A New York, un bien étrange hommage du Mariinsky à Maïa Plissetskaïa
Le 2 mai dernier, Maïa Plissetskaïa quittait définitivement la scène. À 89 ans, le cœur de l’une des plus grandes ballerines de l’histoire avait brutalement cessé de battre. C’est donc un hommage posthume que le théâtre Bolchoï de Moscou lui rendait en novembre dernier pour son ce 90ème anniversaire qu’elle ne verrait jamais. Car impensable, même en son absence, de ne pas célébrer celle qui incarna le Bolchoï dans tout son être : cette liberté, ce tempérament indomptable, cette flamboyance sur scène. Rien qui ne corresponde ni à la lettre, ni à l’esprit du Ballet du Mariinsky, ce temple où l’on célèbre Marius Petipa et où rigueur et discipline sont de mises. Étonnant donc que lors de sa tournée à New York, le théâtre Mariinsky ait décidé de présenter quatre programmes tous intitulés “Un hommage à Maïa Plissetskaïa“.
Et c’est le maestro Valery Gergiev en personne qui dirigeait l’orchestre du Mariinsky pour une première soirée hélas plus que décevante. Fallait-il vraiment ressusciter Carmen Suite, ce ballet dont la partition et la chorégraphie ont été spécialement créées pour Maïa Plissetskaïa en 1967 ? La pièce du cubain Alberto Alonso à l’esthétique expressionniste, sur la musique écrite d’après Bizet par l’époux de la danseuse Rodion Chtchedrine, a bien mal résisté au temps. Maïa Plissestskaïa, qui est à l’origine de ce projet, avait sublimé sinon adapté la chorégraphie. Naturellement rebelle, comédienne innée, elle campait une Carmen idéale, à la fois racée et conquérante. Cela transparait encore aujourd’hui même en vidéo.
Las ! Diana Vishneva, star internationale, n’a aucune de ces qualités. Sa danse est trop jolie et maniérée pour pouvoir interpréter une Carmen crédible. Elle surjoue le rôle là où Maïa Plissetskaïa était tout en naturel. Du coup, toutes les faiblesses de la chorégraphie transparaissent. Quel regret qu’une danseuse aussi talentueuse se soit perdue dans un rôle qui n’était pas pour elle.
Plus opportun dans ce programme fut La mort du Cygne de Michel Fokine sur la musique de Camille Saint-Saëns. Maïa Plissetskaïa en avait fait SA pièce de gala. Elle la dansa jusqu’ à près de 70 ans et la bissait volontiers. Ouliana Lopatkina, l’autre star du ballet du Mariinsky, est désormais la dépositaire inégalée de ce rôle court mais intense techniquement. La version qu’elle livre est comme toujours impeccable. Certes, il serait vain de chercher dans la version de la ballerine du Mariinsky le moindre écho à celle de Maïa Plissetskaya tant elles sont dissemblables : Maïa Plissetskaya racontait toute l’histoire avec le seul battement de ses bras là où Ouliana Lopatkina en fait davantage un décalque de son Lac des Cygnes. Élégant mais parfois désincarné: c’est beau, très beau même, mais cela n’émeut pas.
Cet interlude est suivi de l’expérience la plus étrange et saugrenue que puisse vivre un balletomane : l’association d’un orchestre live jouant le Boléro de Maurice Ravel en tentant en vain de se caler sur Maïa Plissetskaïa interprétant le ballet de Maurice Béjart sur grand écran ! Tâche improbable et résultat douloureux. Jamais Valery Gergiev ne parvînt à être en mesure et la danse paraît alors comme détachée de la musique. De surcroît, l’orchestre du Mariinsky livra une prestation bien médiocre de la musique de Ravel. Comment une idée aussi mauvaise et promise d’emblée au désastre a-t-elle pu germer ? C’est faire un bien mauvais sort à Maïa Plissetstkaïa.
Tout aussi inexplicable sont l’absence dans la quatrième et dernière soirée d’extraits de Don Quichotte et du Lac des Cygnes, deux ballets fondamentaux dans la carrière de Maïa Plissetskaïa et qui ne furent plus jamais dansés de la même manière. En revanche, pourquoi programmer Giselle alors qu’elle n’a jamais interprété ce personnage ? Certes, Maria Shirinkina et Vladimir Shklyarov sont irréprochables dans ce pas de deux mais ce choix échappe à toute logique.
Plus qu’un hommage à Maïa Plissetskaïa, ce quatrième programme fut davantage une célébration d’Ouliana Lopatkina qui apparaît dans cinq des pièces présentées. La Rose malade, que Roland Petit chorégraphia spécialement pour Maïa Plissetskaïa en 1973 sur la musique de Gustav Mahler, reste une miniature d’une finesse exquise dans laquelle se moulent parfaitement Ouliana Lopatkina et son partenaire Andreï Ermakov. Ils sont plus impressionnants encore dans un pas de deux extrait de Légende d’amour, l’un des grands chefs d’œuvres du ballet soviétique de Yuri Grigorovitch et un des succès majeurs de Maïa Plissetskaïa.
Enfin, le pas de trois de La Fontaine de Bakhchisaraï fut sans doute le moment le plus intense de ce programme. Ce ballet de Rotislav Zakharov sur un argument d’après Alexandre Pouchkine, est toujours au répertoire du Mariinsky. Il fut rendu célèbre hors de l’Union Soviétique grâce au film Stars Of the Russian Ballet présenté au festival de Cannes en 1954 et dans lequel on voit Maïa Plissetskaïa et Galina Oulanova danser les deux rôles féminins du ballet, les seules images où ces deux ballerines rivales apparaissent ensemble. Ouliana Lopatkina a repris pour cette soirée ce rôle de Zarema qu’elle a abandonné depuis plusieurs années. Dommage car elle y démontre encore une maitrise intacte.
La danseuse referme le programme avec une nouvelle reprise de la Mort du Cygne. On aura beaucoup soir-là appris sur l’art délicat d’ Ouliana Lopatkina, ballerina assoluta d’aujourd’hui. Pas grand chose, hélas, sur l’immense Plissetskaïa.
Un hommage à Maïa Plissetskaïa par le Ballet du théatre Mariinsky de Saint-Pétersbourg au Brooklyn Academy of Music de New York. Jeudi 25 et dimanche 28 février 2016.