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Paroles de danseuses et danseurs confinés – François Alu, Mirea Delogu et le chorégraphe Fábio Lopez

Un mois déjà que les danseuses et danseurs du monde entier ont dû déserter les studios et la scène, confinés chez eux comme le reste de la population. Situation paradoxale pour celles et ceux qui par essence ignorent la distanciation sociale. Mais les artistes plus que d’autres ont en eux d’immenses ressources pour faire face et mettre en branle d’une autre manière leur créativité. Chaque semaine DALP leur donne la parole.

Cette fois-ci, place à François Alu (Premier Danseur au Ballet de l’Opéra de Paris mais déjà étoile du public et de la critique), Mirea Delogu (danseuse au Ballet Preljocaj) et Fábio Lopez (danseur, chorégraphe et directeur artistique de la compagnie Illicite de Bayonne).

 

François Au – Premier Danseur du Ballet de l’Opéra de Paris

Le confinement

J’ai appris le confinement alors que j’étais déjà chez mes parents à Fussy, dans le Cher. J’étais allé les voir un week-end et j’avais prévu de rentrer à Paris pour reprendre le travail. En regardant les informations, j’ai compris que j’allais rester là. Puis l’Opéra de Paris nous a avertis que des réunions étaient en cours et enfin que les théâtres allaient fermer. On se doutait déjà que ça n’allait pas être tout rose mais je ne m’attendais pas à rester aussi longtemps chez mes parents. En même temps, je suis très heureux car je les vois très rarement et c’est du coup l’occasion de passer du temps en famille. 

Les Quatre Tempéraments de George Balanchine – François Alu en répétition

Son état d’esprit

Au début du confinement, quand j’ai vu l’ampleur  que cela prenait, j’ai été choqué comme tout le monde. Encore aujourd’hui, tous les jours, quand on voit le nombre de morts, les gens en réanimation, les personnes qui sont seules chez elles ou très nombreuses dans de petits appartements, cela m’affecte. J’ai du mal à m’endormir et je ne me réveille pas avec un grand sourire en me disant : “Chouette ! Super !“.

Mais je me suis dit dès le début qu’il fallait garder la tête haute et avancer. Il n’y a plus l’Opéra de Paris malheureusement pour danser et proposer des spectacles sur cette magnifique scène. Mais nous avons beaucoup de temps, et je me suis dit qu’il fallait justement mettre ce temps à profit. J’avais déjà pas mal d’idées en tête que je n’avais pas eu le temps de développer durant l’année. Ce confinement est donc l’occasion rêvée pour approfondir certains personnages. J’écris aussi beaucoup de textes, des textes sur le confinement, sur mes états psychologiques. J’ai eu des inspirations diverses et variées.

Ses vidéos de confinement

Je me suis dit que ce serait drôle de mettre une vidéo en ligne et commencer à distraire un peu les gens. Tout le monde s’envoie des vidéos. J’ai pensé aux fans de danse, je me suis demandé à quoi ressemblerait un danseur le premier et le dernier jour du confinement, et comprendre qu’il y a un réel danger, que l’on peut vite se faire rattraper par nos démons. Nous avons tous des démons différents : l’alcool, la nourriture, la cigarette. Chacun a ses vices et c’était évidemment un avertissement humoristique que je m’envoyais d’abord à moi-même ! Alors autant le partager avec tout le monde.

 
 

Son collectif pour lever des fonds pour la Croix Rouge

Et puis je voulais aller un peu plus loin que ça. Je me suis dit que je contribuais en faisant rire les gens, mais que je n’étais pas d’une grande aide pour sauver la planète. Je me suis demandé ce que je pourrais faire de plus. J’ai alors contacté plusieurs de mes meilleurs amis dont Francesco Mura et Paul Marque (ndlr : aussi Premiers danseurs à l’Opéra de Paris), le photographe Julien Benhamou et deux autres amis qui ont monté une marque de chaussures, Timothée Paris. On vient de finir la plateforme, que nous avons appelé Art Cure Corona. Paul Marque a passé beaucoup de temps à la réalisation du site. Nous allons confectionner des vidéos, des photos ou des chaussures que l’on peut acheter, aussi poster des photos de nous durant le confinement et d’autres de Julien Benhamou plus esthétiques et élégantes. 95% des fonds levés iront à la Croix Rouge, les 5% restants couvrant les frais de production. On va aussi réaliser des vidéos. Nous avons choisi la Croix Rouge parce qu’elle agit sur un large spectre, du corps médical à leurs actions en faveur des sans-abri ou des maisons de retraite. Cela couvre beaucoup de choses et nous a paru une bonne cause.

Son quotidien, sa routine

Comme disait Jean Babilée à propos du Jeune Homme et la Mort, voilà une synchronisation accidentelle. Là aussi, c’est une synchronisation accidentelle car ma mère est professeure de danse et chez mes parents, il me suffit de descendre quelques marches pour être dans le studio de danse. C’est idéal pour pouvoir faire ma barre, pour pouvoir danser, il y a suffisamment de place pour faire tout un cours. J’organise aussi des séances de sport avec des amis en se connectant tous ensemble. Je ne fais pas de “live” sur internet parce que je trouve plus convivial de pouvoir entrainer des gens, de leur donner des conseils et de les corriger. Faire un cours en direct sans pouvoir expliquer et dialoguer, c’est difficile pour moi. Je trouve que c’est génial mais ce n’est pas vraiment ma vocation, je préfère avoir un contact direct avec les différentes personnes.

Nous avons beaucoup de temps avec ce confinement, il faut justement mettre ce temps à profit

Les rôles que l’on ne peut pas danser et les autres

Je pense au ballet Mayerling de Kenneth MacMillan que l’on devait présenter cette saison et j’avais envie d’y participer. J’ai aussi des regrets pour les galas qui étaient prévus en Espagne et en Corée du Sud. C’étaient de très beaux projets et j’espère qu’ils seront reportés. J’attends évidemment que l’on reprenne à l’Opéra de Paris le plus vite possible. Dans quelles conditions ? Quels ballets présentera-t-on ? C’est encore un grand point d’interrogation et on attend la réponse de notre directrice de la Danse. J’espère que l’on pourra danser La Bayadère en décembre parce que j’aimerais beaucoup danser Solor à nouveau. J’ai plein d’idées, j’ai fait murir le personnage et j’espère vraiment que je pourrais l’interpréter prochainement. Danser de nouveau  Solor la saison prochaine est l’un de mes objectifs et j’attends cela avec impatience.

 

 

Mirea Delogu – Danseuse au Ballet Preljocaj

Le confinement 

Comme je suis italienne, je savais déjà par ma famille que la situation était compliquée. Au moment de l’annonce du confinement en France, j’étais avec une partie de la compagnie en tournée Nouvelle-Zélande pour Blanche Neige. Nous avons eu de la chance car là-bas, la situation sanitaire était plus tranquille et nous avons pu danser nos spectacles. Juste avant notre dernière, nos avons appris que les activités de la compagnie allaient s’arrêter. Du coup, nous avons dansé cette dernière, le 15 mars à Auckland, en sachant que c’était la dernière fois que nous dansions ensemble avant longtemps.On a eu de la chance de le savoir avant car nous avons pu profiter de cet instant sur scène. Nous sommes ensuite rentrés en France. J’ai choisi de rester à Aix-en-Provence parce que ma vie est ici, je me sens ainsi plus proche de mon travail et de ma vie habituelle. Et dès que l’on reprendra, je serai prête et au bon endroit. Heureusement, je suis confinée avec des amis et co-locataires, un danseur et un chanteur lyrique. Nous trouvons des activités à réaliser pour à la fois occuper le temps mais aussi garder de bons souvenirs de ce moment.

Mirea Delogu – Danseuse au Ballet Preljocaj

L’entrainement, la routine quotidienne

Au début, j’ai essayé plein de choses différentes et j’ai mis du temps à trouver ma routine. Mais maintenant, comme il y a beaucoup de classes proposées par différents danseurs et danseuses sur internet, c’est très facile de garder la forme. Il y a beaucoup de techniques différentes. Je prends une barre presque tous les jours et je me suis construit un programme pour travailler différents groupes musculaires, faire du cardio. Au final, je fais trois heures de sport par jour pour être en forme dès la reprise. Cela m’aide beaucoup, je le vois comme une manière de travailler des choses que je ne travaille pas habituellement, de pouvoir peaufiner de petits détails. Je ne suis aussi confrontée qu’à moi-même et je peux ainsi trouver ma façon de faire les choses. Je crois que cela m’aidera énormément au moment de la reprise. Je suis en contact bien sûr avec le reste de la compagnie, cela nous manque beaucoup de nous voir et d’être ensemble.

Passer le temps…

J’aime beaucoup cuisiner et j’entretiens cela. Je parle aussi très fréquemment avec ma famille en Italie. J’aime aussi énormément faire des montages vidéos. Ce confinement, c’est aussi l’occasion de cultiver nos centres d’interêt.

Je ne suis confrontée qu’à moi-même pendant mes entraînements, je peux ainsi trouver ma façon de faire les choses

Les spectacles qui ne se font pas

Nous devions démarrer les répétitions d’une nouvelle création d’Angelin Preljocaj en mai, autour du Lac des cygnes. La première est en septembre et évidemment, nous espérons tous être en mesure de présenter ce spectacle. Je cherche aussi à entrainer mon imagination. La compagnie est divisée en deux groupes, je devais danser les derniers spectacles avec un groupe avant de changer. J’espère que l’on pourra encore danser. Je me fais à l’idée que nous ne retournerons pas sur scène tout de suite mais j’ai hâte de rentrer en studio.

 

 

Fábio Lopez, directeur artistique de la compagnie Illicite

Le confinement

Je travaillais à Lisbonne depuis le 7 mars où je donne des cours pour la compagnie nationale. Je voulais aussi voir La Table Verte de Kurt Jooss que dansait la compagnie.Puis les frontières se sont fermées et je suis resté ici au Portugal où l’infection est un peu moins forte qu’en France. En revanche, les spectacles ont été arrêtes plus tôt ici. La réaction a été très rapide car l’on est très proche de l’Espagne. Je suis donc dans ma famille, je ne suis pas seul et c’est plus facile.

Fábio Lopez

Le quotidien, la routine

Je m’entraine un peu. Pas beaucoup mais un peu ! Je suis quand je le peux le cours de barre au sol de Stéphane Phavorin que j’aime beaucoup et je fais aussi de la musculation du haut du buste pour les portés car c’est important. Cela dit, pour tout ce qui est technique classique, c’est vrai que je suis aussi directeur de compagnie et que je m’inquiète pour les danseurs et danseuses. Deux mois d’entrainement sur des sols pas adaptés, des pointes, des fouettés, je ne trouve pas que c’est bon : ça résonne dans le squelette et j’ai peur de la blessure qui suit. Je reste assez sage, je fais parfois un peu de méditation pour garder la forme mentale.

Les craintes pour la compagnie

L’avenir est trouble, surtout pour des compagnies de taille moyenne comme la nôtre : nous ne sommes plus vraiment une troupe toute jeune, mais nous ne sommes pas non plus un Centre Chorégraphique National. Il y a avait des projets transfrontaliers avec l’Espagne mais avec la crise économique, je ne  sais pas ce qu’il en adviendra. J’avais une création au mois d’août mais je ne sais pas si on sera capable de la faire. Il y a beaucoup de doutes. Il y aura malheureusement une réduction de personnel, moins de permanents. J’avais par exemple prévu une autre création l’an prochain avec huit danseuses et danseurs, je la ferai avec moins d’interprètes. Ce sont des choix difficiles mais il s’agit d’assurer l’avenir de la compagnie.

Il y aura des choix difficiles à faire, mais il s’agit d’assurer l’avenir de la compagnie

Les projets

J’avais différentes propositions mais je ne sais pas aujourd’hui si elles auront lieu car nous n’avons aucune visibilité sur le calendrier de la reprise. Par définition, la danse, c’est un art où on se touche. Comment les relations humaines vont-elles se développer face à cette maladie ? Et puis va-t-on pouvoir voyager comme avant ? Les frontières vont-elles se rouvrir ? Personnellement, je n’ai pas la nationalité française, j’ai aussi des doutes sur ces problèmes administratifs.

Tout de suite après le confinement, je voudrais faire une création dans un langage  néo-classique sur la musique de Chopin, peut-être parce qu’en ce moment je regarde beaucoup de vidéos, je refais un peu mon histoire de la danse (rires…). J’attends les réponses des autres compagnies qui m’ont sollicité mais je m’attends à des annulations. J’ai peur que la culture ne soit pas une priorité, en tout cas pas comme en Allemagne. Mais je reste positif, je pense que les gens auront besoin de retrouver une vie et le chemin des théâtres. Nous en tout cas, nous serons prêts à partager à nouveau avec le public. Et je crois que nous aurons encore plus à partager qu’avant.

 




 

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