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Partages de danses autour de Marin/Soto/Belarbi – Ballet du Capitole

Le Ballet du Capitole avait déserté ses salles habituelles pour investir le vaste Théâtre de la Cité et y présenter un programme de danse contemporaine. Le tout sous le parrainage officieux de Maguy Marin, dont deux pièces étaient incluses aux côtés du chorégraphe espagnol Cayetano Soto et du directeur de la compagnie Kader Belarbi. Une soirée très cohérente, bien construite et parfaitement exécutée, confirmant l’état de grâce que vit ces dernières saisons la compagnie toulousaine.

Eden de Maguy Marin (avec Julie Charlet et Davit Galstyan)

Partages de danses, c’est le nom choisi pour intituler ce programme. On serait tenté de lui substituer “Confrontation de chorégraphes”. Si leurs formations,  leurs carrières et leurs esthétiques sont très différentes, on perçoit nettement un fil rouge dans le propos chorégraphiqueEden de Maguy Marin, Liens de Table de Kader Belarbi et Fugaz de Cateyano Soto ont ainsi en commun une atmosphère sombre inscrite dans des pièces sinon totalement narratives, en tout cas très expressionnistes ou romanesques. Le duo de Maguy Marin qui ouvre la soirée a été créé en 1986. Ce pas de deux peut être vu comme une prolongation de May B. : on y retrouve une atmosphère commune, des visages blanchis presque désincarnés, un couple moulé dans des justaucorps couleur chair qui donnent l’illusion de la nudité, des perruques échevelées. Du Jardin d’Eden, Maguy Marin refuse une vision idyllique. Il n’y a aucune profusion, juste un plateau nu, un couple qui incarne Adam et Eve. La chorégraphe en propose une vision où se mêlent érotisme et confrontation. Sans musique, la bande-son fait entendre la pluie et l’orage dans ce jardin-là. Méconnaissables sous leur maquillage, Thiphaine Prévost et Nicolas Rombaut livrent une danse tout à tour violente et sensuelle. Eden(Duo) donne à voir aussi la technique classique de Maguy Marin dans cette chorégraphie composée d’une succession  d’enroulements des corps constamment acrobatiques. Plus de 30 ans après sa création, le duo  d’Eden confirme son statut de pièce majeure du répertoire contemporain.

Kader Belarbi avait récréé en 2010 pour le Ballet du Capitole Liens de Table qu’il avait conçu originellement pour le Ballet du Rhin. Sur le quatuor à cordes N°8 de Dmitri Chostakovitch, le chorégraphe a imaginé un ballet semi-narratif où il revisite le traditionnel déjeuner familial, avec ce qu’il contient d’affects et d’affrontements. Quatre personnages : le père, la mère, la fille et le fils qui est l’élément moteur  du ballet. Sa relation au père constitue la trame dramatique centrale de la narration. Une scénographie simple avec la table et cette longue corde rouge qui la lie au cintre. La danse y est riche et généreuse. Chaque interprète a de quoi s’y exprimer dans un style aiguisé où Agnès de Mille aurait rencontré Mats Ek. Non pas dans une chorégraphie “à la manière de” mais avec  une maitrise assumée de ces influences prestigieuses. Les interprètes y sont flamboyants et parmi eux, Davit Galstyan fait merveille. On le connaissait technicien et styliste. On découvre dans Liens de Tables de très belles qualités dramatiques. À ses côtés, Alexandra Surodeeva (la Mère), Timofiy Bykovets (le Père), et Kayo Nakazato (la Fille) servent au mieux cette pièce expressionniste de Kader Belarbi.

Liens de Table de Kader Belarbi (avec Philippe Solano et Tiphaine Prévost)

Cateyano Soto qui lui succède sur le plateau est en phase avec cette atmosphère sombre. Le chorégraphe espagnol a créé Fugaz en 2007 pour le Ballet de Munich après la mort de son père victime d’un cancer. Difficile dans un tel contexte de produire une pièce joyeuse. Construite pour six interprètes – quatre danseuses et deux danseurs – Fugaz se joue dans un clair-obscur délicat. Ces ténèbres ne portent pas pour autant une pièce morbide. L’oeuvre se décompose en solos et duos, les danseuses en body chairs, les danseurs en noir. Deux couples se livrent à un pas de deux où le geste est ample et élégant sur le tempo lent de la musique de Georges Ivanovitch Gurdjieff. Philippe Solano inaugurait là avec assurance son nouveau titre de Soliste de la compagnie accompagné de Natalia de Froberville. L’autre couple réunissait Julie Charlet et Rouslan Savdenov et tous les quatre se sont glissés à merveille dans le style de Cateyano Soto dont l’écriture allie élégamment langage classique et geste contemporain.

Pour égayer cette soirée, Kader Belarbi laisse le dernier mot à Maguy Marin pour la reprise de Groosland créé à l’origine pour le Het Nationale Ballet mais qui est devenu aujourd’hui une pièce culte. La chorégraphe française a toujours réfuté les canons imposés aux corps des danseuses et des danseurs. C’est de cela que Groosland est l’écho. Les corps et les visages des interprètes sont gonflés pour paraître très corpulents et sur la musique des Concertos brandebourgeois n°2 et 3  de Jean Sébastien Bach, dix danseuses et dix danseurs se lancent dans un challenge insensé. Ça tourne, ça saute, ça fait des arabesques. C’est drôle et tendre à la fois. On ne se lasse jamais de le revoir et paradoxalement, on en ressort allégé.    

Groosland de Maguy Marin – Ballet du Capitole

 

Partage de danses par le Ballet du Capitole au Théâtre de la Cité, Toulouse. Eden(Duo) de Maguy Marin, avec Tiphaine Prévost et Nicolas Rombaut ; Liens de Table de Kader Belarbi, avec Alexandra Surodeeva, Timofiy Bykovets, Kayo Nakazato et Davit Galstyan ; Fugaz de Cateyano Soto, avec Natalia de Froberville, Philippe Solano, Julie Charlet, Rouslan Savdenov, Kayo Nakazato et Alexandra Surodeeva ; Groosland de Maguy Marin par la compagnie du Ballet du Capitole. Vendredi 15 mars 2019. À voir en tournée en France et en Espagne

 

Commentaires (2)

  • ibant_obscuri

    Je me permets juste une précision : dans “Eden”, les visages des danseurs ne sont pas maquillés mais masqués sous un masque-cagoule en tissu peint incluant aussi la “perruque”. Leurs yeux eux-mêmes sont recouverts d’une gaze grossière figurant des paupières fermées pour la danseuse et des yeux grand ouverts pour le danseur.

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    • Jean Frédéric Saumont

      C’est juste. Merci de le préciser.

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