Programme Johan Inger/Jiří Kylián – Ballet de l’Opéra de Lyon
Le Ballet de l’Opéra de Lyon continue son partenariat de trois avec le grand chorégraphe Jiří Kylián. Au programme d’avril : l’entrée au répertoire de la pièce exigeante No More play, accompagnée par la superbe reprise de Petite Mort et d’une création de Johan Inger. Un choix qui n’est pas dû au hasard, le jeune chorégraphe ayant une véritable filiation avec le maître tchèque. C’est dans sa troupe, le NDT, qu’il fit une belle carrière d’interprète et ses premiers pas de chorégraphe. Aujourd’hui, Johan Inger est l’un des créateurs les plus prolifiques et enthousiasmes de cette nouvelle génération estampillée NDT, avec Crystal Pite et le duo Sol León/Paul Lightfoot, même s’il reste (curieusement) bien moins connu en France que ces deux derniers. Sa création Under a Day est à l’image du programme : une soirée de danse de haute volée.
Le NDT, malgré le départ de Jiří Kylián, reste décidément la plateforme incontournable de la création contemporaine mondiale. Crystal Pite, Sol León/Paul Lightfoot… Le monde de la danse s’arrache cette jeune génération, qui crée une danse « qui danse », virtuose, aussi extrêmement vivante et actuelle, portant toujours en sous-jacent une théâtralité percutante. Johan Inger fait partie de ce petit groupe de surdoué.e.s. Et sa création Under a Day pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, sur les musiques de Nina Simone et inspirée par la vie trouble de la chanteuse, n’échappe pas à la règle. Voilà 30 minutes de danse sur le fil, toujours en mouvement, à l’humeur changeante d’un simple coup de tête. Le centre de la pièce reste la relation entre les autres, où la danse s’entrecoupe de longues courses en scène. Sujet déjà vu et revu, tout comme la technique utilisée. Mais Johan Inger arrive à en faire quelque chose de neuf, d’aujourd’hui, en s’inspirant des fortes personnalités qui composent le Ballet de l’Opéra de Lyon.
Sensibilité extrême, syndrome bipolaire, conflits personnels… La vie de Nina Simone a été chaotique. Sur scène, c’est ce qui semble transparaître au début. Le groupe se forme, se jauge, lutte beaucoup, avant de trouver une forme explosive sur Be my Husband. Relation à l’autre, au groupe, les rapports de force aussi, Johan Inger explore dans Under a Day la complexité des rapports humains, dans leur tension. Si la pièce met un peu de temps à s’installer, elle devient vite percutante et étonnante. Le chorégraphe se sert de tout pour raconter le rapport entre les gens, du simple regard au long pas de deux. Le sentiment bascule à toute vitesse avec un petit effet zapping très générationnel, pour raconter en seulement 30 minutes toute une palette d’émotions, sans qu’une fois le geste ne se répète. Un pas de deux par la tête (qui rappellent d’ailleurs certains gestes dans les pièces de Jiří Kylián qui suivent), un pas de trois en lutte, un pas de six solidaire, un mouvement de groupe changeant où le harceleur devient harcelé, le suiveur devient leader. Chacun semble avoir un personnage vivant un condensé de vie, et toutes les surprises que cela comporte, en 30 minutes. Johan Inger sait où il va et ne perd jamais le fil de ses interprètes pour proposer une création déjà mature, qui devrait faire les beaux jours du Ballet de l’Opéra de Lyon en tournée. Seul regret : un certain cliché dans les rapports homme-femme. Sur scène, les filles sont solidaires et en groupe, les garçons plus en combat de coqs. Même si cela ne représente pas la majorité de la pièce, Under a Day n’échappe pas à certains poncifs malgré la modernité du geste.
Place au maître Jiří Kylián, avec les deux pièces No More play et Petite Mort qui s’enchaînent comme un seul et même ballet. Une idée plutôt judicieuse, qui montre deux facettes du chorégraphe : la première est une danse complexe et froide bluffante de construction sur l’austère musique de Webern, l’autre est toute en sensibilité sur Mozart. Le point commun cependant : les longues robes-mannequins à crinolines, présentes dans les deux chorégraphies.
Créé en 1988, No More play fascine déjà par sa modernité : 30 ans au compteur, mais la pièce semble avoir été créé hier. « L’idée de base de cette chorégraphie s’inspire d’une petite sculpture d’Alberto Giacometti : un simple jeu de société légèrement déformé par de petits cratères, de petits fossés et deux morceaux de bois ressemblant à des figures humaines. On pourrait avoir l’impression d’avoir été invité à un jeu dont les règles sont tenues secrètes ou bien n’ont jamais été fixées« , explique le chorégraphe. De fait, No More play apparaît comme une oeuvre extrêmement construite, avec l’entremêlement de sa chorégraphie, sa musique, son jeu de lumières et des corps en scène. Comprenons-nous les règles qui régissent l’ensemble ? Non, comme trop complexes, trop obscures. Pourtant, la grâce est là, quelque chose de lumineux malgré l’austérité assumée de la pièce. Cet instinct de la danse qui ressort d’une structure complexe a toujours quelque chose de magique, porté ici par cinq interprètes qui portent haut la superbe précision du geste. Même si la froideur volontaire de la pièce peut en laisser certain.e.s sur le côté.
Quant à Petite Mort, tout a déjà été écrit ou presque sur ce tube de la danse. Six couples, des épées, un long rideau mouvant, la musique de Mozart et une ambiance en clair-obscur pour raconter le moment d’extase, la « petite mort ». Sujet sensuel s’il en est, mais interprétation en retenue sur le fil de la musique pour un ensemble d’une grande beauté. Comme un goût de tristesse, ou de rêve nostalgique, malgré le bonheur raconté. « C’est toujours une Mort qui accompagne nos vies, tantôt une ‘Petite’, tantôt une ‘Grande’, mais c’est notre compagnon le plus fidèle, tout au long de notre existence« , résume Jiří Kylián.
Programme Johan Inger/Jiří Kylián par le Ballet de l’Opéra de Lyon, à l’Opéra de Lyon. Under a Day de Johan Inger, avec Jacqeline Bâby, Kristina Bentz, Edi Blloshmi, Dorothée Delabie, Adrien Delépine, Aurélie Gaillard, Tyler Galster, Caelyn Knight, Marco Merenda, Lore Pryszo, Leoannis Pupo-Guillen et Raúl Serrano Núñez ; No More play de Jiří Kylián, avec Adrien Delépine, Caelyn Knight, Albert Nikolli, Lore Pryszo et Leoannis Pupo-Guillen ; Petite Mort de Jiří Kylián, avec Kristina Bentz, Edi Blloshmi, Samuel Colbey, Dorothée Delabie, Aurélie Gaillard, Tyler Galster, Coralie Levieux, Marco Merenda, Elsa Monguillot de Mirman, Marissa Parzei, Raúl Serrano Núñez et Paul Vezin. Samedi 21 avril 2018. À voir jusqu’au 25 avril.