[Monaco Dance Forum] Aakash Odedra – Rising
Après la belle soirée En compagnie de Nijinsky des Ballets de Monte-Carlo, le Monaco Dance Forum – le festival de danse de Monaco – a pris la relève. Et a proposé en ouverture un spectacle étonnant, Rising d’Aakash Odedra. Inconnu en France si ce n’est des spécialistes, voilà l’un des meilleurs danseurs au monde de danse kathak, une danse traditionnelle du nord de l’Inde. Interprète virtuose et charismatique, Aakash Odedra propose avec son spectacle trois solos de grands chorégraphes contemporains : Akram Khan, Russell Maliphant et Sidi Larbi Cherkaoui. Chacun s’est laissé fasciner par la formidable technique d’Aakash Odedra, même si les résultats sont plutôt inégaux. Reste le bonheur d’avoir découvert un interprète hors du commun.
Pour démarrer la soirée, pas de création mais un pure solo de danse kathak, Nritta, signé par Aakash Odedra lui-même. Comme une façon de se présenter à ce public qui ne le connaît pas, de raconter d’où il vient, de poser les bases de sa danse qui a inspiré les chorégraphes suivants. Il y a chez ce danseur un instinct de la scène enthousiasmant, tout comme une façon fabuleuse de maîtriser son art,percevable même par ceux et celles qui n’ont jamais vu de la danse danse kathak. Le travail des frappes du pied étonne, elles savent se faire puissantes pour marteler un rythme comme aussi silencieuses qu’un chat au retombé d’un saut. On y retrouve au fil des pas des petites choses qui font penser au flamenco ; il est décidément fascinant de voir que deux danses, venant de cultures si opposées et ne s’étant pas croisées, se retrouvent et se répondent. Le plus impressionnant reste cependant le travail des bras, expressionniste. Ils semblent comme dotés de muscles et d’une rapidité inconnus en Europe. Le tout forme un solo puissant, porté par cette personnalité charismatique, dont on comprend qu’il ait inspiré ces chorégraphes contemporains.
Et c’est clairement le travail du haut du corps qui a intéressé ces trois créateurs contemporains, Akram Khan, Russell Maliphant et Sidi Larbi Cherkaoui. C’est le solo de ce premier, In the Shadow of man, qui ouvre le bal des créations. Et de loin la plus belle réussite de la soirée. Pas étonnant d’ailleurs, Akram Khan étant aussi danseur de kathak. Le chorégraphe s’est néanmoins laissé emporter par la personnalité de son interprète pour proposer un brillant solo de danse contemporaine, où se mêle avec finesse et intelligence quelques mouvements de danse indienne dans le haut du corps. C’est deux-là se sont trouvés, et il ne serait pas étonnant que cette rencontre aboutisse à un véritable spectacle, tant, à la fin du solo, le chorégraphe semblait avoir encore beaucoup de choses à dire.
Russell Maliphant a lui aussi été fasciné par cet incroyable travail du haut du corps, mais a eu plus de mal à s’en détacher pour son solo Cut. Comme à son habitude, le chorégraphe joue sur les lumières pour dessiner le corps. Ce sont ici, bien sûr, les bras et les mains qui sont mises en valeur, soulignées par un trait de lumière, laissant le reste du corps dans l’ombre. Le procédé est efficace mais l’on a un peu vite l’impression qu’il est limité et se répète rapidement. Le solo est percutant, mais il reste le sentiment qu’il y a un peu d’esbroufe là-dessous, comme si le chorégraphe s’était, une fois son procédé en place, reposé sur son interprète. Comme si, aussi, il n’avait pas complètement trouvé les clés pour fondre sa danse dans celle de son interprète, ce qui n’est pas non plus chose facile quand deux mondes très différents se rencontrent.
Constellation, la création de Sidi Larbi Cherkaoui qui termine la soirée, est d’assez loin la plus décevante. Mélanger la danse d’Aakash Odedra avec le travail de courbe et de spirales de Sidi Larbi Cherkaoui, cela avait pourtant quelque chose d’alléchant. Mais le chorégraphe ne fait pas danser son interprète. Tout fonctionne sur la mise en scène, des ampoules suspendues du plafond allumées par le danseur. L’on reste dans quelque chose d’uniquement visuel qui a du mal à instaurer une atmosphère. L’on se demande surtout pourquoi cette création pour cet interprète, tant cela semble interchangeable. Il y a ainsi comme l’impression que Sidi Larbi Cherkaoui n’a pas vu danser son interprète et qu’il lui a donné un solo traînant au fond d’un tiroir, comme il aurait pu le donner à quelqu’un d’autre. Ce n’est évidemment pas le cas, mais c’est le sentiment qui prédomine. Tant pis pour ce final en queue de poisson, le plaisir de la découverte de l’univers d’Aakash Odedra l’emporte finalement.
Rising d’Aakash Odedra au Théâtre des Variétés, dans le cadre du Monaco Dance Forum. Nritta d’Aakash Odedra, In the Shadow of man d’Akram Khan, Cut de Russell Maliphant et Constellation de Sidi Larbi Cherkaoui, par Aakash Odedra. Lundi 10 décembre 2018.