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Biennale Internationale des Arts du Cirque 2019 – Compagnie Hors Surface et NoFit State Circus

En seulement trois éditions, la Biennale Internationale des Arts du Cirque de Marseille s’est déjà fait une belle place dans l’univers du cirque. Les chiffres de l’édition 2019 – qui a démarré le 11 janvier et se termine le 10 février – sont éloquents : 65 spectacles dont 30 créations, 272 représentations sur quatre semaines, 350 professionnel.le.s et plus de 110.000 spectateurs et spectatrices venues apprécier le cirque contemporain dans toute sa diversité. Une diversité bien illustrée avec cette journée du vendredi 25 janvier, en plein coeur des festivités. D’un côté une toute jeune compagnie française, Hors Surface, venue avec sa création Open Cage portée par une écriture précise et moderne. De l’autre, NoFit State Circus du Royaume-Uni, misant plus sur l’efficacité au détriment de la surprise… ce à quoi il serait dommage de réduire le cirque traditionnel. 

Open Cage – Compagnie Hors Surface

La Biennale Internationale des Arts du Cirque se déploie dans 40 lieux de Marseille et la région. Beaucoup d’entre eux se déroulent au village, soit un espace de plusieurs chapiteaux (et évidemment le bar au milieu) sur la grande plage du Prado de Marseille. En ce jour de janvier, le vent pique mais le ciel est bleu et le soleil brille. À quelques heures de la première de sa quatrième création, intitulée Open Cage, Damien Droin reste zen. Montée en 2011 à sa sortie du CNAC (le Centre National des arts du cirque), sa compagnie Hors Surface basée à Toulon se déploie. Si pendant longtemps ce spécialiste du trampoline a continué à travailler sur d’autres spectacles en parallèle en tant qu’interprète (notamment avec Yoann Bourgeois), il se consacre désormais entièrement à sa troupe. Autant dire qu’une première devant de nombreux professionnels porte un certain enjeu. Mais le circassien se plaît à raconter sa pièce qu’il façonne depuis déjà plusieurs années. Il évoque l’importance de la scénographie, son plaisir à mélanger le trampoline, la danse et la magie pour créer des spectacles bien à lui. 

L’ambiance en effet se pose d’emblée à l’entrée du chapiteau qui abrite Open Cage. Un drap blanc est suspendu juste au-dessus de ce qu’on ne devine pas forcément être un trampoline, les lumières se font tamisées ; sur le côté le musicien Benjamin Vicq lance ses premiers sons électro. Voilà l’histoire d’un être et son double. Veut-il essayer de s’en débarrasser, de l’apprivoiser, de le canaliser ? Avons-nous affaire à un fou ou à notre inconscience ? Le décor fait d’un lit en suspension laisse imaginer la première solution. Mais la pièce tangue, le lit se retrouve sur une pente glissante, amenant avec lui le vertige de certains cauchemars. Sur scène, Damien Droin fait face à son double Sarah Devaux, spécialiste de la corde lisse. Leur étrange pas de deux se nourrit de leurs deux agrès, jouant sur la verticalité et l’horizontalité pour mieux accentuer cette sensation de perdre pied. On ne sait d’ailleurs pas bien lequel est l’ombre de l’autre, lequel est un fantasme. 

Open Cage – Compagnie Hors Surface

Trampoline et corde lisse vivent leur vie chacun de leur côté, avant une scène les mêlant. Si chorégraphiquement le pas de deux fonctionne entre les deux artistes, le mélange des genres des agrès se fait de façon un peu plus heurtée. Le rythme parfois se cherche un peu, mais l’on pressent qu’il s’agit plus d’une question de rodage, d’un questionnement qui n’est pas encore arrivé au bout. Le mélange avec la magie est en tout cas bien plus abouti. Et l’illusion transformant les cordes lisses en objets vivants et facétieux affine l’ambivalence rêve/réalité qui tient ce spectacle. Malgré le thème, rien d’angoissant cependant dans Open Cage. Mais le sentiment étrange – et parfois délicieux – d’être entre la réalité et un autre monde. L’écriture contemporaine et originale du spectacle emporte les quelques problèmes de rythmes qui se posent encore, voilà une compagnie à suivre. 

Un chapiteau plus loin, changement radical d’ambiance avec Lexicon de NoFit State Circus. Ambiance rock et survoltée d’un lycée débridé où l’on jette au feu les bureaux de bois, mais une structure du cirque traditionnel où les numéros s’enchaînent. Le tout est mené par une quinzaine d’artistes déchaînés dont le maître-mot semble être : pas de temps mort. Alors ça défile à toute allure sur la piste, ça passe du monocycle au trapèze en passant par la corde souple ou la roue Cyr, ça envoie des rythmes de guitares et ça sature les lumières. À tel point que l’on a presque envie de baisser le son et la vitesse pour reprendre son souffle. Trop d’efficacité tue l’efficacité et NoFit State Circus en oublie au passage le travail d’écriture tout comme la recherche de la poésie. Certes, on ne s’ennuie pas, mais l’ensemble manque cruellement de ce petit truc qui rend un spectacle si personnel. Et l’on perçoit alors un peu plus les petits défauts de chacun.e. Si les membres de la troupe n’ont pas à rougir de leur niveau, les habitué.e.s de l’excellence des écoles de cirque françaises ou québécoises auront parfois de quoi tiquer. Un duo d’acrobatie s’inspire ainsi clairement d’une ancienne pièce des 7 Doigts de la main… mais sans la virtuosité magique de la compagnie canadienne. 

Lexicon – NoFit State Circu

Il serait cependant dommage d’en conclure que le cirque traditionnel dans sa forme (enchaînement de numéros) n’est pas capable de contemporanéité dans son écriture. Preuve en est avec le spectacle vu la veille : Saison de cirque du Cirque Aïtal. Clown au nez rouge, chevaux en piste et orchestre surplombant l’entrée, il flotte sous le chapiteau un parfum d’antan. Le duo  Victor Cathala et Kati Pikkarainen a souhaité revenir à une certaine tradition avec leur dernier spectacle, épaulé par une troupe russe. Mais à aucun moment il n’y a le sentiment d’être revenu en arrière. Vu à sa création aux Nuits de Fourvière cet été, l’ensemble a de plus gagné en rythme et en fluidité, restant en constante évolution. La poésie qui se dégage de chaque artiste, les surprises qui arrivent quand on s’y attend le moins, les moments de drôleries qui basculent sans prévenir dans l’émotion font de Saison de cirque un spectacle profondément vivant et bien d’aujourd’hui.

Saison de cirque – Cirque Aïtal

 

La Biennale Internationale des Arts du Cirque 2019 de Marseille. 

Open Cage de Damien Droin par la compagnie Hors Surface, avec Damien Droin et Sarah Devaux, et Benjamin Vicq (musique). Collaboration artistique Dimitri Lemaire, regard chorégraphique Thomas Guerry et magie Benoît Dattez. Vendredi 26 janvier 2019.

Lexicon de Firenza Guidi par le NoFit State Circus, avec Lyndall Merry (rigging, trapèze ballant), Junior Barbosa (rigging, clown, acrobatie), Joachim Aussibal (rigging, roue Cyr, acrobatie), Luke Hallgarten (jonglage, roue Cyr), Luca Morrocchi (main à main, vélo, acrobatie), Mathieu Hedan (équilibres, acrobatie), Sam Goodburn (monocycle), Vilhelmiina Sinervo (fil souple, cerceau aérien), Rosa-Maria Autio (antipodisme), Rosa-Marie Schmid (double cordes, main à main), Nicolo Marzoli (porteur, main à main), Conor Pelan (guitare, chant), Lisa Savini (piano, accordéon, ukulélé, percussions, harmonium, chant), Molly Samson (guitare, basse, clarinette, chant), Pauline Frémeau (clarinette, accordéon, piano, chant), Blaze Tarsha (chant et cerceau aérien) et Simon Wall (Batterie). Vendredi 26 janvier 2019.

Saison de cirque de Victor Cathala & Kati Pikkarainen par le Cirque Aïtal, avec Victor Cathala, Kati Pikkarainen, Lena Kanakova, Michail Kanakov, Vasia Kanakov, Sergey Mazurin, Matias Salmenaho et Ludovic Baladin. Jeudi 25 janvier 2019. 

La Biennale Internationale des Arts du Cirque de Marseille continue jusqu’au 10 février
 

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