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Suresnes Cités Danse – Leïla Ka / Amalia Salle

Comme elle l’avait annoncé, la volonté de Carolyn Occelli, la directrice de Suresnes Cités Danse, est de mettre à l’honneur les femmes chorégraphes. Joignant le geste à la parole, c’est à un week-end exclusivement féminin qu’elle a convié le public au milieu de la 31e édition du festival. L’occasion de (re)voir les trois premières pièces de Leïla Ka, Pode Ser (interprété par Anna Tierney), C’est toi qu’on adore et Se faire la belle. Et de se rendre compte une nouvelle fois de l’affirmation d’une écriture chorégraphique. Dans la foulée, on a pu découvrir Affranchies, la première pièce longue de Amalia Salle, jeune chorégraphe déjà repérée comme lauréate des Sobanova Dance Awards 2021 avec sa pièce Les Vivaldines. Une première création enthousiasmante mêlant danse hip-hop et danse contemporaine portée par cinq interprètes habitées. Un week-end traversé par la notion d’empowerment au féminin revigorant.

C’est toi qu’on adore de Leïka Ka

Commencer par la fin. Remonter le cours des créations avec une chronologie inversée. Les chorégraphes ont tous les droits. En cet après-midi à Suresnes Cités Danse où l’on voyage entre les trois pièces de Leïla Ka écrites sur trois années, on mesure le chemin parcouru, les connexions, l’incroyable cohérence de ce triptyque qui n’en était peut-être pas un au départ. Sans oublier cette façon de jouer avec les musiques, de les faire s’entrechoquer et dialoguer avec intelligence.

Se faire la belle est proposé en premier. Ce titre sied si bien à ce solo où il est question d’émancipation, où une femme animée par un désir de liberté tente de déployer ses ailes pour s’échapper de l’endroit, de la condition, du statut dans lequel on la retient enfermée. Ses gestes traduisent à la fois un engluement, ses pieds ne décollant quasiment pas du sol, et un envol, le haut de son corps étant animé de torsions débridées. Difficile de détacher nos yeux de cette figure quasi fantomatique.

Pode ser de Leïka Ka

C’est toi qu’on adore vient se glisser au milieu du gué de cette exploration. La quête d’émancipation est aussi présente, comme un fil conducteur tenace, mais ici, elle se joue à travers un duo gémellaire. Sur la Sarabande de Haendel qui revient régulièrement tout au long de la pièce, les deux femmes se lancent dans une lutte contre un ennemi invisible. L’écriture en miroir, mélange entre influences hip-hop et danse contemporaine, est limite obsessionnelle. Chacune l’habite avec sa force et sa fragilité. Comme dans le premier solo, il semble que le maître-mot soit d’aller au bout de soi-même, de se consumer dans ce combat âpre et sans concession.

La boucle est bouclée avec Pode ser où une jeune femme en jupe de tulle un peu trop sage pète les plombs et fait valser les étiquettes trop vite plaquées. “Je ne suis pas celle que vous croyez“, semble vouloir nous dire la danseuse, mi-candide, mi-délurée, écartelée entre l’Opus 100 de Schubert et une déferlante électro. Il y a tiraillement entre les aspirations, friction entre les tentations contradictoires, téléscopage entre les identités. C’est ce qui donne du relief à cette pièce dans lequel tout est déjà posé. Comme Leïka Ka qui l’a créée, Anna Tierney insuffle une ambiguïté, une grâce aussi, qui provoquent le même envoûtement. Le passage façon derviche de fin de solo est absolument fascinant.

Affranchies de Amalia Salle

La découverte de la pièce Les Vivaldines avait donné envie à Carolyn Occelli d’accueillir en résidence Amalia Salle pour créer Affranchies, sa première pièce longue. Un choix qui colle bien à l’ADN du festival, qui a toujours su mettre en orbite des jeunes talents émergents. Lauréate des Sobanova Dance Awards #5, la jeune chorégraphe avait emballé le jury présidé par Mourad Merzouki. Sa façon de juxtaposer les Quatre Saisons de Vivaldi et les danses urbaines ne pouvait que convaincre le chorégraphe.

Dans Affranchies, elles sont cinq à se présenter à nous dans des costumes qui brouillent d’emblée les pistes du genre. Qu’est-ce qui est de l’ordre du masculin ou du féminin dans nos attitudes, nos comportements, nos émotions ? De quelles injonctions ou diktats les corps des femmes sont-ils prisonniers ? Pour incarner cela, les cinq danseuses font bloc, comme une communauté soudée d’où n’émerge aucun différence. Puis, progressivement, chacune se détache et s’affranchit du groupe. Elles composent des personnages du quotidien portés par des sentiments humains reconnaissables. Par moments sœurs puis ennemies, complices ou adversaires, ce qu’elles donnent à voir est une exploration des rapports humains dans toute leur complexité. Le beau travail des lumières sert une danse nerveuse, énergique et cultive l’ambiguïté entre les identités.

Affranchies de Amalia Salle

Dans sa construction, déplorons juste que la pièce soit sans doute un peu trop longue, voire limite redondante par moments. Péché de jeunesse qui n’enlève rien à la réussite de cette première pièce portée par cinq interprètes très investies. L’éclectisme musical donne du contraste, mais une chose est sûre : Amalia Salle n’est jamais aussi percutante que lorsqu’elle creuse ce dialogue entre musique baroque et langage hip-hop. Elle tient quelque chose de fort qu’elle dilue parfois en explorant des pistes électro où le contraste est moins créatif.

On sent un regard de chorégraphe qui se cherche encore mais ne demande qu’à s’affirmer. De fait, Affranchies est à la hauteur de la promesse. Elle soulève beaucoup de questions et nous pousse à réfléchir sur l’identité au féminin. Cette pièce avait effectivement toute sa place dans ce festival de danse hip-hop qui a souvent, et continuera à n’en pas douter, accordé une place privilégiée aux femmes.

Affranchies de Amalia Salle

Festival Suresnes Cités Danse

Se faire la belle, Pode Ser et C’est toi qu’on adore de Leïla Ka avec Anna Tierney et Jane Fournier Dumet. Samedi 21 janvier 2023 à la salle Aéroplane du Théâtre de Suresnes. À voir en tournée jusqu’au 29 mai un peu partout en France et en Europe.

Affranchies de Amalia Salle avec Marion Agosta, Philippine Dinelli, Tessa Egger, Mat Ieva, Clémence Rionda. Samedi 21 janvier 2023 à la salle Jean Vilar du Théâtre de Suresnes.

 




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