Ballet de l’Opéra de Paris : une nouvelle saison à hauts risques
Après une longue pause estivale, le Ballet de l’Opéra de Paris fait sa rentrée ce 27 septembre. C’est toujours un moment de fête pour les amateurs et amatrices de danse : retrouver la compagnie pour une nouvelles saison avec la promesse de soirées enthousiasmantes, de découvertes mais aussi de déceptions. Le théâtre vivant n’est pas une science absolue mais une difficile alchimie et le ballet n’échappe pas à cette équation. Ce lancement de saison a désormais trouvé son format avec un gala pour « happy few » initié par Benjamin Millepied, qui importait alors à Paris une culture typiquement américaine. Bien que cet événement fort peu républicain ne soit pas dans la tradition française, la direction de l’Opéra, soucieuse de faire rentrer des fonds pour pallier les baisses de la subvention d’État, a conservé ce gala dont le morceau de choix sera Decadance d’Ohad Naharin augmenté de quelques surprises. Une parenthèse glamour pour Aurélie Dupont qui entame sa troisième saison à la direction du Ballet dans une atmosphère viciée par les interrogations sur son management. Une enquête qui a fuité dans la presse la saison dernière révélait le mal-être des artistes du ballet. Maladroitement, la Direction de l’Opéra n’avait pas répondu à ces mises en causes, préférant nier la réalité du malaise. Mais la situation que la Directrice de la Danse va devoir gérer cette saison reste pour le moins compliquée. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de reprendre la main sur la compagnie. Reste à savoir si cette nouvelle saison permettra d’apaiser les danseuses et les danseurs et de restaurer une atmosphère de travail fertile.
À la lumière du répertoire à l’affiche cette saison, le défi est de taille. Ohad Naharin pour ouvrir la saison du 350ème anniversaire apparaît en effet un choix iconoclaste. Le chorégraphe israélien est un des grands maîtres de la danse contemporaine et Decadance une de ses pièces majeures. C’est un ballet sans solistes qui met en lumière les ensembles et qui, sans aucun doute, fera le bonheur des artistes qui vont l’interpréter. Mais cette entrée au répertoire ne fera pas événement pour la compagnie, davantage peut-être pour le chorégraphe qui sera avec Anne Teresa de Keersmaeker, l’autre star de cet automne. Le Théâtre National de la Danse de Chaillot a en effet programmé en octobre un festival Ohad Naharin avec quatre de ses pièces dansées par sa compagnie, la Batsheva, dans le cadre de l’année France/Israël. Les plus curieux d’entre nous pourront même aller en banlieue parisienne pour comparer les deux compagnies puisque Decadance est aussi au programme de cette tournée de la Batsheva, à la MAC (et à des prix bien différents). Mauvais timing tout comme la venue en mars au Palais Garnier de Rosas, la compagnie d’Anne Teresa de Keersmaeker, qui aura montré dix de ses pièces lors du Festival d’Automne qui lui consacre un portrait.
La danse classique ne reprendra donc ses droits qu’à partir de fin octobre avec un hommage à Jerome Robbins pour le centenaire de sa naissance. Cela allait de soi quand on sait l’attachement du chorégraphe américain au Ballet de l’Opéra de Paris. Une soirée qui promet d’être joyeuse et devrait faire briller des Étoiles, mais aussi quelques jeunes pousses de la compagnie. On aurait aimé bien sur que le marseillais Marius Petipa qui systématisa le ballet académique, ait droit aux mêmes honneurs pour le bicentenaire de sa naissance. Mais paradoxalement, aucun de ses ballets qui ont été revus par Rudolf Noureev pour l’Opéra de Paris n’aura été programmé en cette année 2018.
Cet oubli pose évidemment la question du sort et l’avenir du Ballet académique à Paris. L’Opéra n’a pas pris part à ce grand débat sur le devenir du ballet classique qui s’écrit entre les grandes compagnies mondiales depuis 20 ans. Du Mariinsky au Bolchoï, de la Scala à l’ABT, de Zurich à Amsterdam, du Royal Ballet de Londres à Berlin, ce débat a engendré depuis 15 ans un répertoire fertile. Le regretté Sergueï Vikhariev fut un des précurseurs en remontant à Saint-Pétersbourg La Bayadère et La Belle au Bois Dormant dans des versions restaurées. Alexeï Ratmansky prit ensuite la tête de ce mouvement en allant fouiller dans les notations Stepanov qui avait recensé les chorégraphies de Petipa. L’Opéra de Paris semblait dans la course en produisant en 2001 une Paquita en trois actes revue par Pierre Lacotte. Une incontestable réussite mais qui resta sans lendemain. Depuis, l’Opéra de Paris continue à vivre sur le fonds parfois fatigué des rédactions de Rudolf Noureev.
Cette saison ne verra stricto sensu qu’un seul ballet académique avec Le Lac des Cygnes en février, qui sans nul doute agitera le monde des balletomanes et affichera complet. Mais une compagnie classique ne devrait-elle pas programmer chaque année le plus emblématique des ballets du répertoire ? Ce sera un moment de vérité pour la direction de la danse. On pourra juger de l’état du Corps de Ballet qui est l’épine dorsale de la troupe. C’est l’unique occasion où il sera sollicité cette saison et c’est bien trop peu pour maintenir l’excellence attendue. Certaines danseuses passent ainsi une saison entière sans jamais chausser les pointes sur scène… sauf lors du Concours de promotion. Elles peuvent bien sur espérer être programmées sur Cendrillon de Rudolf Noureev ou La Dame aux Camélias de John Neumeier. Mais ces deux ballets néo-classiques sont davantage des pièces pour solistes. Ni l’une ni l’autre n’étaient d’ailleurs attendues cette saison. La version de Rudolf Noureev du conte de Perrault affichait déjà une esthétique vieillie lors de sa création en 1986. Quant à La Dame aux Camélias, un des rôles préférés des danseuses, son retour au répertoire n’était pas indispensable après les longues séries de ces dernières années (6 reprises entre 2006 et 2013) d’autant que ce ballet de John Neumeier est donné par à peu près toutes les compagnies de la terre. On aurait préféré revoir par exemple Sylvia qui fut l’un des grands rôles d’Aurélie Dupont. En reprenant les rênes de la compagnie, elle s’était engagée à programmer davantage de ballets classiques. Mais paradoxalement, ils sont désormais à la portion congrue avec cette désagréable mission de jouer les tiroirs-caisses en étant quasi systématiquement montré dans l’immense paquebot de Bastille qui se prête on ne peut moins au ballet académique.
Faute de pointes et de tutus, c’est du côté de la danse contemporaine qu’il faudra trouver son bonheur. Et Aurélie Dupont a réalisé un coup de maître en persuadant Mats Ek de sortir de sa retraite avec pas moins de deux créations, Another Place sur la musique de Franz Liszt et un très attendu Boléro. Ce sera l’événement mondial de cette saison à l’Opéra de Paris. Un autre suédois, le moins connu mais talentueux Pontus Lidberg qui vient de prendre la direction du Danish Dance Theater, revisitera Les Noces de Stravinsky, partageant l’affiche avec l’allemand Marco Goecke, l’un des chorégraphes du Nederlands Dans Theater. Cette soirée qui verra la reprise de Faun de Sidi Larbi Cherkaoui est aussi un moment attendu de cette saison. Comment en revanche ne pas regretter que Sol Léon et Paul Lightfoot du NDT ne créent pas pour la compagnie ? La saison passée déjà, Hofesh Shechter avait en quelque sorte recyclé The Art of not Looking Back, présenté cette même saison au Staasballet de Berlin. Même constat pour Anne Teresa de Keersmaeker qui a désormais cinq pièces au répertoire de l’Opéra de Paris mais aucune création. Or c’est la raison d’être de cette compagnie : susciter une rencontre entre un chorégraphe et des artistes. Risquer de danser moins bien une pièce déjà vue sur d’autres scènes et avec d’autres troupes ne saurait établir une vision artistique. L’Opéra de Paris a une tradition de conservation du répertoire et de création.
Et puis il y a les grands absents de cette programmation : Roland Petit, Maurice Béjart ou Serge Lifar pour ne citer qu’eux. Ces chorégraphes qui ont fait une partie de l’histoire de la compagnie ont déserté l’affiche à l’exception du Boléro de Maurice Béjart qui est une pièce pour soliste. Il semble que la défense de ce patrimoine ne fasse plus partie des missions prioritaires. Et comment ne pas s’étonner du programme de la tournée à Madrid en janvier ? George Balanchine, Jerome Robbins et Hans Van Manen ! Imaginerait-on le Mariinsky venir à Paris avec Le Parc de Preljocaj (qu’il danse par ailleurs merveilleusement bien) ? La préservation de ce répertoire se fait aujourd’hui plus en province, avec notamment l’excellent travail du Ballet du Capitole.
Enfin, les balletomanes observeront avec un mélange de gourmandise et crainte les possibles nominations d’Étoiles. Il devrait y en avoir tôt ou tard du côté masculin. Hervé Moreau et Josua Hoffalt sont partis et Karl Paquette, l’homme qui sauva de nombreuses productions classiques, fera ses adieux à l’aube de la nouvelle année. Un nom bien sûr revient comme un thème récurrent. François Alu a prouvé sur scène depuis plusieurs saisons ses qualités d’artistes et son engagement technique. Il a investi la saison dernière les plateaux de Garnier et Bastille avec brio et un charisme que beaucoup de danseurs lui envient. D’autres jeunes talents sont en embuscade tels que Paul Marque et à plus long terme Francesco Mura qui vient de briller au Concours de Varna. Le panorama est plus compliqué parmi les danseuses où l’on ressent une exaspération. Le refus de la direction de nommer l’an dernier au Concours annuel une Première danseuse n’a pas contribué à remonter le moral des troupes. Éléonore Guérineau, lasse d’attendre, a choisi de prendre la clef des champs – ou plutôt des montagnes ! – pour rejoindre le Ballet de Zurich qui devrait lui permettre d’interpréter des rôles à la mesure de son immense talent. Hannah O’Neill et Sae Eun Park ont ce qu’il faut pour prétendre au titre suprême. Mais avec un corps de dix Étoiles féminines, les opportunités sont réduites.
Il faudra donc beaucoup de savoir-faire et de doigté à Aurélie Dupont pour regagner un leadership qui lui a échappé. Et savoir faire preuve d’imagination dans le choix de ses distributions en ne se limitant à une poignée d’Étoiles. Réfléchir aussi sur la méthode pour résoudre cette quadrature du cercle qui est de satisfaire à la fois le grand public, les balletomanes et les artistes. Remettre aussi dans le jeu international le Ballet de l’Opéra de Paris qui n’a pas ces dernières saisons véritablement fait parler au-delà des frontières si ce n’est pour évoquer la crise interne. L’avenir de la compagnie ne saurait résider dans une exploitation ad libitum des ballets de Rudolf Noureev et d’un « dropping names » perpétuel de chorégraphes contemporains. Sa désignation précipitée pour succéder à Benjamin Millepied et son manque d’expérience ne lui ont pas permis de bâtir cette vision artistique cohérente que l’on est en droit d’attendre de la direction de la danse de l’Opéra de Paris. Il n’est pas trop tard mais il y a urgence.
Fernandez Nicole
Triste compagnie . Quelle décadence ! Un seul ballet du répertoire classique . Mais où va-t-on ???
MUC
N´éxagérons pas, j´aimerais bien dans la grande metropole où j´habite avoir une aussi mauvaise compagnie, que de belles soirées en perspective !
Audrey
Merci pour cet article.
En sait-on plus sur les conditions du départ de J. Hoffalt et sur ses projets? C’est un danseur de qualité que je regretterai personnellement sur la scène de l’Opéra.
Jean Frédéric Saumont
Josua Hoffalt a été réformé. C’est à dire déclaré inapte à danser en raison de ses blessures après examen médical. Je crois que c’etait aussi son choix. Il est déjà regretté
Fabienne
Merci pour cet article qui expose parfaitement les raisons de la déception de nombreux spectateurs . Je m’ étais offert pendant deux ans un abonnement à l’ AROP pour être certaine d’ avoir de bonnes places pour les spectacles de mon choix ; mais quel choix ?
Des ballets aussitôt oubliés de chorégraphes à la mode ( de la direction ) , très peu des grands classiques que tout le monde adore ( mais ça ne doit pas être assez chic ) , des soirées à mourir d’ ennui ( il m’est arrivée de sortir en cours de spectacle ) .
Le snobisme est mauvais conseiller et une grande danseuse n’est pas forcément une directrice de compagnie .
BA
Je crois qu´a Paris et en France en géneral vous ne vous rendez pas compte de
l´excellence que vous avez. Les danseurs de l’ OdP qui vont a l´étranger sont l´équivalent d´étoiles ou premiers solistes dans leurs nouvelle compagnie, s’ ils étaient mèdiocres on ne les prendrait pas.
Quant au programme, personnellement il me plait, j’ aime bien les tutus mais j´aime bien aussi les couleurs d´autres costumes. C´est la 3eme saison de A. Dupont, je me souviens d´avoir lu que M. Legris a Vienne après 5 saisons disait être libéré de la contraintes des contrats signés avant son arrivée et pouvoir enfin faire une saison plus a son gout….
Bon ceci n´est que mon opinion.
Lou_des_Bois
Justement j’aimerais voir Sylvia de Neumeier et je me demandais s’il n’y avait pas une contrainte qui empechait l’Opera de Paris de programmer ce ballet
Georges RAPALLO
Je vais à contre courant des commentaires publiés Le ballet classique c’est mort, désuet , il faut définitivement ranger au musée les pointes et tutus; place à une formation de base classique puis contemporaine et il faudrait à l’avenir des créations originales, audacieuses et moderne de danse contemporaine pour rendre la danse plus populaire et s’ouvrir vers les spectateurs et aussi les téléspectateurs . En résumé, le ballet de l’Opéra de PARIS doit se reformer, se moderniser et vivre au 21° siècles.
Agnès
A ce compte-là enterrons aussi la musique baroque et classique, interdisons aux jeunes musiciens de se produire sur scène en jouant du Purcell, du Handel, du Mozart, vouons aux gémonies tous ces jeunôts impudents qui consacrent leur vie à la viole de gambe (instrument désuet et poussiéreux qui aurait sa place au musée) , ne chantons et n’enregistrons plus les opéras de Monteverdi, de Verdi, de Rossi, de Rossini….
Allez dire à tous les jeunes gens (ignares en danse, et pas sortis de la cuisse de Jupiter) qu’on a emmenés à l’opéra voir des ballets classiques , et qui en sortirent éblouis et conquis, que ce n’est pas un art vivant et populaire….
Anne
Éléonore Guérineau, comme Mathilde Froustey, a choisi de ficher le camp pour rejoindre une compagnie où elle pourra briller sans être rabaissée et opprimée sous prétexte de mesure conforme aux canons français !
L’Opera ressemble de plus en plus à ce qu’il voulait nier être : une administration lourdingue de fonctionnaires si imbus d’eux mêmes qu’ils sont incapables de se remettre en question, même alors que tout leur démontre une magistrale erreur : perte de mécènes, tournées annulées, spectateurs frustrés par une programmation sans queue ni tête, danseurs à bout, promotions et absences de promotions absurdes…