[Les Étés de la danse] Alvin Ailey American Dance Theatre – Programme Alvin Ailey
Peu de compagnies ont pu survivre très longtemps à la disparition de leur fondateur, surtout lorsqu’il s’agit d’une personnalité aussi charismatique qu’Alvin Ailey. Pourtant, près de 30 ans après sa disparition, l’Alvin Ailey American Dance Theater est plus vivante que jamais. Sous la direction de Robert Battle, elle a su s’ouvrir à un répertoire compatible avec le style de la compagnie mais aussi conserver le fabuleux héritage du répertoire laissé par un chorégraphe génial, non pas comme des pièces de musée mais en les faisant s’incarner par les nouvelles générations. C’est tout le propos et l’avantage du programme E de la tournée de la troupe aux Étés de la Danse qui donne à voir exclusivement des pièces écrites par Alvin Ailey : quatre chefs-d’œuvre montrant l’étendue de son savoir-faire et de son inspiration.
Certes, il faut surpasser l’immense déception que constitue la salle de la Scène Musicale. L’élégance du bâtiment extérieur ne laissait pas présager un tel ratage : tout y est froid, les abords de la salle, les coursives, mais surtout la scène, installée pour ces représentations beaucoup trop basse, qui prive le public du parterre et des tribunes du carré or de 50 centimètres. Autrement dit, inutile d’essayer de voir les pieds des danseur-se-s ou de capter les détails de toutes les danses au sol. C’est fort dommage et si les Etés de la Danse doivent désormais élire domicile à la Scène Musicale, il faudra remédier à ce problème qui est tout sauf un détail.
Mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur ! Et il n’y a pas trop à se forcer avec Night Creature qui ouvre la soirée. Cette pièce de 1974 pour 14 danseur.se.s est un cocktail brillant sur la musique de Duke Ellington. Cela ne raconte rien mais cela évoque du début à la fin les nuits new-yorkaises, les boites de jazz, les stratégies de séduction d’un soir, les plaisir de l’ivresse et de nuit qui se prolongent jusqu’à l’aube. Sur les costumes bleus signés Jane Greenwood, Night Creature est une bouffée de joie jazzy.
Le solo Cry qui lui succède est d’un autre registre. Alvin Ailey l’a écrit en 1971 comme cadeau d’anniversaire à sa mère, Lula Cooper. « Ce ballet est dédié à toutes les femmes, et plus spécialement à nos mère afro-américaines », expliquait le chorégraphe lors de la création de cette pièce poignante. Une robe blanche à volant pour costume et une étole qui tour à tour la cache aux autres, l’emprisonne, se transforme en serpillère pour symboliser l’esclavage et le travail forcé, puis finalement souligne l’élégance du corps. Judith Jamison, danseuse fétiche d’Alvin Ailey et star de la compagnie pendant 15 ans avant de lui succéder confiait à propos de ce solo qu’elle créât : « Dans mon interprétation, cette femme représente toutes celles qui ont subi les horreurs de l’esclavage, enduré la souffrance liée à la perte d’être aimés et surmonté des épreuves hors du commun« . Danse de la résilience et parfois transe du désespoir sur les musique d’Alice Coltrane, Laura Nyro et Chuck Griffin, c’est une pièce puissante et la danseuse Jacqueline Green a su se l’approprier et faire vivre ce solo déchirant.
Blues Suite est la pièce la plus ancienne du programme. Elle fut chorégraphiée en 1958 sur la musique traditionnelle de Brother John Sellers, une suite de gospels et de blues. L’œuvre fut présentée lors du tout premier spectacle d’Alvin Ailey. Cela commence rideau baissé avec le bruit du train, puis les cloches de l’église pour installer un univers quotidien, celui de l’enfance d’Alvin Ailey. Il convoque là ses souvenirs du sud du Texas pour dresser le portrait d’une galerie de personnages. C’est autant de la danse jazz que du théâtre et on voit déjà se façonner ce qui sera le style d’Alvin Ailey.
Puis vint Révélations, point d’orgue incontournable et chef d’œuvre absolu dont on a déjà tout dit et plus. Ajouter simplement que ce qui est la clef du succès constant de la compagnie, c’est sa capacité à passer ce répertoire de génération en génération avec une fraicheur sans cesse renouvelée. Comme toujours, c’est la fête dans la salle : on frappe des mains, les corps commencent à bouger. Alvin Ailey forever….
L’Alvin Ailey American Dance Theater à la Seine Musicale dans le cadre des Étés de la Danse. Night Creature, Cry, Blues Suite, Revelations de Alvin Ailey. Lundi 10 juillet 2017. Programme E à revoir les 19 et 22 juillet (matinée) ; l’Alvin Ailey American Dance Theater aux Étés de la Danse jusqu’au 22 juillet.