Le Lac des Cygnes de Mikko Nissinen par le Boston Ballet
Et si le Boston Ballet était la meilleure compagnie américaine ? C’est le Huffington Post qui posait cette question, quelque peu provocante au moment où le New York City Ballet et l’American Ballet Theatre présentent leur saison de printemps. Mais ce commentaire en dit long sur le formidable travail réalisé depuis 15 ans par le directeur de la troupe Nikko Nissinen : il a façonné la compagnie, engagé des solistes de haut niveau et bâti un répertoire qui cherche un équilibre constant entre les grands ballets académiques, œuvres néo-classiques et pièces contemporaines. Quoi de plus opportun, pour juger de l’état de santé d’une compagnie, que Le Lac des Cygnes ? Ce ballet exige à la fois un corps de ballet impeccable et des solistes de haut vol. Moins de 18 mois après sa création, Mikko Nissinen a donc reprogrammé pour cette fin de saison Le Lac des cygnes. La première série à l’automne 2014 avait été un triomphe et “by popular demand” selon l’expression consacrée, le ballet le plus célèbre du répertoire a de nouveau enchanté le public de Nouvelle-Angleterre.
Comme il le confiait sur Danses avec la plume, Nikko Nissinen a toujours eu un rapport particulier et très fort avec ce ballet dont il a dansé quasiment toutes les versions présentes sur le marché. Il rêvait donc de proposer sa propre rédaction. Pas question pour autant de revisiter Le Lac des cygnes : Mikko Nissinen reste fidèle à la chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov mais ajoute quelques variations et réécrit les danses de caractère du troisième acte. Cette production est une excellente surprise. Tout en respectant l’œuvre originale, elle propose une lecture plus lisible pour le public d’aujourd’hui. Nikko Nissinen a ainsi ajouté en particulier un prologue sur l’introduction du ballet. C’est une scène de pique-nique entre amis près d’un lac. Alors que tout le monde repart, une jeune fille, absorbée dans son livre, est abordée par un jeune homme charmant qui se révèle être le sorcier Rothbart. Il la kidnappe et s’enfonce avec elle dans le lac.
Le décor et les costumes sont signés Robert Perdziola, qui avait déjà collaboré avec Mikko Nissinen pour son Casse-Noisette. Des jardins du château du premier acte aux rivages du lac, tout est réalisé avec délicatesse. Un décor doit être un écrin signifiant mais ne pas encombrer la chorégraphie. Robert Perdziola y parvient magnifiquement. La salle de bal du troisième acte évoque ainsi un château labyrinthe qui convient à merveille aux troubles du Prince Siegfried abusé par le Cygne Noir.
Misa Kuranaga, la grande Étoile du Boston Ballet, est probablement l’une des toutes premières danseuses classiques aux États-Unis. Sa technique n’est jamais prise en défaut et elle campe une Odette à la fois fragile mais jamais soumise. L’Adage du Lac des Cygnes est le duo d’amour le plus connu de tout le répertoire. Ce n’est pas le passage le plus difficile techniquement, mais il requiert des qualités dramatiques exceptionnelles pour donner de la chair à ce personnage éthéré. Misa Kuranaga délivre une danse déliée, fluide et infiniment lyrique. Sa succession d’arabesques penchées est d’une expressivité parfaite avec un travail des bras et du dos comme on n’en voit qu’en Russie.
Misa Kuranaga est tout aussi étonnante dans l’acte 3, celui d’Odile. Il y a toujours un moment où le.la balletomane se demande dans quel registre il.elle a préféré la ballerine. Odette ou Odile ? Cygne Blanc ou Cygne Noir ? C’est quand il est impossible de répondre à cette question que la prestation est à coup sûr réussie. Marius Petipa a concentré là les difficultés techniques, que ce soit dans le pas de deux, le pas de trois ou les variations. Impériale de bout en bout, Misa Kuranaga conclut par la traditionnelle série de fouettés que je renonce à compter au-delà du 40ème.
Pour cette série, Mikko Nissinen avait invité Gonzalo Garcia, Principal du New York City Ballet, pour être le partenaire de Misa Kuranaga. Un choix pertinent, tant leur partenariat fonctionne parfaitement. Si Gonzalo Garcia, qui s’était blessé quelques jours auparavant, a semblé retenu dans sa danse, il fut un partenaire idéal pour Misa Kuranaga. Et au fond, ce ballet n’est-il pas avant tout celui d’Odette et d’Odile ?
Rothbart, dans la rédaction de Mikko Nissinen, apparaît comme un double maléfique de Siegfried. Ainsi, le premier acte se conclut sur une variation du Prince alors que le second s’ouvre sur un écho de cette variation par Rothbart, interprété avec une grande élégance par Sabi Varga, soliste du Boston Ballet. Il se montre tout aussi pertinent dans le pas de trois du troisième acte.
Mais il n’y a pas de Lac des Cygnes réussi sans un excellent corps de ballet. Il n’y a rien à redire sur le deuxième acte, avec un alignement parfait des Cygnes. Certains ports de bras, moins rigoureux, sont peut-être plus contestables mais l’impression d’ensemble est fort réussie. Il y a quelque chose de l’esprit de troupe qui transparaît dans Le Lac des Cygnes dansé par le Boston Ballet. C’est aussi le résultat du travail minutieux de Mikko Nissinen qui signe là une très grande réussite de sa direction artistique. L’immense Violette Verdy, nous a quittés le 8 février dernier, a dirigé le Boston Ballet de 1981 à 1984, comme le rappelait le programme avec un portrait souriant et mutin de cette danseuse française unique. Ces représentations du Lac Des Cygnes lui étaient dédiées. On imagine qu’elle aurait été enchantée.
Le Lac des cygnes de Mikko Nissinen d’après Marius Petipa et Lev Ivanov, par le Boston Ballet au Boston Opera House. Avec Misa Kuranaga (Odette/Odile), Gonzalo Garcia (Prince Siegfried) et Sabi Varga (Rothbart). Mercredi 25 mai 2016.