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Le temps d’aimer – Le Malandain Ballet Biarritz et la danse de retour

Le Temps d’aimer a bien lieu ! Après des mois de disette et de théâtres fermés, le festival de danse de Biarritz marquait la grande rentrée chorégraphique en France. Une édition particulière par son chiffre – il s’agit de la trentième édition, un bel anniversaire – particulière aussi par son contexte sanitaire, qui change forcément les choses. Mais malgré les changements parfois de dernière minute, les consignes sanitaires et un sentiment que tout est un peu sur un fil, Le Temps d’aimer est resté tel que nous l’aimons : un festival à la grande exigence artistique et véritablement populaire. Avec ce plaisir immense de retrouver le spectacle vivant, avec en ouverture le Malandain Ballet Biarritz, qui faisait lui aussi son retour en scène, intense de musicalité entre Mozart et Beethoven.

Mozart à 2 de Thierry Malandain – Mickaël Conte et Claire Lonchampt

C’est peut-être ce qui frappe en premier quand on découvre Le Temps d’aimer, festival qui se tient depuis 30 ans à Biarritz : sa très grande popularité. Pendant dix jours, la danse et le public y sont partout : dans les salles pleines, dans les parcs pour les répétitions publiques, sur les places pour des performances, devant la mer pour la gigabarre. Un lien fort, tissé patiemment avec les spectateurs et spectatrices depuis l’arrivée de Thierry Malandain en 1998 et la création du CCN. Et qui perdure pour cette trentième édition, malgré les aléas : une billetterie en demi-jauge puis finalement en jauge pleine mais en fait non, une gigabarre à réserver, les spectacles en plein air tous regroupés sur le terrain de pelote basque au soleil, le masque partout bien sûr, une sortie de théâtre à faire sans coller son-sa voisin-e… Plein de petites choses qui nous rappelle s’il le fallait encore que cette rentrée n’est vraiment pas comme les autres.

Et pourtant, rien n’entache l’ambiance joyeuse et festive qui caractérise le Temps d’aimer. Doublé cette année par le plaisir immense de retrouver le théâtre, des deux côtés de la scène. Quelle émotion ainsi, émotion sincère et plus forte que je ne l’aurais imaginé, quand le rideau se lève sur le Malandain Ballet Biarritz. Dès la première seconde, – Arnaud Mahouy seul en scène, confiant après coup qu’il a eu l’impression de retrouver le trac de ses 20 ans – l’intensité sur le plateau est particulière, tout comme l’attention dans la salle. La troupe a choisi de donner Mozart à 2, pièce qui a marqué la toute première saison de la compagnie en 1998, enrichi depuis. Sur des extraits des concertos pour piano de Mozart, six duos se succèdent sur le plateau, comme autant de variations sur le couple. L’on se touche, se colle, se sent, se donne quelques coups, se serre l’un contre l’autre. Après six mois à avoir pris si peu de monde dans les bras, on ne peut nier qu’il y a comme un petit choc.

Mozart à 2 de Thierry Malandain – Arnaud Mahouy et Clémence Chevillotte

Mais passé ces premières minutes six étranges – et ressentir à quel point cela m’avait manqué, voir de la danse en vrai – le spectacle comme si de rien n’était reprend le dessus. Les six couples sont comme autant d’étapes de la vie, des jeunes fougueux adolescent-e-s à la grande sensualité de l’adulte, pour finir par la complicité du duo de longue date qui se soutient pas à pas. Il n’est pas vraiment question de rupture, plutôt de je t’aime moi non plus, de toutes les variations qui existent dans chaque histoire. Le Malandain Ballet Biarritz, affûté – difficile de croire qu’ils ne sont pas montés en scène depuis six mois et n’ont repris les cours que le 10 août – se glisse toujours avec bonheur dans cette pièce régulièrement reprise où le langage néo-classique de Thierry Malandain se nuance de gestes du quotidien. Avec toujours chez chacun-e des interprètes en scène ce souci profond de la musicalité et de la justesse du geste, comme de l’écoute de l’autre.

Si Mozart à 2 est l’une des premières pièces de la compagnie, Beethoven 6 qui suit – un extrait de La Pastorale créée il y a quelques mois – en est la dernière en date. Plus de 20 ans plus tard, le langage de Thierry Malandain y est plus nuancé, plus riche, débarrassé de certains tics aussi, mais toujours en maintenant ce lien profond avec la musique. Malgré le début tronqué et la fin remaniée pour des questions de programmation, l’oeuvre ne perd rien de sa force. Les 21 artistes en scène déploient une pièce sur le fil : profondément lumineuse tout autant que mélancolique, saisissante par sa puissance collective même si les ténèbres ne sont jamais bien loin. À l’image de notre monde ? Si l’on parlait d’un festival joyeux en début de papier, Biarritz ne vit pas dans une bulle et tout le monde a entendu, au fil du Temps d’aimer, les annonces d’annulation ou de restriction de spectacle à Nice ou Bordeaux. Le plaisir de retrouver l’art vivant se mâtine ainsi d’un arrière-goût d’inquiétude, à se demander si le festival marquant le début de saison n’en signalerait pas aussi la fin. Mais c’est aussi dans ces situations que le spectacle vivant se montre plus que jamais indispensable. Beethoven 6, malgré son ambivalence, a un pouvoir apaisant et rassérénant formidable, et ce spectacle fut un moment de respiration et de beauté bienvenue.

Beethoven 6 (extrait de La Pastorale) de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

Le Malandain Ballet Biarritz, avant de retrouver la scène quelques jours plus tard, a proposé un court aperçu du spectacle au Parc Mazon, sur le terrain de pelote basque, unique lieu cette année des représentations publiques. Un peu plus tôt, on y a vu un extrait d’Uppercut d’Anthony Egéa : trois filles sur pointes, dans un ring, où le chausson est comme une arme affûtée. La danse s’y répète et le chorégraphe ne semble pas assez maîtriser la pointe pour vraiment y trouver de la richesse. Mais bravo aux trois étonnantes interprètes, mêlant technique hip hop dans le haut du corps et classique – 32 fouettés bien envoyés sur un sol pas vraiment fait pour ces chaussons -, toisant le public sous un soleil de plomb. Chaleur qu’auront aussi testée une trentaine de chanceux-ses pour la Gigabarre, toujours menée avec humour, bienveillance et énergie par Richard Coudray, maître de ballet de la compagnie biarrotte. La vue sur l’océan et le public en masse ne peuvent pas se remplacer. Mais le final chorégraphié façon Défilé de l’Opéra grâce à la place du terrain de sport, on ne va pas se mentir, ce ne fut pas désagréable.

Répétition de Mozart à 2 de Thierry Malandain – Jeshua Costa

 

CCN – Malandain Ballet Biarritz à la Gare du Midi. Mozart à 2 de Thierry Malandain avec Clémence Chevillotte et Arnaud Mahouy, Nuria López Cortés et Raphaël Canet, Irma Hoffren et Mickaël Conte, Giuditta Banchetti et Michaël Garcia, Patricia Vélázquez et Jeshua Costa, Claire Lonchampt et Mickaël Conte ; Beethoven 6 de Thierry Malandain avec Hugo Layer (Lui), Irma Hoffren, Mickaël Conte, Claire Lonchampt et Raphaël Canet (Eux), Michaël Garcia et Arnaud Mahouy (Les Numineux), Miren Aguirre, Giuditta Banchetti, Clémence Chevillotte, Jeshua Costa, Clara Forgues, Loan Frantz, Michaël Garcia, Guillaume Lillo, Nuria López Cortés, Alessia Peschiulli, Ismael Turel Yagüe, Yui Uwaha, Patricia Vélázquez et Allegra Vianello. Samedi 12 septembre 2020.

Le Festival Le Temps d’aimer continue à Biarritz jusqu’au 20 septembre.

 



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