Christian Lacroix : “Jean-Guillaume Bart voulait des nervures pour La Sources”
Lundi 7 novembre, une rencontre avec le public était organisée autour de La Source, en présence du chorégraphe Jean-Guillaume Bart, du couturier Christian Lacroix qui a fait les costumes, et de Brigitte Lefèvre. Je vous passe les nombreux commentaires et remerciements en tout genre de cette dernière, ainsi que l’histoire de cette re-création déjà multi-entendue, pour se concentrer sur les costumes.
Christian Lacroix, comment avez-vous croisé Jean-Guillaume Bart ?
Christian Lacroix : Ma première rencontre avec Jean-Guillaume Bart remonte à assez loin, avec le ballet Joyaux, où il dansait Diamants (ndlr : et dont les costumes ont été faits par Christian Lacroix). J’avais un souvenir très ému de son interprétation. Quand je repense à ce spectacle, c’est Jean-Guillaume qui me vient tout de suite à l’esprit, avec ce profil très dessiné, qui m’avait beaucoup touché. Il est un peu énigmatique, avec beaucoup de charme. On sentait bien pendant les essayages que c’était lui qui était le plus drôle, le plus caustique.
Et La Source, quand avez-vous eu connaissance de ce projet ?
Christian Lacroix : Il y a eu un “déjeuner La Source“, il y a 3, 4, 5 ans… C’était les prémices d’un certain projet. J’ai trouvé Jean-Guillaume Bart très timide ce jour-là. Plus tard, quand je lui ai demandé à quoi il pensait pour les costumes, il m’a répondu qu’il voulait “des nervures”. Ça, ça m’était resté dans la tête. On a fait ces corselets comme ça. Tout est parti juste d’un mot, un seul.
Jean-Guillaume Bart : J’avais envie que le monde de l’invisible soit une représentation de la nature. A travers ces costumes héritages du tutu romantique, il fallait que l’on puisse voir ces feuilles, ces nervures, que ce soit quelque chose en relation avec la nature.
Christian Lacroix : C’était vraiment précis cette demande de végétation. Au début, j’avais peur que le choix de Brigitte Lefèvre ne soit pas le choix de Jean-Guillaume Bart. Je pensait, pour le peu que je connaissais de lui, qu’il voulait quelques de plus classicisme, avec une certaine pureté. J’étais un peu angoissé.
Jean-Guillaume Bart : Je n’avais pas du tout visualisé les costumes. J’avais un canevas, un parfum dans la tête. Mes références vont plutôt sur des choses assez traditionnelles. Christian Lacroix était à l’écoute de ça, et a su en même temps apporter tout son imaginaire, son goût pour le faste, et des recherches vraiment personnelles. J’ai laissé des portes ouvertes à chacun pour que tous puissent y mettre leur patte, et que la sauce prenne. On a tous défendu le même projet, et essayer de faire passer un bon moment au public.
Les décors ont aussi été une source d’inspiration…
Christian Lacroix : Les décors ont été pour moi un déclic. Ils doivent être prêts beaucoup plus tôt. La remise de la maquette était très antérieure à celles des costumes. Le décors m’a inspiré autant que le sujet que Jean-Guillaume Bart m’a exposé. Ces décors m’ont tout de suite évoqué les contes de fées. C’est en partie par la maquette, que j’ai trouvé magique, qui m’a convaincu de ce projet.
Vous n’avez pas cherché à vous inspirer des costumes originaux ?
Christian Lacroix : On ne peut pas faire à l’identique, on sait bien que c’est utopique. On n’a même plus les mêmes matières. L’année dernière à Suresnes, on a essayé de remonter un ballet que l’on avait fait il y a 20 ans. C’est incroyable, et en même temps excitant, étonnant, dans la manière dont les choses changent en seulement 25 ans. Non seulement la matière, mais aussi les danseur-se-s, les corps, le rapport à la nudité…
Pour La Source, j’ai essayé d’être intemporel, même si on sait qu’on ne pourra pas se défaire de ce qui nous a formé, nous a construit. C’est du vrai classique contemporain. J’aurais aimé que l’on croit que ces costumes ont été un peu exhumés, comme la partition. Pouvoir garder une certaine légèreté, une certaine opulence… Il fallait être digne à la fois du décor et de la chorégraphie, de cette poésie. On a tendance à penser que la poésie, c’est sucré. Pour moi, c’est quelque chose dont on a tous besoin aujourd’hui.
Le ballet a été diffusé au cinéma, et certaines scènes semblaient véritablement faites pour le grand écran. La Source est-elle une oeuvre cinématographique ?
Christian Lacroix : On ne se l’ai pas dit, mais on a le même film favori ! On n’a jamais parlé de cinéma, c’est trouble ! Je ne peux pas non plus laisser de côté cette période-là, ce cinéma-là, et ce genre de ballet-là. Moi j’étais enfant dans les années 1950, ça m’a marqué.
Les costumes sont opulents, sauf celui de Djémil, qui paraît presque transparent à côté de Zaël. Pourquoi ?
On a pris beaucoup de plaisir à créer des personnages. Chacun a une couleur… Christian Lacroix m’a aidé à déterminer ces personnages grâce à ces costumes. Chacun a une identité extrêmement forte, même dans la chorégraphie. Démil a moins de succès que l’elfe, j’ai envie de dire : “Et alors ?“.
Christian Lacroix : C’est mon vrai idéal d’enfance. je suis presque là tous les soirs. Ce ballet est devenu quelque chose… J’ai l’impression que j’ai rempli ce que l’enfant que j’était voulait. Ce que Jean-Guillaume Bart a fait là, c’est de la dentelle, même si ce n’est pas très orignal de la part d’un couturier. Et c’était déjà ce que disaient les critiques de l’époque, au moment de la première Source, au XIXe siècle.
Alice
C’est plutôt cocasse que C. lacroix ait été inspiré par les décors parce que si j’ai adoré les costumes, je n’arrive pas, mais alors pas du tout, à me faire aux décors.