[Montpellier Danse] A Quiet Evening of Dance – William Forsythe en liberté absolue
Le spectacle est à voir du 4 au 10 novembre au Théâtre du Châtelet.
William Forsythe est reparti sur les routes ! S’il n’a plus de grande compagnie attitrée, il voyage aujourd’hui avec un nouveau spectacle. Créé pour sept danseuses et danseurs au Sadler’s Wells de Londres 2018, A Quiet Evening of Dance s’est envolé pour une tournée internationale. Et la première française fut pour l’édition 2019 de Montpellier Danse. Libéré des contraintes de la gestion d’une troupe, William Forsythe a retrouvé une verve créatrice qui le replonge dans l’art du ballet académique dont il fait son miel, enrichissant encore son vocabulaire pour le faire, non pas dialoguer, mais se fondre avec le hip-hop et la break dance. Incontestablement du grand art !
On savait le maître américain en pleine forme. À 70 ans, il fait preuve d’une créativité insolente. Après Blake Works I à l’Opéra de Paris, il nous avait gratifié d’une Playlist qui dépote avec le Ballet de Boston. Cette fois, William Forsythe revient à de petits effectifs mais n’en abandonne pas pour autant sa fascination pour le ballet classique. Pourquoi, lui a-t-on demandé ? “Parce que c‘est tellement difficile“, a-t-il répondu.
Il n’est pas question pour autant de se répéter ad libitum. Avec cette soirée pas si tranquille de danse, William Forsythe a intégré un nouvel électron afin de distordre l’équation chimique et introduire le hip-hop et la break danse dans le jeu de pirouettes et d’arabesques. Rauf Yasit dit Rubberlegz (soit “Jambes de caoutchouc”, et à le voir, on comprend vite d’où lui vient ce surnom…) est un artiste américain qui a grandi en Allemagne. C’est un virtuose de la break dance qu’il élève à des sommets inégalés. Quand certains sont tentés avec succès parfois de s’aventurer dans le métissage des styles, William Forsythe s’intéresse à l’essence des choses. Il n’introduit pas dans le classique de la break dance par effet de mode mais parce qu’il voit ces deux genres si dissemblables à priori comme “liés par une grille tridimensionnelle et géométriquement normative avec des styles extrêmement techniques organisés autour d’une matrice“.
De ce point de départ est né A Quiet Evening of Dance, un spectacle ultra structuré divisé en deux parties distinctes. Le premier acte est en quatre parties (Prologue, Catalogue, Epilogue et Dialogue) et serait presque un exercice de styles, comme un atelier de recherches chorégraphiques. William Forsythe y déploie sa grammaire en silence, sans musique, cherchant toutes les variations possibles que pourrait offrir le corps quand il faut trouver de nouvelles lignes, d’autres positions de bras, d’autres manières de casser ces lignes. Dans ce travail, Rauf “RubberLegz” Yasit prend une part majeure, montrant une autre forme de déstructuration en parfaite harmonie avec le langage classique. Cette première partie s’achève par la reprise du DUO2015 interprété par Brigel Gjorka et Riley Watts que Sylvie Guillem avait intégré dans son ultime spectacle. Cela fait près de 100 fois qu’ils dansent cette pièce initialement créée pour deux femmes. Elle a, on s’en doute, considérablement évolué car toute œuvre de William Forsythe ne saurait être autre chose qu’un “work in progress”. DUO2015 rebaptisé Dialogue est truffé d’humour. Les deux danseurs se connaissent tellement bien qu’ils peuvent à tout moment improviser ou ajouter un détail.
On ne change pas de style après l’entracte. Après avoir exploré de manière quasi mécanique le fonctionnement du ballet, William Forsythe en reprend tous les éléments dans Seventeen/Twenty One, une pièce de 35 minutes sur la musique de Jean-Philippe Rameau. Sur cette belle partition française de cour, le chorégraphe met sur scène ses sept interprètes. De nouveau, il rebat les cartes du ballet classique, recherche d’autres symétries. Le geste peut parfois se faire baroque, le propos iconoclaste à l’image des costumes qu’il affectionne désormais : jeans et tee-shirts de couleur qu’il a agrémentés cette fois de longs gants qui ouvrent les bras des artistes.
William Forsythe, comme Mats Ek au Palais Garnier au même moment, affiche désormais une liberté absolue. Comme le maître suédois – mais un peu plus tôt que ce dernier ! – il est sorti de sa semi- retraite avec le projet de s’amuser, “to have fun” comme disent les Américains. Ni l’un ni l’autre n’ont plus rien à prouver à qui que ce soit. Affranchis des contraintes, ils se permettent tout. Cela donnera-t-il de grandes œuvres de répertoire ? Peut-être ou peut-être pas. Mais quel bonheur de les voir l’un et l’autre nous offrir ces jours-ci de superbes postfaces. Et mettre du hip-hop à la Cour de Louis XIV, qui d’autre que William Forsythe pouvait oser ?!
A Quiet Evening of Dance de William Forsythe à l’Opéra Comédie de Montpellier dans le cadre de Montpellier Danse. Acte 1: Prologue avec Parvaneh Scharafali et Ander Zabala ; Catalogue avec Jill Johnson et Christopher Roman ; Epilogue avec Jill Johnson, Christopher Roman, Parvaneh Scharafali, Rauf “Rubberlegz” Yasit et Ander Zabala ; Dialogue DUO2015 avec Brigel Gjorka, Riley Watts ; Acte 2 : Seventeen/TwentyOne avec Brigel Gjorka, Jill Johnson, Christopher Roman, Parvaneh Scharafali, Riley Watts, Rauf “Rubberlegz” Yasit et Ander Zabala. Mardi 2 juillet 2019. À voir jusqu’au 5 juillet. En tournée au Théâtre du Châtelet du 4 au 10 novembre 2019, à l’Opéra de Lille du 11 au 13 février 2020.