[Retransmission cinéma] La Belle au bois dormant du Bolchoï – Olga Smirnova et Semyon Chudin
Une aube nouvelle baigne la compagnie du Bolchoï depuis que Makhar Vaziev a pris ses fonctions de directeur artistique. Et quel ballet est plus symbolique que La Belle au bois dormant pour dire la bonne nouvelle ? Cette version signée Youri Grigorovitch date de l’inauguration du Bolchoï restauré (2011), promettant une ère de prospérité croissante pour la compagnie. Le répertoire porte encore l’empreinte du chorégraphe soviétique, qui vient de fêter ses 90 ans, mais de nouveaux visages s’imposent sur scène. La dernière retransmission au cinéma de La Belle au bois dormant montrait Svetlana Zakharova et David Hallberg, stars incontestables de la danse mondiale. En ce début d’année 2017, Olga Smirnova, un jeune talent confirmé, et Semyon Chudin, qui occupe à temps partiel avec Denis Rodkine l’emploi de Prince charmant de la troupe, sont présentés comme les héritiers des Etoiles adoubées par le tsar Grigorovitch.
La Belle au bois dormant est un ballet grandiose qui assume sa froideur aristocratique, sa dimension démonstrative et les dorures ostentatoires d’une époque révolue. La pantomime a été éliminée au profit de la grande danse, exceptée pour la Fée Carabosse. C’est somme toute un ballet qui semble correspondre au Bolchoï. À une nuance près : les ballerines de la compagnie n’ont pas pour habitude d’être corsetées dans leur danse. La retenue et la pudeur requises pour les rôles féminins ne sont pas les qualités premières du “style Bolchoï”. Makhar Vaziev a ainsi offert les personnages principaux à des interprètes qui viennent d’ailleurs. Olga Smirnova, Youlia Stepanova, deux pétersbourgeoises, et Semyon Chudin, génie cosmopolite, ont proposé leur vision d’un conte vu et revu. Et cette approche s’est avérée classique. Sobre et prudente.
Dès qu’Aurore arrive dans son tutu de satin, rose bonbon, la fébrilité est palpable. Est-ce l’expression de l’excitation de ses 16 printemps ou de la nervosité de la retransmission en direct ? Parfois crispée, Olga Smirnova ne semble pas en pleine possession du rôle alors que les critiques de son Aurore monégasque laissaient espérer de belles synergies. Il lui manque la fragilité d’une jeune fille élevée dans un cocon ouaté. Mais elle a pour elle la luminosité radieuse et les manières guindées d’une princesse de l’Ancien régime. Au deuxième acte, elle a tendance à être trop terrestre pour figurer une vision fugitive de la femme idéale malgré des bras expressifs. Il y a en cette danseuse, présentée comme une pure Vaganovienne ivre d’éther, une flamme inattendue qui brûle par intermittence. L’effet Bolchoï ?
Faisant corps et âme avec son personnage, Youlia Stepanova incarne la sérénité par excellence. Sérénité dans sa danse, calme, gracieuse, déliée et sérénité sur son visage de chat serti d’yeux émeraude. Sa Fée des Lilas impose sa bienveillance régalienne sur scène, s’affirmant comme l’ange gardien de la malheureuse petite Aurore. La Fée Carabosse, son alter ego maléfique, traduit moins l’imminence d’une menace pesante qu’un divertissement aussi bon enfant que scolaire. Dans la version de Youri Grigorovitch, c’est un homme travesti qui l’interprète, pour le meilleur et pour le pire.
Il n’y a rien à dire à propos de Semyon Chudin qui n’ait déjà été dit. Il a l’allure d’un danseur noble, il est capable de sauts virils au fini néanmoins moelleux et devient le symbole d’un raffinement européen allié à une flamboyance très russe. Son Prince Désiré n’a pas le temps d’être mélancolique, la direction musicale enlevée de Pavel Sorokine et les coupes faites par Youri Grigorovitch dans l’errance poétique du héros en font un homme d’action. Son partenariat avec Olga Smirnova s’affirme au fil des représentations, aidé par l’alchimie que Jean-Christophe Maillot les a encouragé à développer.
Epreuve technique redoutée pour la virtuosité de sa chorégraphie, La Belle au bois dormant n’en demeure pas moins une opportunité rêvée pour les danseuses du corps de ballet. Une ribambelle de solos s’offre ainsi aux jeunes talents du Bolchoï, leur permettant de démontrer leurs qualités techniques mais aussi interprétatives. Margarita Shrainer, Ksenia Zhiganshina et Daria Khokhlova ont été choisies pour danser des fées et des personnages de contes, esquissant les contours d’une génération de solistes dite Vaziev. À l’entracte, les caméras posées sur le plateau montraient ce dernier faisant répéter inlassablement les ensembles du corps de ballet. Une exigence de perfection pèse tant sur les Étoiles que sur les visages (aujourd’hui) anonymes de la troupe. Une chose est sûre : le Ballet du Bolchoï est très loin d’être une Belle endormie.
La Belle au bois dormant de Youri Grigorovitch par le Ballet du Bolchoï au Théâtre Bolchoï.Olga Smirnova (Princesse Aurore),Semyon Chudin (Prince Désiré),Alexei Loparevitch (Fée Carabosse),Youlia Stepanova (Fée des Lilas), Anastasia Denisova (Princesse Florine) et Artemy Belyakov (l’Oiseau bleu). Retransmission en direct au cinéma le dimanche 22 janvier 2017.