La vidéo-danse du jeudi (16)
Place aujourd’hui à un peu de danse contemporaine, avec un extrait du ballet Véronique Doisneau de Jérôme Bel.
Ce “ballet” est on ne peut plus particulier. Je mets le mot “ballet” entre guillemets, car il n’y a dans ce spectacle aucune pure création chorégraphique. Dans les crédits de l’Opéra, il est d’ailleurs indiqué “Conception” et non” Chorégraphie”.
Véronique Doisneau est un Sujet dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris. Dans 8 jours, elle prend sa retraite et quitte la scène. Dans ce spectacle, qui dure une trentaine de minutes, Véronique Doisneau se raconte au public. Elle arrive, seule en scène, en tenue de travail, un tutu sous le bras. Et elle raconte. Son amour pour la Danse, ses rôles préférés, ceux qu’elle n’a jamais pu danser, ses modèles. Elle danse quelques variations qu’elle a beaucoup aimées. Elle raconte aussi son envie de hurler lorsqu’elle passe tout un acte du Lac des Cygnes en décor humain au milieu de 31 autres cygnes immobiles, ses frustrations en tant que non-Etoile.
Certains ont hué à la vue de ce spectacle. Pour moi, c’est l’un des plus beaux hommages rendus à ceux et celles auquel(le)s on ne fait pas attention, les danseurs et danseuses du corps de ballet, mais sans qui aucun spectacle ne pourrait jamais exister.
J’ai choisi le deuxième extrait. Véronique Doisneau danse un passage de Points in Space de Merce Cunningham, chorégraphe décédé il y a quelques jours, et une variation de la Giselle classique. On y voit aussi un extrait de la Giselle contemporaine vue par Mats Ek.
mimylasouris
Je ne l’ai pas vue, mais je me souviens que cette pièce avait en effet beaucoup fait parler d’elle à sa création. Encore faut-il savoir si “elle” est bien la pièce ou plutôt Véronique Doisneau. Car dans l’extrait que tu as mis en lien, j’ai plutôt l’impression que c’est l’amertume qui prédomine et que les applaudissements du public sont aussi nourris du remord de ne pas faire attention au corps de ballet en tant qu’interprètes. Le choix de Giselle n’est pas anodin, celui d’une jeune fille aimant par-dessus tout la danse, c’est-à-dire la vie, et trahie par cette vie même au point d’en mourir, celui d’un sujet aimant par-dessus tout la danse et “trahie” par l’Opéra de sorte qu’elle était sur le point d’en être effacée en partant à la retraite – si ce n’était cette pièce. Est-ce si sûr ? “Si ce n’était”, vraiment ? Cet extrait ne valorise pas le travail accompli par le sujet, mais en lui accordant pour un temps quelques rôles d’étoile contribue à ne faire voir que le soliste – même sous sa forme potentielle… Elle interprète moins un rôle d’étoile que son rôle n’est celui de l’étoile : elle y joue sans jamais l’être et chantonne elle-même la musique comme une vieille femme que hantent ses regrets (et le souffle court, la respiration même l’en rapprochent). Les applaudissements glorifient une martyr exemplaire, et l’effort, n’ayant pas mené à l’effet escompté, devient douleur. Il faut que je regarde le reste de la pièce, mais j’ai comme l’impression que je vais avoir du mal à y voir un hommage – ce qui ne veut pas dire pour autant que je dénie tout intérêt à la pièce (je n’aurai jamais été parmi les siffleurs en tous cas, c’est certain), mais pas comme hymne à la danse et à tous ses interprètes. C’est souvent à quelqu’un de mort ou à la carrière achevée que l’on rend hommage. Véronique Doisneau, mais les cygnes potiches actuels, qui s’en soucie ? Et faut-il s’en soucier ? – c’est un regard esthétique et non moral (estime pour le plus méritant) que l’on porte sur un ballet…
> Je ne sais pas si tu as vu le troisième extrait, mais il porte encore plus aux questionnements.