui, qui est aussi danseur au Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Roman Mikhalev nous a beaucoup fait travailler, il était très disponible, il nous a conseillés, nous a poussés. On répétait dès que l’on avait un peu de temps, entre les dernières représentations de la saison. Varna, c’est aussi un bon moyen pour voir jusqu’où l’on peut aller. C’est très intense comme concours, il dure 15 jours et l’on peut répéter jusqu’à 4h du matin. À faire une fois dans sa vie… mais pas plus ! (rires).
Comment avez-vous démarré la danse ?
Je suis née à Alcamo, en Sicile, entre Palerme et Trapani. Ma mère aimait beaucoup la danse, j’ai commencé pour m’amuser à 3 ans ½, dans une école privée. Après un an dans une école à Palerme, je suis partie de chez moi pour l’école de la Scala de Milan. J’avais 10 ans, ça a été très dur de quitter ma famille, je suis très proche d’elle. Je devais être forte, mais je pouvais pleurer devant tout le monde. Deux de mes professeurs m’ont beaucoup soutenue. Quand je me mettais à pleurer en cours, ils me disaient : “Ne ‘inquiète pas Sara, sors cinq minutes et reviens“. Ils n’avaient pas cette réaction avec tous les élèves,
J’étais en internat. Dès que ma mère m’entendait pleurer au téléphone, elle prenait un avion et passait quelques jours avec moi. Je remercie vraiment ma famille pour m’avoir donné la possibilité de vivre cette vie. Si je suis arrivé là où j’en suis, c’est que c’était mon destin. La danse est quelque chose d’incroyable, c’est ma passion, c’est ma vie.
Comment êtes-vous arrivée au Ballet de l’Opéra de Bordeaux ?
Je suis restée 8 ans à l’école de La Scala. À 18 ans, j’ai auditionné un peu partout en Europe, dont l’Opéra de Bordeaux. Mon directeur m’avait conseillé cette compagnie. L’audition était en avril, mais nous n’avons pu avoir les résultats qu’en juin. Lorsque j’ai reçu l’appel pour me dire que j’étais prise, je ne parlais pas très bien anglais, pas mieux le français. On me dit que j’ai un contrat d’un an. Mais moi, je comprends qu’il faut que je repasse l’audition… Et on comprend que je refuse le contrat ! Ça me fait rire maintenant, moins sur le coup (rires). Ma carrière a commencé comme ça.
Qu’est-ce qui vous a attiré à l’Opéra de Bordeaux ?
Ce n’est pas une grande compagnie. Il est plus difficile de trouver sa route pour bien travailler au milieu de 120 personnes. À Bordeaux, nous sommes 40, c’est plus facile, on est comme une grande famille. C’est bien pour travailler.
Quels sont vos points forts et vos points faibles ?
J’ai un fort caractère. C’est bien pour certains personnages, je rentre plus facilement dedans… Et c’est un point faible pour d’autres, comme Aurore, qu’il est plus difficile d’aborder pour moi.
Que faites-vous lorsque vous ne dansez pas ?
À Bordeaux, pas grand-chose (rires). C’est le boulot. Quand je suis en repos, je préfère rester chez moi à regarder des films ou des séries. Pendant les vacances, c’est différent. Je danse… mais de la salsa ! Ça fait du bien de se lâcher un peu.
À Bordeaux, qu’est-ce qui vous manque le plus de la Sicile ?
Ma famille, la chaleur de ma ville, la mer. Il y a bien l’océan à Bordeaux, mais l’eau est bien plus froide (rires) !
Quels sont vos rêves et vos ambitions après ce titre d’Étoile ?
D’abord, je veux me concentrer sur mes autres spectacles de La Belle au bois dormant. Puis j’ai envie de danser un maximum de ballets et de caractères, je veux tout donner, je veux montrer que je suis capable de changer les personnages. À Bordeaux, nous avons la chance d’avoir des chorégraphes contemporains, c’est bien de changer, de ne pas faire que de la danse classique, ça ouvre. Je n’ai pas forcément de chorégraphes favoris, je veux travailler avec le plus de gens possible. J’aime faire quelque chose de neuf, il faut être ouverte à tout, être comme une éponge face à chaque expérience. Étoile, c’est un rêve. Maintenant, je veux devenir une Étoile reconnue en Europe, dans le monde. Quand je veux quelque chose, je fais tout pour l’obtenir et arriver où je veux.
pascale
Merci pour cette belle interview!
Lili
A relire ça 7 ans après, on comprend mieux pourquoi elle est partie cette année de l’ONB. Il est certain que l’ONB n’est pas à la hauteur des ambitions (et des qualités) de cette remarquable danseuse qui emporte tout sur son passage en scène.
C’est tellement dommage pour nous, bordelais. Mais une programmation pauvre et des difficultés internes que je ne maîtrise pas ont eu raison de son engagement et cela se comprend.