Les applaudissements ne se mangent pas de Maguy Marin par le Ballet de l’Opéra de Paris
Ecrit par : Delphine Baffour
À la demande de Benjamin Millepied, Maguy Marin revient à l'Opéra avec une pièce pour huit danseurs et danseuses créée en 2002 : Les applaudissements ne se mangent pas. Un opus aussi abrupt qu'essentiel, magnifiquement interprété.

Les applaudissements ne se mangent pas de Maguy Marin
La dernière collaboration de Maguy Marin avec le Ballet de l'Opéra de Paris remontait à 1987. C'est à cette date que Rudolf Noureev invitait la jeune créatrice de May B, alors à la tête du CCN de Créteil, à lui écrire une pièce : ce fut Leçons de ténèbres. Il aura donc fallu attendre près de 30 ans et l'arrivée de Benjamin Millepied pour que l'éminente chorégraphe, si emblématique de la nouvelle danse française, retrouve le chemin de l'institution en lui cédant, cette fois, Les applaudissements ne se mangent pas.
Ce spectacle fut créée en 2002, à la Biennale de la danse de Lyon qui avait pour thème cette année-là l'Amérique Latine. Très loin de la samba brésilienne et d'un folklore joyeux et ensoleillé, Maguy Marin, artiste engagée que les rapports humains passionne, décide de se pencher sur l'histoire politique de la région. Elle se plonge notamment dans l'œuvre d'Edouardo Galeano (dont elle tire le titre de sa pièce), écrivain uruguayen qui condamne le pillage des ressources naturelles latines par les colons européens puis par les Etats-Unis.

Les applaudissements ne se mangent pas de Maguy Marin
Mais plus que la misère des peuples et les rapports de domination impérialiste, c'est l'effroi d'une société sous le joug d'un régime dictatorial que Maguy Marin donne à ressentir avec Les applaudissements ne se mangent pas. Du Chili à l'Urugway, du Brésil à l'Argentine, les révolutions et contre-révolutions militaires furent légion. Cependant, sa seule référence explicite à la culture latino-américaine tenant au rideau de bandelettes colorées qui entoure le plateau, le propos de la chorégraphe peut être transposé dans n'importe quelle région du monde. Et il reste, malheureusement, d'une brulante et triste actualité.
Le dispositif que Maguy Marin déploie dans cet opus est aussi simple que redoutablement efficace. La scène, d'abord, est totalement nue. Privée des ses habituels décors, avec son impressionnante hauteur sous plafond, le plateau de Garnier parait immense, et les huit danseurs et danseuses comme perdu.e.s dans un univers qui les dépasse. Son cadre de bandelettes de plastique, inspiré des rideaux que l'on trouve aux portes des maisons latines, par lequel entrent et sortent sans cesse les interprètes crée un hors-champs mystérieux. Qu'on l'envisage refuge ou lieu de drames, il aiguise, comme les miroirs d'Umwelt, l'imagination.

Les applaudissements ne se mangent pas de Maguy Marin
La musique de Denis Mariotte, très fidèle complice de la chorégraphe puisqu'ils créa pour elle une vingtaine d'œuvres sonores, contribue ardemment à l'atmosphère oppressante de la pièce. Sourde, lancinante, de plus en plus forte, elle installe une tension qui va crescendo, parfois juste à la limite du supportable.
La chorégraphie enfin, faite de courses folles et de d'arrêts brutaux, de scrutateurs et froids regards échangés, dit l'urgence, la peur, la froideur et l'implacable arbitraire. Formant un groupe d'une très grande homogénéité, Caroline Bance, Christelle Granier, Laurence Laffon, Emilie Hasboun, Vincent Chaillet, Nicolas Paul, Alexandre Carniato et Simon Le Borgne sont remarquables. Ils et elles livrent toute leur énergie à survivre dans cet environnement glaçant. Chacun.e se méfie de l'autre. Ils et elles se battent, se cherchent, se fuient, s'épient, ramassent leurs mort.e.s. Les étreintes sont rares et toujours brèves. Parfois ils-elles s'associent pour tenter de résister, de se révolter. Les bourreaux d'un jour deviennent les victimes du lendemain. Presque dépersonnalisé.e, chacun.e tente juste de rester debout, à peu près vivant.

Les applaudissements ne se mangent pas de Maguy Marin
Comme souvent avec Maguy Marin, Les applaudissements ne se mangent pas est une pièce engagée, exigeante, forte. Celle-ci est particulièrement âpre, autant par son sujet que par sa mise en scène ou par sa musique. Dans une tension permanente, elle malmène le public. Mais rien n'y est gratuit et tout y est brillamment juste. "La scène fait partie de ce monde, ce n'est pas un divertissement" dit-elle. Quelle joie de retrouver cette chorégraphe essentielle au répertoire de l'Opéra !

Les applaudissements ne se mangent pas de Maguy Marin
Les applaudissements ne se mangent pas de Maguy Marin par le Ballet de l'Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Caroline Bance, Christelle Granier, Laurence Laffon, Emilie Hasboun, Vincent Chaillet, Nicolas Paul, Alexandre Carniato et Simon Le Borgne. Vendredi 26 avril 2016.
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