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São Paulo Dance Company – Goecke/Oliveira/Scholz

Créée il y a tout juste dix ans, la São Paulo Dance Company fait cette saison une petite tournée française. Voilà l’occasion de découvrir une troupe séduisante, centrée sur le néo-classique, composée d’une trentaine de danseurs et danseuses jeunes et diversifiées. Si le répertoire de la troupe brésilienne va de La Sylphide à des créations contemporaines en passant par les incontournables du néo (William Forsythe & Co), la compagnie a choisi pour ses dates à Lyon quatre pièces inconnues en France, de chorégraphes talentueux mais peu programmés dans l’Hexagone : Marco Goecke et Uwe Scholz. Le jeune chorégraphe brésilien Clébio Oliveira complète un programme enthousiasmant, montrant la grande diversité des styles des artistes de la compagnie, dont le charisme et la joie de danser compensent les quelques faiblesses chorégraphiques qui émaillent les quatre pièces. 

Peekaboo de Marco Goecke – São Paulo Dance Company

Rien de tel dans la danse que d’alterner les styles. Pour les danseurs et danseuses, pour le public aussi. Je le sais d’expérience, je profite toujours mieux d’une bonne création contemporaine abstraite après une longue série de Lac des Cygnes, comme je n’ai jamais un aussi grand enthousiasme face à un tutu romantique que lorsqu’il suit un programme Mats Ek. La programmation de cette saison a fait qu’en avril, le manque de pointes, d’arabesques ou de manèges de coupés-jetés commençait cruellement à se faire sentir. Quel plaisir ainsi, quand le rideau se lève sur la São Paulo Dance Company, de découvrir les lignes nettes et fugaces de la danse néo-classique d’Uwe Scholz, ces pointes, ces justaucorps blancs et ces collants noirs. L’un des maîtres du genre en Europe est un peu oublié en France ces dernières années, et c’est bien dommage. Car sa danse offre une nourriture aussi technique que musicale à ses interprètes. Suite for 2 pianos, créée en 1987, part d’un principe assez classique : l’inspiration de tableaux. Ici, c’est Kandisky. Sur scène, quatre tableaux se succèdent : l’oeuvre du maître en fond de scène, l’inspiration chorégraphie devant. Il ne s’agit pas pour Uwe Scholz de retranscrire littéralement la peinture, mais de l’extrapoler par le geste. 

Et c’est la réussite d’une oeuvre bien construite. Tour à tour anguleux, bondissants ou lyriques, les neuf interprètes créent quatre ambiances différentes, avec comme point commun un geste vif et une technique classique virtuose qui ne souffre d’aucune approximation, portée par la musique de Rachmaninov. La chorégraphie s’amuse spécialement avec les danseurs. Le deuxième tableau propose aussi un duo de danseurs qui se lancent dans une sorte de battle technique non dénuée d’humour. Les deux interprètes du soir sont bien trouvés, à l’aise aussi bien avec le jeu que l’envie de faire un peu le show. La danse est un peu moins curieuse pour les danseuses. Si George Balanchine a parfois transformé ses danseurs en porteur au profit de la Ballerine, Uwe Scholz fait des danseuses des portées, presque des accessoires pour mettre en avant ses interprètes masculins. Les ballerines retrouvent cependant un peu de liberté artistique lors du dernier tableau tout en courbes aux lignes changeantes. 

Suite for 2 pianos de Uwe Scholz – São Paulo Dance Company

L’Oiseau de feu de Marco Goecke qui suit permet de voir toute la malléabilité technique de la São Paulo Dance Company. Plus de pointes  même si le geste contemporain se base sur la technique classique, mais un geste mi-humain mi-volatile. Le ballet repose sur un duo : une femme oiseau un peu humaine, un homme humain un peu oiseau. S’ils démarrent chacun de leur côté, ils finissent par se trouver, danser ensemble et terminer leur duo dans une grande étreinte. La danse est précise et originale, jouant des battement des mains pour illustrer des ailes, de gestes glissant pour le frou-frou des ailes. Et Ana Paula Camargo et Nielson Souza de raconter une histoire enjôleuse et mystérieuse. 

La deuxième partie du spectacle est un peu plus déséquilibrée. Place d’abord à un jeune chorégraphe brésilien installé à Berlin depuis 2008, Clébio Oliveira. Son duo Céu Cinzento a été créé pour la São Paulo Dance Company en 2015. Inspiré par le mythe de Roméo et Juliette, il travaille sur un seul duo, imaginant que les deux amants, au lieu de mourir, deviennent aveugles. Quelques choix artistiques laissent dubitative – non, une coiffure à la Bellatrix Lestrange juste comme ça, ça ne sert à rien juste, si ce n’est à faire rire mon voisin. Mais le chorégraphe connaît visiblement bien ses interprètes, qui ont une grande liberté sur scène. Le duo d’une quinzaine de minutes est fait avec art – on se regarde, on se cherche, on se trouve, on se sépare – mais la problématique a du mal à ressortir. Il y a de l’amour et du désespoir dans ce duo, pas tellement de recherches éperdues ou de labyrinthe. L’idée de l’aveuglement était en soi une bonne piste, mais l’on a du mal à la retrouver sur scène.  

Céu Cinzento de Clébio Oliveira – São Paulo Dance Company

La soirée se termine avec une grande pièce d’ensemble de Marco Goecke, Peekaboo. Solos, duos, trios et passages de groupe s’enchaînent avec efficacité sur la musique de Britten, sur le jeu du « se cacher-se dévoiler ». La danse est syncopée et vive, permettant de réagir chacun.e à sa façon à ce jeu enfantin – tantôt apeuré, tantôt téméraire, tantôt amusé. La chorégraphie est cependant un peu bavarde, comme si Marco Goecke n’arrivait pas à aller à l’essentiel, se posant plus sur un effet de lumière (plutôt réussi) que sur sa danse. L’énergie vient donc ici moins du geste en lui-même que des interprètes. Charismatique, percutant.e, investi.es jusqu’au bout du mouvement, chacun.e a la présence de soliste comme le souci de la cohérence du groupe pour un final qui fait son effet. Décidément, une troupe séduisante. 

 

La São Paulo Dance Company à la Maison de la Danse de Lyon. Suite for 2 pianos de Uwe Scholz, avec Thamiris Prata, Luciana David, Ana Roberta Teixeira, Yoshi Suzuki, Diego de Paula, André Grippi, Bruno Veloso, Nielson Souza et Geivison Moreira ; L’Oiseau de feu de Marco Goecke, avec Ana Paula Camargo et Nielson Souza ; Céu Cinzento de Clébio Oliveira, avec Luiza Yuk et Vinicius Vieira ; Peekaboo de Marco Goecke, avec Ana Roberta Teixeira, Ana Paula Camargo, Thamiris Prata, Yoshi Suzuki, Bruno Veloso, Joca Antunes, Diego de Paula et Nielson Souza. Mardi 24 avril 2018. À voir jusqu’au 28 avril

 

Commentaires (1)

  • Patric Basel

    Please it’s Clébio Oliveira not Oliveiro!!

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