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Ballet de l’Opéra de Lyon – Soirée Trisha Brown

Presque deux ans après le décès de Trisha Brown, le Ballet de l’Opéra de Lyon rend hommage à la grande dame de la postmodern dance, dans un programme qui lui est entièrement consacré. Une soirée qui tombe plutôt bien pour ouvrir l’année du centenaire Merce Cunningham – les deux chorégraphes étant proches dans leur conception de la danse, un Event Cunningham était d’ailleurs organisé avant l’une des représentations. La troupe lyonnaise, qui a l’habitude de danser Trisha Brown, a proposé deux reprises et l’entrée au répertoire de Foray Forêt. Une soirée exigeante pour le public – peut-être un peu trop aride d’ailleurs, qui empêche presque de savourer la dernière et superbe pièce Set and Reset/Reset, le chef-d’oeuvre de la soirée.

Newark de Trisha Brown – Ballet de l’Opéra de Lyon

Abstraction du mouvement, jeu du hasard avec la musique, chorégraphie qui se construit avant tout par l’attention que les danseurs et danseuses se portent entre eux sur scène, relâchement du geste, mais aussi travail main dans la main avec scénographes et plasticiens… Le long travail de Trisha Brown est, à l’image de Merce Cunningham, représentatif de ce qu’est la postmodern dance américaine. Une façon de danser que le Ballet de l’Opéra de Lyon connaît bien : c’est en effet à cette troupe que, pour la première fois, Trisha Brown décide de transmettre l’une de ses pièces en 2000, alors qu’elle réservait jusque-là son travail à sa propre compagnie. Il s’agissait de la pièce Newark, qui ouvre ce programme. 

Sur scène, des duos se succèdent, de 52 secondes à quelques minutes, dansant avec le décor. Ce dernier est composé de larges toiles de Donald Judd, chacune représentant une couleur primaire. Ces toiles s’abaissent et se relèvent au fur et à mesure de la pièce, dessinant l’espace de la scène et laissant apparaître à chaque fois un nouveau duo, lançant ou au contraire coupant court à une phrase chorégraphique. Une pièce sur l’art du mouvement et du hasard, leçon d’école de Trisha Brown, peut-être un peu trop interprétée comme telle. Voilà les bases de sa danse, une bonne façon de démarrer la soirée et de se plonger au coeur de cette oeuvre immense, mais il y manque un élan, un twist qui ne donnerait pas l’impression que les interprètes récitent une leçon – même s’ils et elles le font d’une façon magistrale et d’une précision vertigineuse. 

Newark de Trisha Brown – Ballet de l’Opéra de Lyon

Foray Forêt, qui entre au répertoire de la compagnie, a presque un aspect décalé à côté. Sur scène, ensembles, trio et grand solo finale se succèdent. La musique n’a été calée que lors de la première, toute la chorégraphie fonctionne uniquement sur l’attention que les danseurs et danseuses se portent entre eux, à leur respiration, à leur geste. Ainsi le mouvement de bras de l’un lance la phrase chorégraphique de l’autre, et ainsi de suite. La danse y est ici éclectique, parfois ample et souple, effet accentué par les costumes vaporeux, parfois plus physique dans les trios, tranchante dans le solo final où le groupe n’apparaît que par petite touche, une main ou un pied dépassant des coulisses. Une partition bien rôdée et interprétée avec justesse que vient chambouler la musique, jouée par une fanfare que l’on ne voit jamais sur scène.

Cette dernière fait en fait le tour de la Maison de la Danse, passe par les espaces publics, descend les escaliers du hall, se retrouve dans la coulisse avant de repartir. Pour le public, voilà comme un élément perturbateur qui casse une machine bien huilée, auquel l’on se fait petit à petit, puis qui vient pleinement s’intégrer dans la pièce. En effet, au début, le bruit de la fanfare vient de si loin que l’on se demande ce que vient faire ce groupe, l’on s’agace même sur ces musicien.ne.s qui ne savent pas qu’il y a un spectacle. Puis la musique prend sa place, résonne de plus en plus jusqu’à se retrouver presque à côté des danseurs et danseuses, en coulisse. Et ces derniers, qui n’ont jamais répété avec cette musique, de presque se plier au rythme de la fanfare, à faire leurs gestes sur la pulsation, comme un réflexe. Mais la fanfare s’éloigne, les artistes restent dans leur monde où la danse se fait entre eux et elles uniquement. Cela sonne un peu comme une expérience : comment la danse s’habitue, se fait et se détache face à un élément extérieur. Une expérience étonnante en tout cas et une pièce surprenante. 

Foray Forêt de Trisha Brown – Ballet de l’Opéra de Lyon

Mais observer du Trisha Brown est une action qui demande de l’attention, de la concentration, presque un peu de persévérance tant nous ne sommes pas forcément habitués à cette façon de chorégraphier. Trisha Brown a un côté aride, sans fioriture, qui ne s’offre pas seul. Après une heure de danse, il y a comme l’envie de voir un peu autre chose, d’observer ce qui a précédé la post-modern dance, ou au contraire ce qui a suivi. « La postmodern dance m’intéresse plus parce qu’elle a engendré que par elle-même« , me glissait ainsi quelqu’un il y a quelques années. Et la troisième pièce du programme, Set and Reset/Rese, apparaît ainsi presque de trop. Dommage, parce qu’elle est bien le chef-d’oeuvre de la soirée, que l’on aurait presque eu envie de profiter un peu mieux.

Il y a d’abord ces longs mobiles tombant des cintres et construisant l’espace scénique, s’entortillant sur eux-mêmes dans une sorte de danse fascinante. Ce sont eux qui donnent le top départ des six danseurs et danseuses. Sur scène, il y a à la fois le sentiment perpétuel d’assister à une longue improvisation, tout en ayant la conscience nette qu’il s’agit là de phrases chorégraphiques complexes, détaillés, déstructuré. Ce mélange donne une chorégraphie magistrale, sur un fil de bout en bout, véritable manifeste de la postmodern dance et chef-d’oeuvre qui emporte par sa construction, mais aussi par sa fulgurante beauté. Hasard dans la danse, relâchement du mouvement, complexité dans la construction… Et rajoutons la malléabilité du temps. Set and Reset/Reset dure 28 minutes, le même temps exactement que les deux pièces précédentes. Mais semble filer à la vitesse de la lumière, et sa course se termine avant même d’avoir pu reprendre son souffle. 

Set and Reset/Reset de Trisha Brown – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Soirée Trisha Brown par le Ballet de l’Opéra de Lyon à la Maison de la Danse. Newark de Trisha Brown, avec Dorothée Delabie, Aurélie Gaillard, Caelyn Knight, Elsa Moguillot de Mirman, Marissa Parzei, Albert Nikolli et Leoannis Pupo-Guillen ; Foray Forêt de Trisha Brown avec Jacqueline Bâby, Kristina Bentz, Julia Carnicer, Noëllie Conjeaud, Dorothée Delabie, Chiara Paperini, Ricardo Macedo, Giacomo Luci, Roylan Ramos et Raúl Serrano Núñez ; Set and Reset/Reset de Trosha Brown, avec Dorothée Delabie, Aurélie Gaillard, Coralie Levieux, Elsa Monguillot de Mirman, Albert Nikolli, Paul Vezin. Samedi 26 janvier 2019. 

 

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